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LE-
20 JUIN 1792
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MORTIMER TERNAUX
PARIS
MICHEL LÉVY FRKRKS, LIBRAIRES EDITECRS
RUK VIVIKNNE, 2 BIS, ET UOULRVARD D F. S ITAMK.NS, 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
• — *.
1864
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LE 20 JDliN 4792
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rAUliS. - IMl'RlMIiUlH 1)K J» CLAVli
liVB SA1NT>D1ÎN0IT, 7
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LE
20 JUIN 1792
PAR
MORTIMËR TëRJNAUX
PARIS
MICHEL LËVY PBËBBS, LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VlVlJiiMilS, 2 UiB, Li UOULJ:;VAliD D£S llJkLlEl<&i Là
A LA tIBRAIRlB NOUVBLLB
iK63
Tons droits iCMcrv^s.
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L AU
DON
* I
AVIS DES EDITELHIS
L'Hûloire de la Terreur, de M. Moi limer Ter-
iiaux, a obtenu, dès son apparition, un succès que
n'ont point épuisé deux éditions publiées presque
coup sur coup.
Par les recherches laborieuses qu'il a néces-
sitées, par rabuiidaucc des documenîs qu'il met
en lumière < par le tour vif et énergique dîi récit,
par la portée et la juslesse des appréciations de
l'auteur, cet ouvrage, quoique inachevé encore,
compte déjà parmi ceux qui font autorité pour
l'histoire de la Révolution française.
M. Mortimer Ternaux a bien voulu nous per-
mettre de détacher successivement de son grand
ouvrage les épisodes les plus intéressants et les
plus dianuitiqucs, de manière à offrir au public
une série de volumes de 250 à 300 pages in-1 8 ,
Digrtizeij Ly <jOOgIe
VI AVib DLS ÉDITELUS.
rormanl chacun un ouvrage sépare, cl se rallachant
tous néanmoins h une pensée commune.
Sous ce titre général : les Grandes Journées de
la Terreur^ nous donnerons des relations détail-
lées et authentiques du 20 juin, du 10 août
et du 2 septembre 1792; du 21 janvier et du
31 mai 1793, etc., etc.; c'est-à-dire de toutes
les crises qui préci[)itèrent le mouvement rcvulu-
lionnaire, jusqu'au 9 thermidor, où le régime de
la Terreur succomba sous la réprobation univer-
selle.
Dans chacun de ces récits , on trouve non-seu-
lement la peinture fidèle et complète de la journée
même, mais aussi Texposé de ses causes directes
et de SOS oITets immédiats ; seulement , le récit se
présente dégagé de la plupart des pièces justifica-
lives et des éclaircissements historiques qui enri-
chissent Tœuvre de M. Mortimer Ternaux.
Les lecteurs curieux d'embrasser Tcnsemble des
événements de la Révolution française et de les
suivre dans tout leur développement, comme ceux
qui veulent toucher eux-mêmes et vérifier les
preuves de chaque assertion de l'écrivain, seront
obligés de recourir à V Histoire de la Terreur, qui ,
du reste , a déjà pris place dans les bibliothèques
publiques et dans le cabinet des hommes d'étude.
l^es lecteurs qui , au contraire , 8*inquiètent
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AVIS DES ÉDITEy US.
VII
moins des recherches liistoriqucs que de leurs
résultats, qui ne peuvent consacrer que peu de
temps à l'étude des faits culminants de Tépoque
révululiuiiiiaire , puiseront, en quelques heures,
dans notre nouvelle publication, une connaissance
exacte et précise des événements dont le contre-
coup se fait sentir, chaque jour encore, dans toutes
les crises de la politique contemporaine.
Par cette combinaison, nous croNons rendre un
véritable service à cet immense pubhc qui veut
s'instruire, mais s'instruire rapidement, et qui -
trouvera dans les véridiques récits de M* Mortimer
Tcrnaux ce que, d'ordinaire, on cherche dans les
seuls romans : un intérêt soutenu et de vives émo-
tions.
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LE
20 JUIN 1792
I.
Au commencement de 1792 , la France se trouvait
dans cette période d'anaisscmeiit qui, ciiez une na-
tion comme chez un individu, suit tout grand effort
physique ou moral. Le parti constitutionnel avait
perdu ses illusions ; le parti royaliste avait recouvré
ses espérances; le parti démagogique, croyant tou-
cher au but de ses désirs, redoublait d'ardeur et
d'audace. Chacun pressentait qu'on était à la veille
de voir s'opérer de nouveaux déchirements. Mais au
profit de quel pard ces déchirements tourneraient-
ils? Là était toute la quesdoni
La constitution de 1791 « mise en pratique depuis
1
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i
LK 20 JUJN 1792.
quelques mois, était jugée tellement défectueuse
que ses auteurs mêmes reconnaissaient Tindispen-
sable nécessité de la modifier. Il fallait revenir en
arrière ou marcher en avant. Mais, dans le premier
cas, à quelle limite s'arrêter? Faudrait-il remonter
au point de départ, à cet ancien régime que Ton
avait détruit aux applaudissements presque una-
nimes de la nation? Adopterait-on le système des
deux chambres que Ton avait rejeté comme trop aris-
tocratique ? Ou bien n' v avait-il qu'à conserver la con-
stitution en donnant plus de force et d'autorité au
pouvoir exécutif complètement désarmé? Ceux qui
voulaient revenir en arrière étaient divisés entre eux
par mille nuances diverses ; ceux qui voulaient mar-
cher en avant étaient, au contraire, tous d'accord sur
le premier artide de leur programme : renverser la
monarchie, sauf à s*entre-déchirer dès qu il s'agirait
d*en partager les dépouilles.
Malgré les espérances que le parti de l'ancien ré-
gime puisait dans les échecs successifs que venaient
d'éprouver les constitutionnels, il fallail qu'il fût bien
aveugle pour croire que la monarchie de Louis XIV
pût être restaurée en 1792. Où étaient les éléments
constitutifs de l'état de choses que la révolution avait
renversé? Qu'étaient devenues les trois colonnes fon-
damentales du vieil édifice monarchique : les par-
lements, la noblesse, le clergé ? Abattues , brisées,
elles gisaient sur le sol, et nulle puissance humaine
n'aurait réussi à les relever*
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'6
Mais, s'il était impossible de restaurer i'aacieane
monarcfaîe , n*était-il pas au moins possible d*empé-
cher la nouvelle de touiber? 11 eût fallu pour cela
que le roi comprît la véritable situation des choses
et fût doué d'une grande fermeté de caractère. Or,
le jour même de son avènement au trAne, Louis XVI
avait commencé cette longue série de terf^iversatiuiis
qui, après tant de projets tour à tour adoptés, reje-
tés, repris, modifiés, après tant de consentements
d(HUiés, interprétés, rétractés, amena la chute de la
monarchie et conduisit le monarque au Temple, où
il n*eut plus qu'une pensée, celle de mourir en chré-
tien.
Louis XVI fut toujours de bonne foi dans les réso-
lutions si diverses qu*il prit durant les dix-huit an*-
nées de son règne; mais son peu de persévérance
dans ses desseins fut, pour lui et ses amis, plus
funeste cent fois que la plus macliiavélique duplicité.
Pendant les quinze années que Louis XVI exerça le
pouvoir absolu, pendant les trois ans qu'il rùgna
comme roi constitutionnel, la même cause amena le
même résultat, celui de frapper d'impuissance tous
les dévouements, d'user en un instant tous les
hommes et tous les systèmes. Galonné tombait deux
jours après avoir fait destituer son adversaire, le
garde des sceaux Miromesnil (avril 1787); Dumouriez
se voyait refuser raccompiissement des promesses
qu'on lui avait faites quarante-huit heures aupara-
vant, pour le déterminer à renvoyer avec éclat Ro-
4 LE 20 JUIN ilW'i,
iaud, Servan et Clavières (juin 17d2). Louis XVI se
détachait aussi facilement, à quinze ans d'intervalle,
de Turgot que de Narbonae, les deux seuls hoiames
peut-être qui eussent pu conjurer la tempête.
Avec ces changements continuels de noms, de per-
sonnes et de systèmes, il était impossible d'avoir un
plan sagement étudié, profondément mûri, suivi civec
persistance et énergie. Cependant, comment résister
à la tourmente au milieu de laquelle la royauté était
déjà si fortement engagée ? comment , à travers tant
d'écueils, atteindre un port quelconque? et même
quel élail le port dans lequel la royauté aurait pu
chercher un refuge? Personne ne Teût pu dire, et le
monarque moins que ioai autre. Sans boussole, sans
guide, Louis XVi tantôt s'abandonnait, les yeux fer-
més, au flot toujours montant de la révolution, et
tantôt essayait de lutter contre lui. Les mesures qu'il
avait obstinément rejetées la veille, il les acceptait
le lendemain, pourvu qu'elles lui fussent présentées
sous une autre forme; il suivait tour à tour les direc-
tions les plus opposées, souscrivait aux solutions les
plus contradictoires, mais surtout, par ses hési-
tations prolongées, empirait les situations les plus
graves.
A cette perpétuelle incertitude, l'inioriuné mo-
narque joignait une timidité insurmontable qui était
bien de naLure à glacer, dans le Cfcur de ses plus
fidèles serviteurs, le dévouement le plus chaleureux.
Aussi ses intentions, ses démardies étaient-elles faci-
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tE iO JUIN 1792. :•
lement calomniées; sa honié naturelle, son amour
sincère pour le peuple étaient-ils niés et tournés en
ridicule par des écrivains qui , plus tard, donnèrent
le nom de tyran au meilleur des hommes et au plus
humain des rois.
La reine Marie-Antoinette ne ressemblait en r i< n à
son époux ; mais on a voulu trop souvent lui attri*
buer, dans le grand (lr;iiiie de la Rcvolutioa fran-
çaise, le rôle qu'avait joué quarante ans auparavant,
auprès de la diète de Hongrie, l'héroïque Marie-Thé-
rèse, sa mère. Elle l'aurait voulu, qu'il n'aurait pas
été en son pouvoir de s'en saisir. Marie-Thérèse
tenait ses droits d elle-même, et pouvait elle-même
les revendiquer. Marie-*Antoinette était étrangère,
Autiiclnenne, suspecte dès 1ers par son origine à une
partie de la cour et de la nation. Cette princesse,
qui devait épuiser jusqu'à la lie toutes les amertumes
et toutes les douleurs, qui, après avoir été la plus
adulée des reines, devait être la plus infortunée des
épouses et des mères, n'était pas la femme forte que
l'ima^nation des poètes et des historiens a rêvée.
Douée d'une âme sensible et tendre, elle avait be-
soin des épanchements de l'amitié, elle se laissait
aller trop facilement aux confidences les plus intimes
et souvent les plus compromettantes. Dévouée à ses
amis, elle ne connaissait aucun obstacle poui" les
servir, et elle ignorait tous les dangers des coteries
princières, les pires de toutes, parce qu'elles sont
les plus exclusives* Conseillée par des amis impru-
Digiliz
6
dents qui ne comprenaient ni les hommes ni les évé-
nements de leur époque, elle s abandoiinait sans
mesure et sans prudence aux regrets que lui inspi-
raient la chute du pouvoir absolu et Téloignenient de
ses amis les plus intimes. Ëlle était» comme le roi,
en proie aux plus cruelles incertitudes, mais ces
incertitudes ne portaient pas sur le même objet ;
Louis XVI ne savait pas s'il devait ou non être roi
constitutionnel; Marie-Antoinette savait qu'elle ne
voulait pas qu'il le fût. Hésitant quelquefois sur les
moyens, jamais sur le fond des choses, elle n'avait
aucun système arrêté; elle ne fut ferme que dans ses
répugnances et dans ses ressentiments. Elle ne pouvait
surtout pardonner aux grands seigneurs qui avaient
embrassé le parti populaire, et, à son sens, trahi leur
caste , crime irrémissible à ses yeux. Elle usa de
toute l'influence que la cour pouvait avoir encore
dans Paris pour faire élever Pétion à la place de
maire, lorsque Bailly donna sa démission et que
les constitutionnels voulurent le remplacer par La
Fayette. Nous verrons bientôt comment Pétion la
récompensa du concours qu'elle lui avait prêté dans
cette circonstance, où royalistes et jacobins votèrent
avec les mêmes bulletins. Elle donna un instant
à Barnave, et encore peut-être parce qu'il était
né plébéien, une confiance qu'elle avait refusée à
Mirabeau, et qu'au dernier moment elle refusa à Du*
mouriez. Elle rejeta les offres du duc de Liancourt
qui lui promettait, à Rouen, un asile assuré, et cela
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parce qu*îl avait été de la minorité de la noblesse en
1789. Cai% il faut le reconnaître, les dernières tiiiiins
qui furent tendues à la reine avant la crise fatale qui
emporta le trône furent des mains constitutioiinclles;
à cause de cela même elle les dédaigna. Elle crai-
gnait tous les secours venant de l'intérieur, parce
qu'il aurait fallu compter plus tard avec ceux qui les
auraient donnés; elle tournait les yeux vers les ar-
mées de la coalition, sans se rendie un compte bien
exact de ce qu'elle désirait.
Après le retour de Yarennes, le parti républicain
fit son apparition sur la scène révolutionnaire. Abattu
un instant par lavigoureusè répi essieu des constitu-
tionnels (journée du 17 juillet 1791, au Champ de
Mars) , il avait bientôt refonné ses rangs ; ses écri-
vains, un instant terrifiés, avaient repris leurs plumes ;
ses orateurs, qui s'étaieni cachés, étaient retournés
pérorer à la tribune des Jacobins et des Cordeiiers.
Tous ces chefs, tous ces écrivons, tous ces orateurs
paraissent unis dans les mômes pensées; mais déjà
secrètement ils se jalousent, ils se détestent ; les gens
clairvoyants peuvent déjà apercevoir les nuances qui
vont bientôt séparer tous ces hommes et en faire des
ennemis irréconciliables. Plusieurs sont sincères dans
leurs illusions; ils rêvent la république de Sparte
avec les mœurs d'Athènes; ils croient qu'ils pourront
renverser un trône, se donner des magistrats vertueux,
incorruptibles, exempts de toute ambition, puis aller
dans un festin se couronner de roses et s'endormir
H LE iO JUIN I70*i.
dans les loisirs d'une élégante volupté. Infortunés I
qui ne lurent que des artistes politiques, qu'on ap-
pellera plus tard Girondins , et que Marat désignera
par ironie sous le nom d'hommes d'ÉtatI Ils ne se
réveillèrent qu'au pied de la guillotine.
Parmi les chefs qui marchent déjà sous une autre
bannière, les uns, comme Danton et ses amis, cher-
chent la satisfaction de leurs appétits brutaux ; ils
veulent à tout prix acquérir ces honneurs et ces ri-
chesses qui doivent être pour eux la source de toutes
les jouissances. Les autres, comme Robespierre et
Marat 9 sacrifiant à des dieux différents, ne voient,
dans le cataclysiiie qui se prépare , que le triomphe
de leur orgueil. Ils aspirent à la toute-puissance, afin
d'écraser leurs ennemis sous leurs pieds et de goûter
le suprême plaisir de la vengeance. Plus ils ont été
jusqu'ici bafoués, honnis, ridiculisés, plus ils veulent
faire repentir l'humanité du crime impardonnable
dont elle s'est rendue coupable en les méconnaissant.
Au-dessous de ces chefs , se cachent des hommes
que la peur seule fait agir. Us se sont réfutés dans
les rangs du parli jacobin pour que l'on ne songe
pas à leur reprocher leurs défaillances passées, leurs
antécédents suspects, les souvenirs des castes nobi-
liaires ou sacerdotales auxquelles ils ont appartenu.
Ils veulent donner des gages irrécusables de leur
dévouement à la démagogie, et croient qu'ils ne
peuvent effacer le péché originel dont ils sont enta-
chés que par un baptême de sang.
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LE 20 JUIN 1792.
9
Plus bas encore, s'agite cette masse flottante d'in-
dividus qui, n'ayant pu trouver place ni parmi les
réactionnaires ni parmi les constitutionnels, veulent
à toute force jouer un rôle. Ces hommes-là n'ont ni
but politique t ni principe déterminé; ils ne forment
pas une faction, pas même une conspiration net-
tement définie, francbement organisée. C'est une
tourbe, moutant résolument il l'assaut du pouvoir
parce qu'elle espère, une fois maîtresse de la place,
s*y livrer impunément au vol et au pillage
Le parti démagogique, grâce à l'apathie et à
rindifférence qui s'étaient emparées de la masse
de la population parisienne, débusquait successive-
ment ses adversaires de toutes les positions qu'ils
avaient d'abord occupées sans conteste.
Au commencement de novembre 1701, Bailly avait
donné sa démission de la place de maire de Paris ,
qu'il occupait depuis deux ans et demi, et sur
80,000 citoyens appelés à voter, 10,300 seulement
avaient pris part au scrutin ouvert pour son rempla-
cement.
Pétion avait été élu par 6,600 voix contre 3,000
données à La Fayette.
4 . « Beaucoup de gens , avides des feveurs de la fortune et
cherchant k les extorquer à tout prix, s'étaient jetés dans le
parti populaire contre la cour, prêts à servir celle-ci pour son
argent, prêts à la trahir si elle devenait la plus faible. « i Mé-
moires de Madame Roland, p. 56 de ia V* partie, 4" édi-
tion.)
i.
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10
I.K 20 JUIN 1792
A la même époque, Manuel, homme de lettres
plus que médiocre, avait été élu procureur-syndic
de la Commune ; près de lui était venu siéger Danton
qui, appelé, quelques mois auparavant, au conseil
général du département, préféra la place plus lucra-
tive et plus influente de subsliLut du procureur-syndic
de la Commune ^. La loi avait fixé aux derniers joiurs -
de 1791 le renouvellement de la moitié de la muni-
cipalité parisienne, et ce renouvellement y avait
amené des individus pris dans d'autres classes, dans
d'autres conditions sociales , et imbus naturellement
d^autres idées que ceux qui composaient le corps
municipal au moment de sa première formation, en
4 » Danton avait été élu au commencement de septembre 1790,
par la section du Théâtre-Français, membre du conseil général "
de la Commune. Sur les 144 membres élus à cette époque, il
fut le seul écarté par la majorité des sériions, en vertu d'un
droit d'ostracisme que la loi leur conférait sur leurs choix réci-
proques; trois sections se déclarèrent pour lui : celles du
Théâtre-Français, «du Luxembourg et de Mauconseil. Ce furent,
pendant tout le temps de la Révolution, ces sections qui pro-
fessèrent les principes et souiinrenL les hommes les plus exa-
gérés. Danton prit bientôt sa revanche, et, par un revirement
singulier d'opinion, celui dont la majorité des électeurs pri-
maires n'avait pas voulu comme simple membre du conseil
général de la Commune fut élu, cinq mois plus tard , par les
électeurs du deuxième degré , ay conseil général du départe-
ment (février 179t ). Il y formait à peu près à lui seul la mi-
norité. L'année suivante (janvier 1792), il fut présenté en
concurrence avec Manuel pour être procureur-syndic de la
Commune. Manuel ayant été élu, il se conlenta de la place de
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LE 20 JUIN 1792.
It
1790« Le niveau de T intelligence et du savoir s'était
abaissé dans ce conseil, que la force tles circon-
stances allait appeler à jouer un si grand rôle dans
les événements qui se préparaient. Les élections
faites dans le sein du corps municipal avaient placé
à la tète de la police deux hommes nouveaux, Vîuus
et Sergent, Tun avocat sans causes « Tautre artiste
sans talent. Leurs noms , aujourd'hui entourés d'une
eliroyable célébrité, étaient alors inconnus et n exci-
taient aucun ombrage. Ces deux hommes ne tardèrent
pas à s'emparer de rimuieuse iniluence que doiiiie le
maniement de la police dans une ville comme Paris,
et tini;ent à Técart leurs deux collègues plus anciens,
substitut. 11 y fut nommé au deuxième tour do scrutin par
4,462 voix sur 80,000 électeurs inscrits t Nouvelle preuve du
funeste système d'abstention que les modérés praiiqtiaient à
ceUe époque, au ^rand détriment de la chose publique. Au
début de >a carrière polilique, c o uilmn ( t liHjre avait, seinble-
t-il, des velléités aristocratiques assez prononcées. Nous av(<ns
entre les mains un recueil de pièces imprimées par ordre du dis-
trict des Gordeliers, au sujet du décret de prise de corps lancé
contre Marat par le Châtelet, le S novembre 4789; le nom et la
signature do Diialon reviennent à cliaque instant dans ces pièces
et sont toujours écrits avec une apostrophe qui sépare la première
de la seconde lettre de ce nom fameux dans les fastes démago-
giques. L'écrit sort des presses de Momoro, qui s'intitulait
premier imprimeur de la Liberté nationale et qui était alors
Tami intime de Danton; il est imprimé par ordre du district
des Gordeliers, où Danton régnait déjà presque en maître; le
consentement du tribun à cette manière d'orthographier son
nom n'est donc pas douteux.
12
LE 20 JUIN 1792.
Vigner et Perron, en attendant qu'ils fissent destituer
Fun et égorger l'autre*.
De toutes les autorités qui siégeaient dans la capi-
tale, une seule était franchement constitutionnelle :
c'était le conseil général du département, que Ton
appehût alors le département de Paris.
Le département ayait déjà , dans plusieurs circon-
stances mémorables, résisté à Tentraînement de la
municipalité parisienne. Il avait notamment élevé ia
voix en faveur de la liberté religieuse et contre la
surveillance inquisitoriale exercée sur la famille
royale. Le directoire , pris dans le conseil et saisi de
4 . Perron, qui siégeait au département de police depuis 4790,
et qui n'avait pas su toujoui s résister, dans les derniers temps,
aux exigences de ses collègues Panis et Sergent, fut sacrifié
par eux aussitôt qu'il marqua quelque hésitation à les suivre
dans la route qu'ils s'étaient tracée. Conservé dans sa place
d'administrateur le 40 aoiit, jour ou on avait encore besoin de
sa sif^nature pour l'expédition de certains ordres et surtout
pour la délivrance des poudres, il fut arrêté le 21 par les ordres
du nouveau Comité do surveillance et de salut public, conduit
à l'Abbaye et égorgé le 4 septembre. Voici le texte de l'écroa
et de t'arrèt de mort du malheureux Perron.
Extrait du registre d'écrous de la prison de VAhba'^e*
On fit ao&t Vm* Da 4 an 5 •eptembi» 119fi.
Le sieur Perron a été écroué par Mort. Le sieur Perron a
ordre des membre> du Comité de été jup:6 par le y)ouj)!e et
surveillance et de salut. exécuté sur-le-champ*.
* CeUe mention est entièrement de la main de Maillard.
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LiL 20 JUhN i79«. 13
toutes les mesures d'administration, était présidé
par le vénérable duc de La Rochefoucauld-d'Amville«
et comptait dans ses rangs Anson, Talleyrand, Des-
meuûiers, Beaumetz, quatie ancienâ coustituauts.
Le procureur général syndic était Rœderer. Celui-ci
prêchait la tolérance, la conciliation même, lorsque
déjà elles n'étaient plus possibles.
A mesure que Tannée 1792 s'avançait, les déma-
gogues redoublaient d'audace dans leurs essais de
destruction . Uien ne servit mieux leurs desseins
que le triomphe des Suisses de Cbâteauvieux , pro-
menés dans Paris comme des martyrs de la liberté
(15 avril), et l'envahissemeut du château des Tuile-
ries par les émeutiers des faubourgs Saint-Antoine et
Saint-Marceau (20 juin).
Dans la journée du 15 avril , on vit la démago^e
célébrer le mépris des lois , la violation de la disci-
pline militaire comme des vertus civiques, dignes de
l'admiration universelle, déifier, sous les yeux d'une
foule ignorante, ce que jusqu'alors tout le monde
avait considéré comme infamant : le bonnet et la
rame du galérien !
Dans la journée du 20 juin, la démagogie, *de plus
en plus audacieuse, osa envahir l'asile inviolable du
représentant héréditaire de la nation, se mesurer
face à lace avec la royauté, et coiffer du bonnet rouge
la tète de Louis XVI, cet infortuné monarque qu'elle
devait, sept mois plus tard, conduire de la prison
du Temple à Téchafaud.
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*
li LE 20 JUIN 1792.
Ces deux journées se tiennent; la première n est
que le prologue de la seconde.
II.
Les ennemis du roi et de la liberté constitutionnelle
avaient compris quMls devaient avant tout détruire
la discipline de Tarmée» déjà très-fortement ébran-
lée depuis trois ans. Pour réaliser le plan secret de
leur politique désorganisatrice, il fallait que l'alliance
« de la soldatesque et de la populace fut cimentée à ia
face du pay s par une grande démonstration » que les
pouvoirs constitués parussent y donner leur assenti-
ment, que la nation entière eût Tair d'en être la
complice ; il fallait habituer aux fêtes patriotiques et
aux processions séditieuses les masses qui adorent
tout ce qui est théâtral et emphatique , les y faire
intervenir juste assez pour les mettre en goût d'é-
meute et d'agitation , et de manière cependant à ne
pas trop efTrayer les gens à courte vue qui ne croient
au danger que lorsqu'il n'est plus temps de le con-
jurer.
On inventa donc» comme machine de guerre, la
grande infortune des Suisses de Château vieux, et Fon
fit passer pour des iiéros quarante malheureux sol-
dats qui avaient été envoyés aux galères pour des
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LK 20 JUIN 1792.
15
faits patents de révolte, de meurtre et de pillage.
k&n de mettre nos lectears à même de juger si
ces héros méritaient l'admaation publique, nous
rappellerons en peu de mots leur histoire*
Sous Fancien régime, les régiments français et
étrangers se recrutaient à prix d'argent dans les ta-
vernes et les bouges des grandes villes. Cet ignoble
trafic se faisait non-seulement par des sous-officiers
qui , pour arriver à leurs fins , employaient souvent
la fraude et la violence, mais encore par les oflTiciers
eux-mêmes , qui ne pouvaient obtenir de congés de
semestre que sous la condition de ramener au moins
deux hommes de recrue avec eux. Les officiers,
qui avaieiu acheté leurs brevets à prix d'argent,
spéculaient parfois, il faut le reconnaître, sur la paye
et les menues dépenses de leurs subordonnés. Dans
une organisation pareille, que de motifs de récrimi-
nations , que de causes de conflits !
Le mouvement qui agitait tous les esprits en 1 789
devait avoir et eut, en effet, un contre -coup iné-
vitable dans l'armée; des symptômes effrayants
d'insubordination se manifestèrent parmi un grand
nombre de régiments. Les gardes françaises don-
nèrent Texemple à Paris; il fut suivi par d'autres
corps à Marseille , à Grenoble , à Metz. Bientôt ,
dans la plupart des régiments, se formèrent des
comités composés de sous-officiers et de soldats qui ,
après avoir discuté sur leurs droits, mirent bientôt
en question ceux de leurs supérieurs.
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ifi
LE ^0 JUIN i70ï.
Pent-étre serait-on pairenu à couper par la racine
toutes les causes, sans cesse renaissantes, de récri-
minations, à éteindre d'un seul coup tous les ressen-
timents, toutes les rancunes, si Ton avait suivi le
conseil donné par Mirabeau, lorsqu'il proposait d'o-
pérer une refonte générale de tous les régiments.
Msds le ministre de la guerre, obéissant à certaines
arrière-pensées, ne voulut point entendre parler de
ce projet; les événements se chargèrent de démon-
trer combien était profond le mal auquel on avait
hésité à porter un remède héroïque.
Ce fut à Nancy, dans les premiers jours d'août
1790, qu'éclatèrent les désordres dont tous les actes
d'indiscipline antérieurs n'avaient été que le prélude*
La garnison de l'ancienne capitale de la Lorraine se
composait d'un régiment de cavalerie (mestre de
camp), de deux régiments d'infanterie, ïiin français
(le régiment du roi) , l'autre suisse (celui de Château-
vieux). Le 2 août, le régiment du roi se soulève en
prenant lait et cause pour un soldat que l'on veut
envoyer en prison. A la prière de la municipalité, le
commandant militaire révoque les ordres sévères qu'il
a donnés. Hais la faiblesse encourage l'indiscipline*;
quelques jours après, le régiment formule de nou-
velles exigences , et l'insubordination reste impunie.
1. (( Faiblesse imprudente, dit lui-môme à cette occasion
M. Lnii Blanc {Histoire de ïa Hovolntion) , premier ébranle-
ment donné à la discipline, qui meurt si elle cesse un instant
d'être écrasante et inexorable. »
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LE :20 JUIN 1792.
17
Pendant ce temps, TAssemblée constituante, avertie
par le ministre des tristes faits d'indiscipline qui
éclataient de toutes parts, s'empresse, sur la pro-
position d'Emmery, rapporteur ordinaire du comité
de la guerre, de décréter que toute association établie
dans les régiments devra cesser à Tinstant même ;
que le roi sera supplié de nommer des oflTiciers gé-
néraux pour apurer, en présence des officiers res-
ponsables et d'un certain nombre de soldats, les
comptes des régiments depuis six années; qu'il est
libre à tout officier, sous-officier et soldat de laire
parvenir directement ses plaintes aux officiers supé-
rieurs, au ministre et à TAssemblée nationale; mais
que toute nouvelle sédition, tout mouvement concerté
entre les divers régiments au préjudice de la disci-
pline militaire, sera poursuivi arec la dernière sévé-
rité.
Ce décret, rendu le 6 août, est bientôt connu en
substance à Nancy, mais il ne satisfait pas les sol-
dats indisciplinés de cette garnison. Le 10 , le régi*
ment du roi réclame ses comptes, et parvient à ar-
racher un premier payement de 150,000 livres. Le 1 1«
Chftteauvieux délègue deux soldats vers le major pour
exiger l'argent qu'il prétend lui être dû. Les deux
pétitionnaires sont emprisonnés et passés par les
courroies. A cette nouvelle , les régiments du roi et
mestre de camp prennent les armes, délivrent les
prisonniers, et, l'épée au poing, obligent le colonel à
les réhabiliter. Le lendemain, devait être solennelle-
18
LK 20 JUIN l'itlt.
ment proclamé le décret de l'Assemblée nationale;
mais, en raison des événements intervenus, le com-
mandant de place remet la cérémonie et consigne les
régiments dans leurs casernes. Les deux régiments
ne tiennent compte de cet ordre, et viennent se
ranger en bataille sur la place Royale, ayant chacun
dans ses rangs un des deux prisonniers suisses. Le
commandant a la faiblesse de céder aux vœux des
rebelles ; il proclame le décret du d août, à la face
de la révolte S et fait accorder cent louis de dédom*
magement à chacun des deux soldats qui avaient
été passés par les courroies; bien plus» 27,000 livres
sont payées au régiment de Châteauvieux et dépen-
sées le soir même dans un grand banquet offert par
lui aux deux autres régiments, qui Tavaient soutenu
fraternellement contre ses cbe&.
En apprenant ces faits déplorables, TAsseinblée
nationale comprend les conséquences terribles qu'ils
peuvent entraîner. Sur la proposition d*Emmery,
paiiant au nom des comités de la guerre, des recber*
ches et des rapports, elle décrète unanimement
(16 août) : que la violation à main armée des décrets
de l'Assemblée, sanctionnés par le roi, est un crime
de lèse-nation au premier chef; que ceux qui ont pris
pai*t à la révolte devront, dans les vingt-quatre beures,
confesser, môme par écrit si leurs chefs l'exigent,
1. « Le décret du 6 fut proclamé, dit M. Louis Blanc, mais
la discipline était irrévocablement anéantie. »
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hV. 20 JUIN 170^.
leur -erreur et leur repentir^ sinon être punis avec
toute la rigueur des lois militaires.
Au mépris de ce décret « la rébellion continue.
On poursuit, ou menace de mort le commandant Dé-
noue et roflficier général de Malseigne, envoyés pour
examiner les réclamations des soldats et rétablir
Tordre. Les scènes de violence se succèdent à iNancy
et à Lunévitle.
Cependant Bouille avait été cliaigé d'exécuter le
décret du 6 août , en sa qualité de commandant de
toute la frontière de TEst. Il prend avec lui des gardes
nationaux de Metz et de Toul et plusieurs régiments
sur lesquels il croit pouvoir compter. Il airive aux
portes de Nancy dans la matinée du $i et reçoit une
députation des révoltés qu'il renvoie aussitôt avec
une sommation de reconnaître immédiatement et sans
condition Tautorité légitime.
Les deux régiments français « celui du roi et mestre
de camp, obéissent, quittent la ville et se retirent
dans une plaine située près de Nancy, où ils se rangent,
armes au repos. Les deux officiers généraux Dénoue
et Malseigne, retenus prisonniers depuis quelques
jours et accablés de mauvais traitements, sont déli-
vrés.
On pouvait espérer que la rébellion s'éteindrait
sans effusion de sang. Mais les Suisses de Chà-
teauvieux gai*dent encore la porte par laquelle
doivent entrer les troupes de Bouillé, et braquent
contre son avant -garde un canon chargé à mi-
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!20
LR !20 JUIN 170^.
traille. Un jeune officier du régiment du roi, Ré-
silies, se précipite à la gueule de la pièce et crie aux
Suisses : a Non, vous ne tirerez pas! n On se jette
sur lui, on parvient à l'arracher de ce poste où il
veut mourir. Mais bientôt il revient, se jette à genoux
entre ceux c(ui vont combattre, supplie les soldats
révoltés d'obéir à la loi ; tout à coup le canon tonne,
la fusillade retentit, et l'héroïque officier tombe avec
trente-cinq gardes nationaux de Metz et de foui. Les
troupes de Bouillé se précipitent sur les défenseurs
de la porte, pénètrent dans la ville et sont accueillis
par des coups de fusil qui partent des toits, des fe-
nêtres et des caves ; car aux Suisses de Gbâteauvieux
s'étaient joints un grand nombre d'émeutiers et quel-
ques soldats des autres régiments.
Cependant, après une très-vive résistance, force
reste à la loi ; mats, dans l'armée de Bouillé, qua-
rante officiers et quatre cents soldats avaient été
tués ou blessés. Les insurgés avaient fnit des pertes
encore plus considérables; les rues de i\ancy étaient
inondées de sang.
Un conseil de guerre est immédiatement formé
pour juger les rebelles : conformément aux capitu-
lations suisses, il était composé entièrement d'offi-
ciers et de soldats de leur nation. Neuf soldats sont
condamnés à mort, quarante à trente ans de galères.
L'exécution des premiers eut lieu dans les vingt-
quatre heures, les seconds furent dirigés sur le bagne
de Brest. La punition fut sévère peut-étie, mais ceux
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LE 20 JUl.N li^i.
SI
qui ravalent attirée sur leurs tètes u etaieiit certes
pas des innocents^ ils étaient encore moins des héros^
Aussitôt après l'acceptation de la Constitution
par le rot (1& septembre 1791), une amnistie géné-
rale avait été accordée pour tous les faits relatits à
la révolution. La question s'éleva de savoir si les
Suisses de Châteauvieux étaient ou non coiupns dans
cette amnistie. D'une part, on alléguait que ces sol-
dats avaient été condamnés cuuiiae rebelles à la dis-
4. Le rapport fait par Mailhe, le tt décembre 4791 , k l'As-
sembléo législative, dix-huit mois apivs los événements de
Nancy, reconnaît que les Suisses de GUàteauvieux étaient re-
beJles à la loi, qu'ils étaient coupables, mais qu ils avaient été
entratnéà, et conclut à ce que rÂssemblée sollicite leur grâce
auprès des officiers des régiments de Gastella et de Yigier qui
les avaient condamnés (Moniteur de 4791, p* 4505). Mailbe ne
peut être suspect en cette occasion, puisqu*îl était membre de
la société des Jacobins, siéi^eaiL à l'extrême gauche de l'As-
semblée législative et fut pluh lard conventionnel et régicide.
En quelques mois le langage des démagogues changea com-
plètement. Âu mois de décembre 1794, les Suisses de Châ-
teauvieux étaient des coupables égarés; au mois de mars 4792,
ils étaient des héros et des martyrs. Hais, le lendemain de
leur triomphe, on ne s'occupa plus d'eux. La comédie était
jouée 1
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cipUne française et qu'ils subissaient leur peine sur
le territoire français. D*autre part, on répondait qu'ils
avaient été condamnés en vertu d'une capitulation
étrangère par des juges étrangers, et que les cantons
suiases pouvaient seuls prononcer sur leur sort. Or,
les cantons, par Torgane du grand conseil, deuian-^
daient formellement que Ton maintînt aux galères les
Suisses de Ghâteauvieux ^ Cette discussion pour ou
contre leur mise en liberté dura avec des phases di-
verses pendant la plus grande partie de Thiver de
1791 à 1792. Le parti jacobin employa , pour inté-
resser les Parisiens en faveur de ses protégés, une
tactique que nous avons vue plus d'une fois réussir
entre les mains d'habiles chercheurs d'une popula-
rité factice : des écrivains affidés firent représenter
sur les théâtres populaires })lusieurs pièces dont ces
soldats, encore aux galères, étaient les héros et dans
lesquelles on les offrait à Tadmiration des spectateurs
comme les victimes de la tyrannie et les martyrs de Ja
liberté'.
Dans les bas-fonds de la société des jacobins s'agi-
tait un homme qui, à tout prix, voulait jouer un rôle,
et qui bientôt après devait s'acquérir une éclatante
et effroyable renommée. CoUot-d'Uerbois, histrion
sifflé^ écrivain médiocre, dèclamateur furibond, se
4. ManileuréQ 4791, p. 4504.
I. Le Suisse de ChâieotwUux, pièce ea deux actes, par
Dorvigny, représentée sur le théfttre Molière; le Mariage de
Rosette ou la Suite du Suisse de Châteaupieux, elc.
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LE 20 JUIN 1Î92. n
déclara le défeQ:ieur olBcieux des SuUâes de Château-
vieux ; il fut appuyé par d'autres démagogues de son
espèce qui trouvaient ainsi le moyen de raviver la
haine que Bouillé et La Fayette leur inspiraient, l'un
depuis la fuite de Vaiennes, l'autre depuis l'affaire
du Champ de Mars. A force d'écrits* de discours,
de pétitions, GoUot-d'llerbois finit par obtenir de
l'Assemblée législative uu décret en vertu duquel *
malgré ropposition des cantons suisses, le béné-
lice de ramaisiie était étendu aux soldats de Chà-
teaufieux.
tt Avant-liier soir, dit-il, annonçant lui-même la
grande nouvelle aux Jacobins, le pouvoir exécutif a
sanctionné le décret qui rend la liberté auiL niailieu-
relises victimes de Nancy ; il ne manque à mon bon-
heur que de vous les présenter, et ce bonheur n'est
pas éloigné* » On applaudit beaucoup et on décida
qu'une réception brillante serait faite aux clients de
l'orateur ; mais on se garda bien d'annoncer quels
en serdent le caractère et le but. Tout d*abord une
souscription fut ouverte, aiin de subvenir aux pre-
miers besoins des Suisses qui allaient quitter Brest
sans ressources. Cette œuvre de bienfaisance devait
recevoir un bon accueil; parmi ceux qui y prirent
part on remarqua la famille roy ale elle-même, dont
le bataillon des Feuillants (section des Tuileries)
transmit l'offrande aux Jacobins le h mars. Danton
eût voulu que l'argent du iyran fut refusé, mais Ro-
bespierre s'écria : « Ce que la famille royale fait
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Li:. 20 JLIA 17 92.
comme individu ne noua regarde pan y » et lea luiids
royaux furent acceptés.
Si la souscription en faveur des malheureux pri-
sonniers put réunir un moment les esprits les plus
opposés, une véritable tempête éclata dans là presse,
dès que fut publié le programme de la fête préparée
parles Jacobins. Ce programme était intitulé : « Ordre
et marche de l'entrée triomphale des mai'tyrs de la
liberté du régiment de Ghâteauvieux dans la ville de
Paris; )> il était signé par Tallien, président de la
commission. Ce n'était, à première vue, que l'ordre
et la marche d'une burlesque mascarade; mais, en
réfléchissant im instant sur la signification des sym-
boles et des emblèmes qui allaient être promenés i
tiavers les rues de la capitale, on s'apercevait biei^
vite de toute la portée politique que les organisateurs
de cette féte prétendaient lui donner. ^
Ce programme contenait la pensée mère de toutes
les fêtes soi-disant patriotiques, qui, pendant pla-
ideurs années, allaient être étalées successivement
aux yeux des Parisiens, par ordre de la Coininuiie
ou du Comité de salut public, de ces fêtes où de
misérables prostituées, offertes aux hommages et au
respect de la foule, jouaient le rùie de la Renommée,
de la Raison ou de la Liberté. Cette fois, c* étant la*
ville de Paiis qui devait recevoir la ville de Brest ;
elles étaient personnifiées par deux femmes revêtues
de costumes antiques. La i)remière, montée sur un
char, irait à la barrière du Trône, à la rencontre de
Lt: 20 JUhN i79îï.
25
nd sœur. Le char de triomphe de cette déité serait
suivi par les ofiiciers muaicipaux, dont on disposait
sans leur assentiment, et qui devaient donner ainsi
un caractère oiliciel à cette singulière exhibition.
Dans le cortège figureraient, pour qu'il n'y eût aucune
équivoque sui' le sens de la mauiieiiiauuu jacobuie,
« des bas-reliefs analogues à l'affaire de Nancy et
aux crimes de Bouille, des inscriptions où seraient
rappelés les événements où le sang des patriotes
avait coulé, Naacy, Vincennes, La Chapelle et le
Champ de Mars^ »
Le cortège de la ville de Drest se coiii[)oserait de
ColIot-d'Herbûis et des quarante soldats de Château-
vieux, «revêtus de Tuniforme de leur régiment;
quarante hommes les accompagneraient portant les
chaînes et la dépouille de galérien de chacun de ces
martyrs de la liberté. »
Les deux femmes s'étant embrassées et félicitées,
Paris inviterait Brest à monter sur le char, ainsi que*
les quarante soldats et leur inévitable défenseur. Le
cortège se remettrait en marche, les iiiuiiicipaux
toujours suivant à pied, Coilot et ses clients se pava-
nant sur le char. On visiterait ainsi les ruines de la
Bastille, on parcomTait les boulevards, et Ton se ren-
drait à TAssemblée nationale. Là, CoUot, les délégués
4. Par exactitude il'liisiorieii uou> sommes oblii^é (i'em-
prunier les expressions mômes de ïallien, quoiqu'elles soient
d'un fiançais plus qu'équivoque.
Digiti
26
LE 20 JUIN !7y2.
de Brest et les quarante soldats descendraient du
char et iraient présenter leurs hommages aux légis-
lateurs de la France. Le programme épargnait du
moins à l'Assemblée la vue des deux déités et leur
apparition scandaleuse dans le sanctuaire des lois.
Après cette visite, que les organisateurs de la fête
imposaient, de leur pleine autorité et sans les avoir
consultés, aux représentants du peuple français, le
cortège devait se diriger, par les places Vendôme et
Louis XY, u où l'efligie des despotes serait voilée', »
vers le Champ de Mars, où des cantates en Thonneur
des Suisses monteraient au ciel parmi des flots d'en-
cens.
Cette céiTémonie, destinée, disait le programme, à
purifier le champ de la Fédération, étant termmée, on
déchirerait le crêpe qui jusqu'alors aurait couvert le
drapeau national, et on se livrerait à des festins
civiques et à des danses qui devaient durer, suivant
rexpressioû du poétique programme, autant que le
jour, trop prompt à fuir, le permettrait. »
Toutes les sections de Paris avaient été invitées à
nommer des commissaires pour assister à la fête. La
section Sainte-Geneviève élut Boucher, le poëte des
JUoiSf qui soutenait avec courage, dans le Journal
de PariSj les principes constitutionnels. « J*acceptei
4. La statue de Louis XIY existait sur la placô Vendôme, et
c.elle de Louiâ XV sur ta place de ce nom, aujourd'hui place de
la CoQcorde.
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LE 2U JUIN M9t.
écrivit Boucher (31 mars), mais à la condition que
le buste du générera Desilles sera swr le" char de
triomphe, afin que le peuple contemple l'assassiné
au milieu des assassins ! n Cette lettre souleva des
transports de colère parmi les Jacobins. Un certain
Mehée de La Touche, lui-même commissaire de la
fête, y répondit, dans les Annules patriotiques^
en insultant grossièrement Roucher et en lui jetant
à la face, dans un poist-scriptum, une accusation de
vol formulée en ces termes : a Nous savons qu'il y a
de par le monde une certaine caisse financière qui
de pleine se trouva vide. » Boucher, montrant dans
cette circonstance une énergie et une résolution qui
doivent être données comme exemple, annonça qu il
allait porter plainte contre l'auteur de cette ignoble
calonmie.
« U est temps, s*écriait-il à la fin de sa vive
réplique, qu'un homme probe obtienne une répa-
ration qui, par un juste eOroi, purge enfin la so-
ciété de ce qu'elle a de plus impur, des libellistes,
de leurs fauteurs, complices et adhérents. »
Sur la menace d*un procès en diffamation, les
Annales patriotiques reculèrent lâchement. Elles s'y
reprirent à deux fois pour déclarer que l'insertion
de la note dont lioucher se plaignait avait été faite
par suite d'une faute d'impression ; elles ajoutèrent
même à cette excuse, aussi plate que mensongère,
cette rétractation formelle : « Nous ne nous conso-
lerions pas d avoir pu fournir une occasion & la
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LK 20 JLIN 1792..
moindre interprétation qui fut injurieuse à M. Rou-
cher, si nous n'étions bien sûrs que son excellente
réputation éloignera toujours de lui, aux yeux de
tous les gens de bien, l'ombre même du soupçon. »
On ne pouvait s'humilier davantage. Rouclier se hàla
de faire réimprimer les deux rétractations des An-
rudes dans le Journal de Paris en les accompagnant
de ces réilexions, qui sont de tous les temps : « Je
demande aux bons citoyens d'avoir le courage de
leur vertu ; ces factieux, ces calomniateurs, ces bri-
gands qui nous agitent, nous diffament et nous
égorgent, ne sont forts que de notre faiblesse. Es^
sayons de leur faire téte, et l'audace à l'instant ne
sera plus que de la lâcheté. »
Les démagogues tentèrent de prendre leur re-
vanche de cette déconvenue, et GolIot-d'Herbois vint
lire aux Jacobins un écrit intitulé : La vérité sur les
soldats de Châteamieux, Ce dithyrambe en faveur
de i insubordination fut imprimé, distribué aux so-
ciétés affiliées, et placardé sur les murs de la capi-
tale par ordre du club. Le Journal de Paris (4 avril)
y répondit par une réfutation pleine de force, de
verve et d'ironie. Cette réfutation est sigiiée d'un
nom glorieux entre tous, celui d'André Cbénier.
Les poëtes ancieiis avaienl, dit-on, le don de la
divination; André Ghénier, qui savait si bien les imi-
ter, semble avoir eu le môme privilège. Sous Taîr
paterne que prenait l'auteur de XAlmanach du père
Gérard^ il pressentit le proconsul qui devait épou-
Digitizcû by
LE 20 J0IN 1793.
♦
29
vanter Lyon de ses fureurs ^ Mais l'admirable phi-
lippique n'était pas seulement dirigée contre l'in-
digne Collot; le poëte -journaliste y dénonçait à
l'indignation de tous les gens de bien la scandaleuse
bacchanale qui se préparait, les invitant à la laisser
passer dans les rues désertes et devant les fenêtres
fernQées. A cette vive attaque, Collot-d'Herbois répli-
qua par des injures et des banalités, accusant les
constitutionnels d'avoir u orp^anisé l'horrible aiïaire
de Nancy » et d'en vouloir une seconde. Après avoir
essayé de laver ses clients de tonte espèce de crime,
même du meurtre de Desilles, il terminait sa nou-
velle harangue en s'écriant : « Dites-moi si ces sol-
dats ne sont pas au contraire les plus surs vengeurs
de la liberté 1 »
Boucher lui rappela que naguère il s'était « pro-
sterné en esclave aux pieds de Monsieur, frère du
roi. » GolIoL-d'lIerbois, un moment déconcerté par
cette indiscrète révélation, n'en continua pas moins
d'exhaler son sentimentalisme prétendu patriotique.
Mais un autre histrion, plus vil et plus misérable,
Marat, s'irrita de ce qu'un nouveau-venu lui déro-
1. Les niai- se Ici lisaient au contraire prendre aux tendresses
bucoliques que débitait le sentimental comédien; c'est ainsi que
Lecointe-Puyraveau s'écriait, le 40 juillet, à la tribune de l'As-
semblée nationale :
« Quel est le département, la ville, le canton où le nom de
M. Collot-d'Herbois ne soit connu et chéri ? »
Lee Brotteanx surent bientôt qui avait deviné juste d*Aiidr6
Cbénier ou de Leco^nte-Puyiaveau.
2.
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30
LE 2U JUIN 1792.
bât le titre et le rôle de seul et unique ami du
peuple. Marat fit semblant d'être indigné de cette
sensiblerie de commande, de cette plaidoirie sur
circonstances atténuantes, et accusa CoUot d'avoir
voulu déguiser les titres que les soldats de Château-
vieux avaient à la faveur de ce qu*il appelait les
patriotes. L'écrit de son rival en po[)Lilaritc n'était,
selon lui, que le « verbiage d*un rbéteur pusilla*
nime, » et, se hâtant d'y substituer « les aveux ingé-
nus d'un citoyen éclairé et les vérités lumineuses
d'un politique hardi et profond » (c'est ainsi que ce
misérable parlait de lui-même), il dévoilait aux yeux
des moins clairvoyants toute la portée de la féte qui
se préparait.
« Oui, s'écriait-il avec son impudence ordinaire,
oui , les soldats de Châteauvieux étaient insubordon-
nés à des officiers fripons qui les opprimaient... Oui,
les soldats de Châteauvieux ont résisté à un décret
barbare qui allait les livrer au fer d'une armée d'as-
sassins... Oui, les soldats de Châteauvieux se sont
mis en défense contxe les aveugles satellites qui s'a-
vançaient sous les ordres d'un conspirateur sangui-
naire, pour les asservir ou les massacrer... Oui, les
soldats de Châteauvieux ont fait mordre la poussière
à quinze cents féroces satellites soudoyés et volon-
taires nationaux qui accouraient pour les égorger I
Que leur reproche-t-on ? D'avoir violé quelques dé-
crets iniques d'un législateur corrompu? Mais c'était
pour obéir aux plus saintes lois de la natui e et de la
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LK 20 JUIN 1792.
31
société, devant lesquelles toute autorité doit fléchir.
Loin de leur faire un crime de leur courageuse résis-
tance à leurs oppresseurs, à leurs assassins, on doit
leur en faire un mérite... La saine doctrine de la
résistance aux mauvais décrets peut seule sauver
rÉtat; VAmi du peuple la prèchera-t*ilàdes sourds'?»
lY.
La question étant ainsi posée, quiconque respec-
tait la loi et idmait Tordre ne pouvait voir de sang-
froid les préparatifs de Fignoble paràde. La polé-
mique des journaux s'envenima de plus en plus; les
murailles se couvrirent de placards de toutes cou-
leurs, où la fête projetée était attaquée et défendue
sur tous les tons et sous toutes les formes.
La municipalité envoya aux quarante-huit sections
et aux soixante bataillons, avec prière de raffîcher,
une lettre dans laquelle Pétion expliquait ce que de-
vait être cette fétê qui excitait tant de rumeurs. « De
quoi s'agit-il? disait le maire avec sa bonhomie de
convention. Des soldats, qui, les premiers avec les
gardes-françaises, ont brisé nos fers S qui ensuite en
\ . HAmi du peuple, n*" 637.
^. Les partisans de la féte prétendaient que les Suisses de
CbÀieaiivieux avaient refu^. en juillet 4789, de- tirer sur le
Digitized
32 LE 20 JUIN 1792.
ont été surchargés, arrivent dans nos murs. Des ci-
toyens projettent d' aller à leur rencontre, de les re-
cevoir ayec fraternité. Ces citoyens suivent un mou-
vement naturel, ils usent d'un droit qui appartient à
tous. Us invitent leurs concitoyens, ils invitent leurs
magistrats à s'y trouver. Les magistrats ne voient
rien là que de simple, que d'innocent. Ils voient des
citoyens qui s'abandonnent à la joie, à l'allégresse;
chacun est libre de participer ou de ne pas participer
à cette fête; ce n'est pas rautorité cfui la provoque,
c'est le vœu des citoyens qui la donne. Si personne
n*eùt vu que ce qui est, tout se ser»t passé sans
bruit, tout se serait fait à Paris comme dans les villes
que les soldats de Châteauvieux ont traversées et où
ils ont été bien accueillis. »
Gela dit sur le ton le plus naïf, le maire regrettait
le bruit inutile et dangereux fait par les malinten-
tionnés :
«C'est mensongèreraent , aHîrmait-il, que ion a
insinué que des inscriptions injurieuses pour la garde
nationale seraient portées dans le cortège, que le
drapeau tricolore serait couvert d'un voile funèbre
et que l'on procéderait à la purification solennelle du
peuple. Ce régiment, aiosi que plusieurs autres, était campé au
Champ de Mars et n'avait pas eu occasion d'opposer un refus
à des ordres qu'on ne lui avait pas «ionnes. Mais peu imporUiit,
en 17112, aux Jacobins; les besoins de la circonstance exi-
geaient que les Suisses de Châteauvieux fussent représentés
comme des victimes de leur dévouement À la cause du peuple.
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LB 20 JUIN nu'i.
Champ de Mars. Dans le plan comi^uiuiqué à la ma*
nicipalité, rien de tout cela n'existe! )>
Cette affirmation roulait sur une misérable équi-
voque. Toutes ces énormités se trouvaient , comme
nous l'ayons vu, dans le plan primitif. Mais quinze
jours s*ét£dent écoulés; les ordonnateurs de la fête*
qui tenaient beaucoup à traîner la municipalité pari-
sienne» ou au moins une grande partie de ses mem-
bres, à la suite du cortège, avaient eux-mêmes com-
pris qu'ils devaient modiiier leur programme. C'est
ce qu'ils avaient fait, et c'est ce qui permettait au
maire de Paris d'opposer un démenti aux réclama-
tions qu'Acloque, commandant général de la garde
nationale pour le mois d'avril, avait adressées au
procureur général syndic Kœderer, au nom de tous
ses camarades.
. Quelques jours après, le maire écrivit une nouvelle
lettre, cette fois adressée au directoire du départe-
ment, et dans laquelle il cherchait à excuser la muni-
cipalité de la part qu'elle avait cru devoir prendre
indirectement à la fête projetée.
« Lorsque des pétitionnaires se sont présentés au
conseil général pour le prier d'assister à celte céré-
monie, lorsque les sections ont fait le même vœu, on
ne pouvait pas s'attendre qu'un esprit de vertige
s'emparerait d'un grand nombre de têtes, que des
intrigants travailleraient les esprits et que cette fête
deviendrait une aflaire de parti et un sujet de récla-
mations...
LK '20 JUIN 17112.
« Le conseil général ne vit rien (|ue de très-simple
et de très-licite dans une semblable fête. Il promit
de s'y trouver, et il crut même que sa présence était
un acte de prudence et de sagesse « qu'elle serait
propre à contenir les citoyens dans les justes bornes
des convenances et à maintenir entre eux la paix et
la fraternité.
« Bienpius,ajoutaitle maire, aliii d'enlever toutpré-
texte aux intrigants, il avait été décidé depuis que la
municipalité n'assisterait pas à la cérémonie en corps,
et que môme ses membres y paraîtraient sans écbarpe
et comme de simples citoyens. A cette résolution le
département n'avait trouvé aucun inconvénient; une
seule chose l'offusquait encore le dessein annoncé
de voiler lea»statues qui ornaient les places Vendôme
et Louis XV ; mais les ordonnateurs de la fête avalent
renoncé à cette partie du programme, »
Ici, Pétion, plus véridique que dans sa lettre aux
sections, avouait que Ton avait imprimé et placardé
un projet de fête qui avait froissé beaucoup de ci*
toyens, et qui contenait en effet des choses propres à
les irriter; mais ce projet ne devait pas être suivi et
il fallait revenir à la question, qui se posait ainsi :
(i Des citoyens peuvent-ils aller au-devant des sol-
dats de Châteauvieux, les accueillir, leur donner des
repas, se livrer à toutes sortes d'amusements, de té-
moignages de joie et d'allégresse? Je pense que oui,
à moins qu'un décret n'ordonne qu'aucun citoyen ne
puisse, le jour de leur arrivée et pendant le temps
biyilizûu by
de leur séjour, sortir de chez lui. Je ue vois pas com-
ment il serait possible d'empécber cent, deux cent
mille citoyens de se porter au-devant d'eux, et de
leur faire toute sorte d'accueil. La féte en question
n est point une féte publique ; le nombre des citoyens
n'y fait rien. U n'y a de fôtes publiques que celles
qui sont données par les autorités constituées, et, ici,
aucune autorité ne s'en mêle. »
Ainsi, ce n*étdent plus de simples particuliers qui
préconisaient cette féte; le premier magistrat de la
première yiUe de France se mettait de la partie; dans
des lettres explicatives qui n'expliquaient rien, il dé-
veloppait la singulière théorie, si souvent mise en
pratique, de régulariser et d'autoriser ce que l'on ne
peut empêcher. Ces lettres méritaient de vigoureuses
réponses ; elles ne leur manquèrent pas. André Ghé-
nier releva dans le Journal de Paris l'épitbète
intrigants que, dans sa lettre au directoire du dé-
partement de Taris, Pétion avait appliquée aux con-
tempteurs des Suisses de Ghâteauvieux et de leurs
amis, u Monsieur Pétion, dit-il, les intrigants sont ceux
qui se dévouent aux intérêts d'un parti pour obtenir
des applaudissements ou des dignités. Les intrigants
sont ceux qui font plier ou qui laissent plier les lois
sous la volonté des gens à qui ils se croient redeva-
bles. Les intrigants sont ceux qui, étant magistrats'
publics, flattent lâchement les passions de la multi-
tude qui régue et les fait régner, etc. ; voilà quels
sont les intrigants.. »
LE 20 JUIN 1703.
Pendant ce temps, des pétitions se couvraient de
signatureddaus tous les quartiers de la capitale contre
la fête parliculiire donnée publiquement aux Suisses
de Châteauvieux.
En présence de pareilles démonstrations, en pré-
sence des liésitations de la municipalité et de Top-
position presque formelle du directoire du départe-
ment, les meneurs virent qu'il fallait modifier leur
projet*
Tallien et Collot-d'Herbois se crurent obligés de
déclarer au club des Jacobins que la fête annoncée
serait dédiée à la Liberté. C'était le seul moyen de
faire taire les scrupules des gens timorés*
V.
Pendant que l'on discutait ainsi à Paris sur le pro-
graoune, les triompbaieurs futurs quittaient le bagne
de Brest, et s'avançaient à petites journées, fêtés
par les sociétés jacobines, couronnés de fleuis, pro-
clamés « victimes de la liberté ^ » Arrivés à Versailles,
ils furent entourés par les jacobins de cette ville et
conduits le soir même au théâtre, où Ton représen-
4. ^eiiou, leUre k Dupoot de Memours.
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LE iU JUiiN ivri.
31
tait la tragédie de Bnitus. Le lendemain on les mena
daûs la salle du Jeu de Paume, ce berceau de la
tiberté française; comme si ces quarante soldats
avaient pu avoir quelque chose de commua avec les
hommes qui, le 20 juin 1789, rendirent ce lieu à
jamais célèbre î
Un banquet avait été préparé dans un bâtiment
voisin de la salle; Guachon, l'orateur ordinaire du
faubourg Saint-Antoine, était accouru de Paris avec
une bande d ulottes, pour féliciter de leur
' délivrance les héros de la fête, et leur libérateur,
CoUot-d'Herbois, de son patriotisme.
Après le banquet, les Suisses prenneut la route de
la capitale, où ils arrivent suivis d'une foule nom*
breuse, qui force les particuliers qu'elle rencontre à
descendre de voiture et à se découvrir pour honorer
les enneiuis du despotisme. Les Suisses sont conduits
immédiatement à l'Assemblée nationale, et leur dé-
fenseur demande au président F autorisation de pa-
raître avec eux à la barre.
Cette demande soulève, cumiiic on devait s'y ai-
tendre , r opposition de la droite, u Si les Suisses de
Châteauvieux ne se présentent que pour témoigner à
r Assemblée leur reconnaissance, qu'ils soient reçus
à la barre et entendus, s* écrie Jaucourt; mais qu'ils
ne soient pas admis à la séance 1 ils doivent être
exclus de cet honneur. »
Les tribunes avaient été soigneusement remplies
d'amis de GoUot et des Jacobins : à cette proposition
3
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38 LE sa JUIN 1792.
elles répondent par des cris redoublés : « A bas ! à
bas ! » Jaucourt, sans s'eO'rayer des interruptions, pose
très-nettement la question : « One amnistie n'est ni
un triomphe ni une couroune civique; je veux croire
que les soldais de Château vieux ont été égarés; mais
la garde nationale, mais les soldats de la troupe de
ligne, qu ils ont combattus aux portes de Nancy, se
sont dévoués à la défense delà loi, et eux seulement
sont morts pour la patrie; lorsqu'on a honoré leur
mort d un deuil public, lorsque ce deuil a été porté
par toutes les gardes nationales de France, était-ce
pour qu'on décernât, un an après, les mêmes hon-
neurs à ceux sous les coups desquels sont tombées
tant d'infortunées victimes de la loi? »
Ces paroles soulèvent des applaudissements à
droite, mais les murmures redoublent à gauche et
dans les tribunes.
« Qu'il soit permis, reprend Jaucourt, quil soit
permis à un militaire qui fut, avec son régiment,
commandé pour cette expédition, de vous représenter
que votre décision peut faire une grande impression
sur r armée ; les honneurs que vous rendez aux soldats
de Ghâteauvieuxles feront considérer^ non pas comme
des hommes qui ont été trop punis, mais comme des
victimes innocentes... »
« Oui, oui , » crient la gauche et les tribunes*
Pendant que Jaucourt retourne à son banc, son col-
lègue et son ami, Gouvion, monte à la tribune, et
•ia d une voix emue :
LE iO JliliN 1792.
39
IX J*avais un frère, bon patriote... toujours prêt à
se sacrifier pour la loi; c'est au nom de la loi qu'il a
été requis de marcher sur Nancy avec les braves
gardes nationales. Là il est tombé percé de cinq coups
de fusil. Je deniande si je puis voir traai^uiiiement
les assassins de mon frère... »
« Eh bien! monsieur , sortez! » lui crie-t-on in-
solemment des bancs de la gauche. A ces mots»
quelques spectateurs applaudissent; maisFAssemblée,
presque tout entière , manifeste la plus vive indigna-
tion. Un grand nombre de députés réclament la cen-
sure contre l'interrupteur, quelques-uns même de-
mandent qu'il soit envoyé à TAbbaye.
« Je traite, s'écrie Gouvion, je traite avec tout le
mépris qu'il mérite le lâche qui a été assez bas... »
■ « A la question 1 » hurlent les amis des Jacobins.
Ghoudieu a l'impudence de se lever et de déclarer
que c'est lui qui a interrompu Gouvion.
Cette brutalité lui mérite naturellement les applau*
Ossements des tribunes.
u Le malheureux! reprend froidement Gouvion, il
n*a donc jamais eu de frère 1 » Et il quitte F Assemblée
pour n'y plus reparaitie
4. « Ea quittant la tribune, le général Gouvion sortit de la
salle par le coté d'où ie mot injurieux était parti; je me hâtai
de raccompagner. Dans le peu d'instants que nous restâmes
ensemble sur la terrasse des Feuillants, Gouvion me dit : « Je
« ne remettrai jamais les pieds dans cette salle. » Il rentra chez
lui, et, lorsque j'allai le retrouver après la séance, il avait déjà
40
LË !2U iUIM 1192.
Le paralytique Goatbon lui succède à la tribune et
prend la défense des Suisses de Châteauvîeux. 11
demande qne l'Assemblée « leur fasse oublier les
maux qu'ils ont bOuircrLs, eL liouore en eux le trioniphe
de la liberté; n il appuie son raisonnement d'un aveu
précieux à recueillir, car il montre bien que les
Jacobins eux-mêmes étaient loin de voir des béros
dans les révoltés de Nancy, et qu'ils ne les exaltaient
que pour les besoins de leur politique.
(( Quand même on aurait quelques reproches à
leur faire y qiuind même ils auraient été égarés y il
faudrait être bien ésclavê des vieux préjugés, pour
vouloir déshonorer des iioiiiuies que la loi a inno-
centés. Les soldats amnistiés sont rentrés dans le
diOiL couunun; par conséquent l'Assemblée doit leur
accorder, comme à tous, les honneurs de la séance. »
« Eh bien ! alors, s'écrie un membre de la droite
(de Uaussy) , je demande que le buste de Desilies soit
placé sur le bureau. »
Après un violent tumulte , excité par ces paroles ,
on passe au vote sur ces deux questions : Faut-il
admettre les Suisses à la barre ? Faut-il leur accorder
adressé sa démission au président. « J'attendrai pendant vingt-
« quatre heures, me dit-îl, celui que J*aî traité de lâche, et
« demain au soir jo [>artirai pour rarmée. Là sans doute je
« trouverai une glorieuse fin à tout ceci. » Je ne pus le per-
sudiitT de reaonecr à (les>"iii; (;l ()eu de jours après, au\
avaDt-posles do l'avant-izardo du général La Fay«'lte, le brave
Gouvion elait tonibu, trappe du premier boulet eonemi. » [Hovr
venin de Matthieu Damas, 1. 11, p. 130.)
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LË 20 JUIN 1702.
41
les honneurs de la séance ? La première est adoptée
h runanimité. Quant à la seconde, le président, sur
Tavis des secrétaires , la déclare résolue aiiirmative-
ment par la majorité. Mais, pendant que les tribunes
applaudissent, un grand nombre de membres de la
droite descendent de leurs bancs et réclament F appel
npriiinal. Le plus grand désordre règne dans l'As-
semblée : les députés échangent, d'un bout à Tautre
de la salle, des paroles insultantes et des menaces.
Enfin le président, sommé par Lacombe de faire
iiiiiiiedi.itement procéder à l'appel nominal, s'y dé-
cide. La plupart des députés répondent de leur banc
par un oui ou par un non. Gouvion appelé ne répond
pas. « Il pleure son frère, » s écrie Gbéron. — « A
Tordre! à Tordre I » répond la gauche*.
L* appel nominal donne le résultat suivant :
Votants : 5 Ad; oui, 281; non, 265 voix.
A une majorité de 8 voix, les amis de Collot-
d*HerboisTavaient emporté. En conséquence, le pré-
sident déclare que les soldats de Ghàteauvieux, qui
ont été autorisés à se présenter à l'Assemblée, seront
admis aux lioiiiiE urs de la séance.
Les tribunes saluent leur victoire par de triples
acclamations.
Aussitôt les quarante Suisses paraissent à la barre,
.sons la conduite de leur défenseur officieux, Collot-
d'Herbois. Celui-ci remercie l'Assemblée de les avoir
4. Journal des Débats et Décrets, p. 102.
LB '20 JUIN 1702
amnistiés et rend compte du vif intérêt qa*ils ont
rencontré. « Intérêt accordé pour leur patriotisme,
s'écrie-t-il, et, si j'ose dire, pour leur innocence...
Puissent leurs fers que vous avez brisés, législateurs,
être les derniers dont le despotisme enchaîne jamais
les ardents amis, les défenseurs déterminés de la
liberté! n
La gauche et les spectateurs applaudissent, le pré-
sident Dorizy répond sèchement :
« L'Assemblée a prononcé en votre faveur une
amnistie; elle a ajouté à ce premier bienfait la per-
mission de vous présenter à la barre , pour recevoir
les témoignages de votre reçonnaissauce. £Ue s'est
empressée de briser vos fers, jouissez de sa bienfai-
sance, et qu'elle soit pour vous un motif puissant
d'amour pour vos devoirs et d'obéissance aux lois.
L'Assemblée nationale vous accorde les honneurs de
la séance. »
Les amis des Jacobins, contents de leur triomphe,
ne relèvent pas ce que contient d'amère ironie cette
dernière phrase, où le président parlait de devoir et
de respect des lois à des individus qui les avaient si
ouvertement méconnus; on se contente d'applaudir
avec frénésie les quarante Suisses, au moment où,
avec leur défenseur, ils prennent place dans l'inté-
rieur de la salle. Aussitôt commence le défile de l'es-
corte qui les accompagnait depuis Versailles; car,
par une suite de concessions arrachées à sa faiblesse,
l'Assemblée admettait à défiler devant elle des gardes
Lt; 2U JUIN 1792.
43
nationaux, des bataillons de voluniait es, et jusqu'à
des députations de sociétés populaires. Ëlle perdait
ainsi une paitie de ses séances à entendre des ha-
rangues où la raison , le bon sens et la langue fran-
çaise étaient violemment outiagés, où des menaces
et des insultes lui étaient souvent prodiguées; elle
n'avait pas même le courage de faire respecter sa
propre dignité, en imposant sileuce aux manifesta-
tions intempestives et aux vociférations tumultueuses
de ces singuliers visiteurs.
Des détachements de la garde nationale de Ver-
sailles ouvrent la marche avec leurs tambours battant
aux champs; puis viennent des gardes nationaux et
d'anciens gardes -françaises sans armes, criant à
tne*téte: « Vive la nation l o Us sont suivis d'un
nombreux cortège de cito} ens et de citoyennes, armés
de piques, coiffés du bonnet rouge, et de représen-
tants des diverses sociétés populaires de Paris et de
Versailles.
Gonchon parait à la barre , tenant à la main une
pique surmouiee d'un bonnet phrygien. Après avoir
juré de défendre l'Assemblée, la liberté et la Consti-
tution, il termine sa harangue en s'écriant; « Nous
vous en dirions bien davantage, mais nous avons déjà
tant crié: vive la liberté, vive la Constitution, vive
l'Assemblée nationale, que nous en sommes en-
roués ^ »
4. Gonchon est un de ces types qui méritent de nous arrêter
44
LB 20 JUIN 1792.
Ainsi se termina le premier acte de la comédie
préparée par les Jacobins. La séance de T Assemblée
fut levée aussitôt après le défilé. Dans la soirée , les
Suisses furent promenés dans tout Paris par GoUot-
quelques instants. C'était un très -habile oavrier dessinateur
pour les articles de soieries, qiu, i^agnanl largement sa vie,
consacrait par semaine deux journées à l'entrotien do sa famille,
et les autres au service de la Kevolution, comme il le disait lui-
même, plus tard, dans une de ses lettres au Comité de sûreté
générale. Il fut un instant caressé, adulé par les plus hauts pep-
sonnages du parti girondin. Gondorcet lui dédiait un mémoire
philosophique sur l'art de rendre les peuples heureux {Moniteur
du 94 décembre 4792); Roland lui confiait des missions payées
sur les fonds secrets mis à sa disposition : ce fut ainsi que Gon-
chon parcourut, sous 1 li.ibil d un colporteur, toute la province
de Liège, au moment de son annexion éphémère (h !a fin de
4792), et qu'il fit plusieurs voyages à Lyon et en Savoie (//i.s-
toire secrète de la Révolution, par Camille DesmouHns, p. 55).
Après le 34 mai, (îonchon devint suspect aux Jacobins, mais
on n'osa pas d*abord Tarrèter, % raison de la popularité dont il
jouissait dans le faubourg Saint- Antoine. Pendant quelque
temps il fut à moitié libre sous la garde d'un gendarme qui le
suivait comme son ombre à travers Paris; mais, dénoncé
nominativement au club des Jacobins, le 24 septembre 4793,
il fut arrùic par ordre de Robespierre; relâché un instant après
le 9 thermidor, repris de nouveau sur la déooncialion de Du-
bois4^rancé, il ne sortit définitivement de prison qu*en vendé-
miaire an III, après une captivité de onze mois.Gonchon rentra
dès lors pour toujours dans Tobscurité, d^oik son désir de se
poser en public comme le modèle des sans- culottes, Torateur
du faubourg Saint-Antoine, le délégué perpétuel des ouvriers
parisiens, l'avait fait sortir un instant. Pendant sa captivité, sa
femme et ses enfants étaient sans pnin, s;iiis ro-^oiirco. et pas-
saient les nuits à la porte du Comité de sûreté générale à sol-
liciter la mise en liberté de leur unique soutien.
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LE 20 JUIN 1792.
45
d*Herbois, leur inséparable patron, et présentés
particulièrement aux citoyens du faubourg Saint-
Antoine, line centaine d*homaies les suivaient, dont
une partie vêtus en gardes nationaux, criant sans
cesse : a Vive Ghâteauvieux! Pendez La Fayette et
BaiUy!* »
4 . Lettre de Dupont de Nemours à Pétîon. — Il faut lire
dans YHistoire parlemenUdre de Bûchez et Roux cette lettre
si remarquable où Ton trouve cette belle définition du peuple:
ff Vous dites, mon>ieiir, que celle fête est donnée par le
peuple. Qu'appelt'z-vous le peuple? Avez-vous ipcréé par
votre nutorité les ordres que In Consliiution a f]étruit'> pour
jamais ? Y a-t-il en Franco un autre peuple que la collection
des bons citoyens? Â-t-il une autre manière d'exprimer sa
volonté que par Torgane de ses représentanls? Peut-il, dans
un gouyemement représentatif, retenir l'autorité qu'il leur a
confiée? Hors de l'Assemblée nationale, il n*y a que des indi»
vidus qui n'ont le droit de s'exprimer que par des pétitions-
Le peuple est, souverain qu.md il élit; il jouit de sa souverai-
neté quand ?ps r(^presenlanls décrètent. »
Il faut aussi lire à la suite de cette lettre de Dupont de Ne-
mours la réponse que Pétion publia après révénement (Histoire
parlementaire, U XIY, p. 90 à 402). Ce morceau donne une
idée parfaite de ce personnage, qui s'encensait tui-môme avec
une fatuité ingénue, qui se déclarait à chacune de ses phrases
un magistrat modèle, un administrateur habile, prévoyant et
disert. On ne saurait trop étudier ce type de l'avocat do pro-
vince, enivré de ses succès au présidial de Chartres, de ses
triomphes dans les salons et dans les boudoirs de sa petite
ville, et qui, transplanté tout d'un coup sur un plus grand
théâtre, se croit destiné à jouer tout à la fois le rôle de LauzuUf
de Sully et de Guise. Mais , ce qui peut le mieux donner une
Idée exacte de son incroyable outrecuidance, c'est le récit qu'il
a laissé du retour de Yarenues, l'une des pièces les plus ca-
3.
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Lf? 20 JUIN 1792,
L'arrivée des Suisses à Paiis détermina la muûici*
palité à faire de nouvelles démarches auprès du dé-
partement, qui ne lui avait point encore permis de
publier son arrêté relatif à la fête. Pour vaincre les
dernières résistances de l'autorité départementale,
les meneurs adoptèrent la motion incidemment faite
au club des Jacobins par Tallien, et reprise par
Collot-d'Herbois. En fixant la date de la cérémonie
au dimanche 15 avril, on déclara qu'elle aurait pour
objet principal la liberté, et non plus les Suisses
libérés des galères. D'autre part, afin de contre-
balancer rinfluence des protestations qui arrivaient
de toutes parts, Pétîon écrivit de nouveau au direc-
toire « qu'il Y aurait mille fois plus de danger à em-
pêcher la fête qu'on préparait qu'à la laisser aller à
son cours naturel et paisible. »
ri(3u>os quo nos recherchos nou^ aient fait rencontrer; nous la
donn-ins à la fin de ce volume. vaniîoux ol ridicuio officier
municipal insinue que cette sainte, que l'on appelait madame
Ëlisaboih, a voulu le séduire et jouer avec lui le rôle deCircé;
il parle de cette femme si pure et si chaste en des termes que
ron croirait empruntés aux pass^t^es les plus érotiques de la
Nouvelle ttéloise.
LL iU JUIN 17U^i.
47
Le département céda de guerre lasse. Par son
arrêté du 12 avril, il chargea la municipalité de
Paris de continuer de veiller avec la plus p^rande
attention à ce que, à Toccaston du rassemblement
projeté pour le 15 de ce mois, il ne se passât rien
qui pût blesser le respect dû aux lois, aux autorités
constituées, à la dicrnité et à la sûreté des citoyens ^
5aiis plus tarder, la municipalité envoya aux
soixante bataillons et aux quarante-huit sections un
arrêté signé PàtioUy maire, et Dvjoly^ secrétaire-
greffier, par lequel étaient réglées les mesures
d'ordre nécessitées par la léte. Elle se contentait
d'interdire toute exhibition d*armes dans « cette belle
journée, » où le peuple, comme elle disait, ne devrait
se réunir que pour « se livrer aux sentiments de la
joie et de l'alléc^resse. »
Les journaux anarchistes en étaient donc arrivés à
leurs fins; ils devaient naturellement célébrer leur
victoire par un redoublement de violence, li s' agis-
sait pour eux de servir aux passions populaires,
fortement excitées par l'ardente polémique des der-
nières semaines, un breuvage d'une phis âcre
saveur que de coutume. Ils ne s'en firent fruité.
Voici quelques-unes des pages que l'auteur du Père
Duchcsnc consacra à célébrer ti ioniplie des Suisses
de Cbàteauvieux. Par cette seule citation, on pourra
4. Àrrèlé signé : La Rochefoucauld, prêi»idont; BIondeK
secrétaire. — Cilé in extenso dans y Histoire parlementaire ,
t. XIV, p. 403-nO.
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48
LE 20 JUIN 179S,
jager à quel paroxysme de fureur et de dévergon-
dage en étaient déjà arrivés à cette époque les gaze-
tiers ultra-révolutionnaires.
(( Malgré Veto, nous avons brisé leurs fers; à
sa barbe et à son nez, les soldats de Gh&teauvieux
vont être conduits en triomphe. Je ci ois rapcrccvolr
à travers sa jalousie comme le jour de la fête de
Voltaire ; c'est alors qu'elle rugira comme un tigre
encbainé, de ne pouvoir s'abreuver de notre sang.
« Les voilà, s'écriera-t-elle, ces victimes échappées
à ma rage. En vain mon fidèle Blondinets d'accord
avec son cousin Bouillé, aiu*a-t>il manigancé le mas- ^
sacre de Nancy, en vain m'aura-t-il promis de faire
expirer sur la roue tous ces Suisses rebelles à mes
volontés, et qui refusèrent de massacrer le peuple
de Paris, ce peuple que j'abhorre et dont j'ai tant
de fois juré inutilement la perte.
u Voilà, f..., n'en doutez pas, les gentillesses qui
sortiront de la g de M"* Veto quand elle con-
templera la fête que nous préparons aux Suisses de
Ghâteauvieux ; mais pour la faire crever de dépit, il
faut nous surpasser dans cette journée, f.». I Dans
l'ancien régime, quand il naissait un petit louve-
teau, c'était un remue-ménage de b... dans Paris.
Ce n'étaient que fontaines de vinaigre, que cervelas
de cheval. La famille Veto, qui faisait alors son
jouet du peuple, quoiqu'il fût son maître, son sou-
4 . Blondinet veut dire La Favelle.
■
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LE 20 JUIN 1792.
49
verain, riiumlliaU tant qu elle pouvait; mais, f..., le
peuple a repris sa revanche, c'est à nous maintenant
à faire danser les rois.
o Si ces braves soldats , ainsi que les gardes-
françaises, n'avaient pas refusé de faire feu sur le
peuple, c'était f... de nous; Paris aurait été saccagé
et H**^ Veto serait dans la jubilation ; elle marcherait
sur la cendre avec le héros de Bagatelle* et la...
Poiignac et se croirait au comble du bonheur en
s* écriant : Ici fut Paris ! là était le faubourg Saint-
Antoine 1 Aux piques! f..., braves sans-culottes,
aiguisez- les pour exterminer les aristocrates qui
osent broncher; que ce beau jour soit le dernier de
leur règne ; nous n'aurons de repos que quand la
dernière tête d'aristocrate sera tombée.
« Quant à ce Desilles , dont Taristocratie a voulu
faire un béxos, il est faux, f..., que ce soient les
Suisses de Châteauvieux qui l'aient envoyé voir
Henri lY. Ce sont soldats qu'il commandait; il
n*y a pas gros f... à parier qu'il se serait mis à la
gueule d'un canon, s'il avait prévu qu on y f... la
mèche; d'ailleurs, f.«., en supposant que ce b...-là
ait eu le courage de braver la mort, est-ce pour la
cause du peuple? Mon» f..., c'était au contraire pour
le mannequin que les aristocrates appellent leur
auguste maître »
4. Hébert se plaisait à donaer ce sobriquet au comte d'Ar-
tois.
5. Voir les numéros 4110 et \n du Fêre Duekeme, M* Louis
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LE 20 JUIN 1 70ti.
VII.
A propos de cette fête on avait, depuis un mois,
tant parié dans les clubs et sur les places publiques,
on avait couvert les murailles de tant de placards,
on avait sur tous les tons, dans les vingt journaux
jacobins qui se partageaient la faveur des ultra-
révolutionnaires, si bien chanté les louanges des
Suisses de Gbâteauvieux, que tout le monde vouldt
voir ce qui avait été Tobjet d'un si formidable
tapage.
Les ordonnateurs de la fête axaient naturellement
choisi un dimanche; ce jour-là, et surtout dans les
premiers beaux jours du ])rinteinps, les masses
désœuvrées sont toujours très-avides d'un spectacle
qui ne doit rien leur coûter, et dont le récit et les
incidents feront le sujet de toutes les conversations
pendant la semaine. Le programme, tel que nous
Favons donné plus haut, était complètement changé.
Blanc donne fl »ns son Ifi^fnire de la Rf'volulion (t. VT,
p. 314) un oxtrait d(» cos nitMiios aiticips, ot flôtrit à cctto oc-
casion ff rignobl^ Hi'»horl et son journal ordurier, qu il faut
bien citer quelquefois, dit-il, pour être juste et malgré le dé-
goût qu*OD éprouve. »
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LE 20 JUIN 179^.
M
Il n*y avait plus ces tableaux vivants qui d*avaTice
avaient si fort scandalisé les aniis de la décence
publique; ils ne furent écartés cette fois que pour
reparaître plus brillants et plus nombreux « lorsque
le triompbe de Tanarchie fut complètement assuré.
En revanche, et pour que le public n'y perdit rien,
les quarante hommes qui devaient porter les chaînes
des galériens étaient remplacés par « quarante vier-
ges, » lisait-on dans le nouveau programme.
Au jour indiqué, amis et ennemis des Jacobins,
oisifs et curieux, obser\'ateurs silencieux et désolés,
démagogies avinés, braillards et turbulents de toute
espèce, s'étaient donné rendez-vous dans les rues
que devaient parcourir ces triomphateurs destinés
à retomber le lendemain dans la plus complète
obscurité.
Le cortège se trouva réuni vers midi à la Bastille.
Ses stations principales furent : F Hôtel de Ville, où
il recueillit le maire et un grand nombre d'ofticiers
municipaux ; TOpéra, qui occupait alors la salle de
la Porte-Saint-Marlin, et dont Torchestre, placé sur
une estrade, exécuta le chœur de la Liberté et la
ronde nationale; la place Louis XV, où quelques dé-
putés se mirent dans les rangs, et entin le Champ
de Mars, terrain choisi pour la cérémonie principale
et les réjouissances populaires.
La marche était ouverte par un groupe portant les
bustes de Voltaire, de Rousseau, de Franklin et de
Sidney» II éXsii formé, prétendait-on, d'Américains
52
LE 20 JUIN 1792.
et d'Anglais, sans doute les mêmes qui avaient servi
de comparses à Anachaisis Clootz dans la ridicule
eihibition qu'il avait faite à la barre de FAssemblée
constituante ^
Ensuite paraissaient deux sarcophages réunis Tun
à l'autre au moyen d'une banderole sur laquelle
étaient inscrits ces mots : « Bouillé et ses complices
sont mih eoupahles! » Sur ces sarcophages on lisait
les noms des gardes nationaux ou Suisses qui avaient
péri à l'affaire de Nancy.
Une bande de quatre-vingt-trois sans-culottes
suivait, faisant flotter des bannières, sur chacune
desquelles on lisait le nom de l'un des départements
qui, de la sorte représentés, donnaient à la cérémo-
nie jacobine le caractère d'une fête nationale. Der-
rière ces sans-culottes se pressait une multitude de
citoyens et de citoyennes des diverses sections , en-
4 . Il paraît que Clootz voulut renouveler celte même parade
devant rAssemblée lé^rislaiive. Nous avons trouvé la lettre
suivante, qui peint admirablement le personnage et démontre
sa folie. Cet homme tut cependant pris au sérieux par la
France d'alors, puisque deux départements ( Saône-et-Loire
et Oise) le nommèrent,» quelques mois plus tard , leur repré*
sentant à la Convention nationale.
« AU CHBP-LIEU DU GLOBE, LB 2i AVRIL DE L'AN IV.
c Législateurs,
cr n s*agit de la liberté du ^nre humain, permettez à son
« orateur de se présenter devani vous : je serai laconique^ car
« le temps est venu de parler,
« Anaghaesis CiiOotz, orateur du genre humain* »
biyilizûu by
LE 20 JUIN
cadrés dans deux files de gardes nationaux sans
armes, msus qui, conformément au programme,
tenaient à îa malu an épi de blé. Ces épis n'étaient
pas plus mûrs pour la moisson que ceux qui les por-
taient n'étaient mûrs pour la véritable liberté. La fête
dont ils étaient les acteurs n'était en effet que le
prologue de Tanarcbie. Les hommes de bon sens s'en
aperçurent tout de suite; trop tard le reconnurent
bon nombre de ceux qui battaient des mains au
défilé de toutes ces idylles en action , inventées et
préconisées par les Hébert, les Collot et les Robes-
pierre.
Puis Tenaient le Livre de la Comiitutiofiy la Table
de la dérluration des droits^ portés entre deux ran-
gées de soldats-citoyens. Par cet étalage de la léga-
lité matérielle, on mettait à couvert la responsabilité
des magistrats municipaux qui suivaient Timage du
pacte fondamental sous la conduite du maire de Pa-
ris. Sans doute, ces magistrats, auxquels s étaient
mêlés quelques députés, n'étaient point revêtus de
leurs insignes, mais leur présence seule montrait en
quel mépris la loi , qu'on proclamait inviolable, était
déjà tombée. Les représentants des sociétés patrio-
tiques, des Jacobins, des Cordeliers, les précédaient,
les entouraient et paraissaient les absorber, ce qui
n'était pas encore absolument vrai, mais ce qui allait
bientôt l'être.
Cette longue file d'autorités légales et illégales
était suivie de l'objet principalement offert à l'admi-
LK 20 JUIN 1792.
ration du peuple : une galère. Car, dans cette fureur
d'abatUe tout ce qui avait été houoré jusque-là et
de réhabiliter tout ce qui avait été méprisé, on avait
résolu de donner la place d'honneur au signe de Tin-
famie.
Âutoui* de cette galère s'enroulaient, « comme une
couronne de fleurs» » suivant les expressions du poé-
tique Tallien, « les quarante vierges » qu'il avait choi-
sies. Les soldats de Ghâteauvieux les suivaient. Us
étaient mêlés à dessein avec des ci-devant gardes-
françaises qui, pour exciter de plus chaleureuses
démonstrations , avaient endossé leur ancien uni-
forme, et portaient le drapeau, les clefs et des pierres
de la Bastille.
La marche était fermée par un char que traînaient
vingt-quatre chevaux blancs et cpii se terminait en
forme de proue (toujours pour rappeler la galère).
Une statue colossale de la Liberté y était assise sur
une chaise curule. Devant elle, comme devant les
idoles antiques, Fencens fumait. De la main droite
elle monUail au peuple le bonnet louge ; de Taiitre,
que tenait-elle? un bouquet d'épis de blé? Tépée de
la loi? non ; une masmet N'était-ce point assez sîgni-
hcatif? Sous ses pieds, selon la coutume, un joug
était brisé. Au-dessus d*elle planait la Rçnommée
annonçant au monde : La France est libre l
Le cortège s'arrêta au Champ de Mars; la foule
des spectateurs qui s'y était accumulée ne manqua
pas d'exprimer, par de chaleureux applaudissements.
Digiii^uo L^y Google
LE 2U JUIN 179i,
«M
combien sa curiosité s'estimait satisfaite. La Table
de la déclaration fut posée sur Tautel de la Patrie;
auprès d'elle oa rangea les divers drapeaux et em-
blèmes; le char de la Liberté fut traîné au son de la
musique autour de Tautel. Kniin, l'ordre de la marche
fut rompu, et les citoyens et les citoyeanes exécu*
tërent les danses et les farandoles les plus patrio-
tiques.
VIIL
Marie-Joseph Chénier était Fauteur des devises et
des inscriptions offertes aux regards de la foule; il
avait versifié les chœurs patriotiques qui avaient été
chantés aux diverses stations de cette procession d*un
nouveau genre, destinée à* inaugurer un nouveau
culte, celui de la licence. Au même moment, son
frère, André Chénier, dénonçait Tanéantissement des
lois dans des ïambes où Tironie la plus sanglante se
mêle à la poésie la plus sublime. La fête soi-disant
patriotique ne dura que quelques heures, les ïambes
sont restés immortels et vengeront amplement, dans
les siècles futurs, la morale, la raison et la justice
si indignement outragées ce jour-là par Gollot-d'Her-
bois et ses acolytes. Aux yeux des littérateurs et des
Digrtizeij Ly <jOOgIe
Ô6 LE 20 JUIN 1792.
poètes, ils rappellent les chefs-d'œuvre dont Archi-
loque et Juvénal ont enrichi Tantiquité; aux yeux
de l'historien , ils sont un admirable résumé de la
situation que subissaient, en 1792« les vrais amis de
la liberté. C'est le dernier cri de douleur d'une ftme
libre qui voit s'évanouir ses illusions , à la lueur de
l'incendie allumé par Tégale fureur des deux partis
extrêmes qu'elle s* est épuisée à combattre.
Hélas! pourquoi faut-il se rappeler que ces vers
jiiagnifiques coûtèrent la vie à leur auteur, et que les
modernes tyrans se vengèrent, comme les tyrans de
l'antiquité, en envoyant à la mort le poëte qui les
avait bafoués I
Salut, divin triomphe I entre dans nos murailles,
Rends-nous eus guerriers illustrés
Par le sang de Desille et par les funérailles
De tant de Français massacrés.
Jamais rien de grand n'embellit ton entrée :
Ni quand l'ombre de Mirabeau
S'achemina jadis vers la >foùte sacrée
Où la gloire donne un tombeau ;
Ni quand Voltaire mort et sa cendre baaiiie
Rentrèrent aux murs de Paris,
Vainqueurs du fanatisme et de la calomnie
Prosternés devant ses écrits.
Un seul jour peut atteindre à tant de renommée,
£t ce beau jour luira bientôt :
Cest quand tu conduiras Jourdan ^ à notre année
4* Il s'agît ici de Jourdan Goiipe-(étd, le chef des assassins
Digrtizeij Ly <jOOgIe
120 JUIN 179!2
57
Et La Fayette à Féchafaud.
Quelle rage à Cobîentz , quel deuil pour tous ces princes.
Qui , partout dilIamaDt nos lois.
Excitent contre nous et contre nos provinces
Et les esclaves et les rois ! «
Ils voulaieni nous voir tous à la folie en proie;
Que leur front doit être abattu ,
Tandis que, parmi nous, quel orgueil, quelle joie.
Pour les amis de la vertu ,
Pour vous tous, ô moriels qui rougissez encore
£t qui savez baisser les yeux ,
De voir deâ échevins que la Râpée honore^.
Asseoir sur un cliar radieux
Ces héros que, jadis, sur un banc des galères
Assît un arrêt outrageant.
Et qui n'ont (-'^-^orgt' que très-peu de nos frères
Et volé que très-peu d'argent l
Eh bien l que tardez*vous, harmonieux Orphées ?
Si , sur la tombe des Persans ,
Jadis Pindare, Escii^ie, ont tlressé des tropiiecs,
11 faut de plus nobles accents.
Quarante meurtriers, chéris de Robespierre,
Vont s'élever sur nos autels.
Beaux-arts, qui faites vivre et la toile et la pierre,
Uàtez*vous, rendez immortels
delà glacière d'Avignon; il fut condamné à mort par le tribunal
révolutionnaire I le 8 prairial an ii, comme voleur et conçus*
sioDuaire.
1. L'un des jours qui avaient précédé la ÎHp de Ciiiiieau-
vieux, Pt'liun avait dîné à la Râpée, avec des oHicieis munici-
paux seulement, disait-il; — avec les meneurs jacobins, affir-
maient Dupont de Nemours et André Ghénier.
5S
LE 20 JUIK 17\ȉ,
Le grand Gollot-d'Herbois, ses clients helvétiques^
Ce front que donne à des héros
La vertu , la taverne et le secours des piques ;
Peuplez le ciel d'astres nouveaux.
0 vous, enfants d'Eudoxe et d'Hipparque et d'Euclide,
C'est par vous que les blonds cheveux,
Qai tombèrent du front d'une reine timide,
Sont tressés en célestes feux;
Par vous riieureux vaisseau des premiers Argonautes
Floue encor dans l'azur des airs ;
Faites gémir Atlas sous de plus nobles hôtes.
Comme eux dominateurs des mers;
Que la nuit de leurs noms enibelhsse ses voiles,
Et que le nocher aux abois
Invoque en leur galère, ornement des étoiles,
Les Suisses de Coilol-d'ilerbois K
4. Nous ne pouvons nous séparer d'André Gbénîer, dont là
belle et noble figure appaïaît un instant dans ce récit, sans
payer à sa mémoire la dette de la patrie en deuil, sans livrer
ses bourreaux au mépris de la postérité. On trouvera à la fin
de ce volume rintonoi^aloire que les agents du Comité de
sûreté générale tirent subir à André Gtiénier^ lorsque, deux
ans après la fête des Suisses de Château vieu s, il fut arrêté sor-
tant de la maison de son ami M. Pastoret. Jamais rignorance et
la stupidité n'ont été poussées plus loin que par les sicaires
qui se saisirent brutalement de l'un des plus grands poètes
dont s'honure la Fiance, et quelques jours après renvoyèreal
au tribunal révolutionnaire, c'e;st-à-dire à i'echalaud.
Digitized by
LE 30 JUIN 1792
50
IX.
Le ministère girondin qui avait été imposé à
Louis XVI après le renvoi de Narbonne , ministre de
la guerre, et la mise en accusation de Delessart,
ministre des affaires étrangères, subsistait depuis
trois mois. Il s'était montré très-favorable à la ma-
nifestation démagogique du 15 avril, qui avait suivi
de près soii avènement au pouvoir. Depuis lors, grâce
à ses excitations tacites, l'Assemblée législative avait
continué à saper les fondements du troue.
Les deuJL hommes les plus importants de ce mi«
nistère étaient Dumouriez et Roland.
Le premier, intrigant habile, roué émérite, aven-
turier infatigable , avait été employé dans la diplo-
matie occulte de Louis XV. 11 brûlait du désir de se
faire une place et un nom dans Thistoire de son pays ;
mais ce nom, cette place, peu lui importait de quelle
manière il les obtiendrait. Le jour de sa nomination
au ministère, il accourut au club des Jacobins, vou-
lant que le véritable souverain du jour sanctionnât
le choix que le roi uominal avait fait de sa personne;
il alla jusqu'à se coiffer du bonnet rouge, pour faire
60 LE ^0 JUIN 1792.
acte complet d'adhésion aux mœurs et aux idées du
lieu; mais, secrètement, il ne demandait pas mieux
que de se prêter aux menées les plus contre-révolu-
tionnaircb, pour\u qu'elles eussent des chances de
réussite, et que, dans le plan de restauration de la
monarchie plus ou moins absolue , il pût jouer le rôle
de Monkb Pas plus que Uirabeau, il n'avait une con-
science bien délicate ni une vertu bien ferme; mais,
comme le grand orateur, il possédait l'instinct véri-
table des nécessités du gouvernement dans le temps
où il vivait; il avait l'audace et la promptitude du
coup d*œil qui permettent de faire tourner les évé-
neiiieiits au gré de ses desseins. 11 avait, de plus que
Mirabeau, le génie de la guerre , et, dans son appa-
rition sur le premier plan , — apparition qui ne fut
qu'un instant dans cette vie si longue dont le com-
mencement avait été absorbé par d*obscures intri-
gues et dont la lia s' écoula dans T exil etla proscription,
— il eut la gloire immortelle de sauver son pays de
r invasion étrangère.
Roland présentait le contraste le plus frappant
de toutes les qualités, comme de tous les défauts
du brillant Dumouriez. Ils avaient à peu près le
même âge* ; mais cette vie, que l'un avait dépensée
à visiter les divers pays de l'Europe, à nouer des
intrigues, à former des projets cliimériques, à courir
4. Uoland, ne en avait cinquante-huit aus; Dumou-
riez, né en 4739, en avait cioquaate-lrois.
Digitizixi by Google
LK 20 JUIN 1702.
Cl
après la fortune, l'autre Tavait passée au fond de
son cabinet à écrire des mémoires sur des sujets de
philosophie et d' économie politique, à s'admirer dans
ses œuvres, à s'enivrer de son propre mérite. Ses
liaisoûs avec la gauche de T Assemblée législative le
firent sortir tout d'un coup de l'obscurité et le trans*
plantèrent, d'un pciïL appartement de la rue de la
Harpe, dans les salons du ministère de rintérieur« le
plus important et le plus difficile de tous les minis-
tères, aux temps de troubles et d'agitations. Il s* y
montra rogue, hautain, d'un esprit sans portée et
sana initiative, croyant avoir tout fait lorsqu'il avait,
comme à l'époque où il était à Amiens ou à Lyon
inspecteur des manufactures, écrit un rapport ou
élaboré une circulaire; il se drapa continuellement
dans sa vertu, mais il ne sut pas s exposer au danger
lorsque son devoir le lui commandait, lorsque son '
honneur Texigeait'.
4 . Yoict le portrait qu'a tracé de Roland le girondin Daunou
dans un fragment de ses Mémoires, en date d'août 4794 :
a Roland, magistral probe, instruit, couriigoiix, mais auquel
on reprochait lo pédantisme de toutes les vertus qu'il avait,
ferme et vii^ilant, uiais aii;re et maladroit, trop épineux dans
les détails de son adminislraliou pour conserver longtemps un
assez grand nombre d'amis. 9
Roland méritait tous les reproches, mais non certes tous les
éloges que nous trouvons sous la plume de Daunou , car il ne
fut souvent ni' ferme, ni vigilant, ni courageux, si le courage
consiste, comme nous le croyons, à se précipiter au milieu du
danger plutôt qu'a écrire du fond de son cabinet des piirases
plus ou moins [pompeuses.
4
Digitized by Google
62
L£ 20 JUIN 1792.
Le cabiuet gu'ondin c était divisé eu deux parties
égales : Servan et Glaviëres, ministres de la gueire et
des iiiiaiices, suivaient lloiaad ; Dumouriez était sou-
tenu par les ministres de la justice et de la marine «
Durantlion et Lacoste, lesquels, il est vrai, n'avaieiU
aucune influence ; mais la personnalité de Dumou-
riez était par elle-même assez forte pour faire échec
à ses collègues, eussent-ils été réunis contre lui.
Ce ministère, que le roi subissait avec impatience,
devait se dissoudre à la première occasion. Le mi-
nistre de la guerre, Servan , provoqua la crise»
Le 4 juin, sans en avoir prévenu ni le roi m ses
collègues, il vint à l'Assemblée nationale proposer la
formation, sous les murs de Paris, d'un camp de
vingt mille fédérés.
* La Législative accueillit cette idée avec faveur, et,
dès le 6, malgré l'opposition de la droite, qui de-
mandait que l'on répondît par la question préalable
à une proposition ministérielle faite d'une manière si
insolite, elle vota un décret en sept articles, qui con-
sacrait la formation d'un camp de vingt mille fédérés,
recrutés dans toute la France, à raison de cinq
hommes par canton, l'envoi immédiat aux frontières
de toutes les troupes de ligne qui se trouvaient à ce
moment dans la capitale, et la réunion de ces vingt
mille volontaires, pour le ià juillet prochain, à l'eifet
de lornier une fédération nouvelle et de resserrer
ainsi, disait le décret, les liens de fraternité entre
les départements et Paris.
...... ^le
LE 20 JUIN 1792.
La proposition de Servan et le vote approbatif de
r Assemblée furent, dans le coDseil des ministres « le
signal des récriiiiiiiations les plus vives. La querelle
s'échauIEar tellement entre Dumouriez et Servan, qu'ils
mirent tous les deux la main sur la garde de leur
épée et que , sans la présence du roi , le sang eût
coulé.
Cn autre sujet de discussions perpétuelles entre
Louis XTI et ses ministres, était la question de savoir
si la sanction royale serait donnée aux mesures de
rigueur que TAssemblée venait d'édicter contre les
prêtres insermentés.
Le serment civique imposé aux prêtres et ses con*
séquences légales agitaient la France depuis deux
ans et ne contribuaient pas peu à faire dévier la ré-
volution de la marche normale qu'elle avait prise aux
beaux jours de 1789. Ce fut la faute capitale de la
Constituante, la faute qui pesa sur son œuvre entière
et ruina les plus solides espérances des vrais amis de
la liberté et de l'égalité. Voulant diminuer l'influence
de cette partie du clergé qui n'acceptait pas les ré-
formes politiques et sociales, notre première Assem-
blée nationale ne s'était d'abord permis que de régle-
menter certains points de discipline qu'elle croyait
pouvoir considérer comme étant de la coiupétence de
l'autorité séculière. Mais bientôt, se laissant emporter
par l'ardeur et l'éloquence de quelques-uns des mem-
bres de son comité ecclésiastique, elle alla beaucoup
plus loin qu elle ne l'avait voulu d'abord, et adopta
Digiliz
LE 20 JUIi\ nft2.
des mesures dont elle ne comprit que trop tard la
portée : sans le savoir, elle avait alarmé les con-
sciences et semé, parmi les populations des cam-
pagnes, des ferments de haine et de discorde, d'où
devait naître le plus épouvantable des fléaux, la
guerre civile.
Lorsque , six mois après Tadoption de la constita-
tion da clergé, T Assemblée constituante prescrivit à
tous les ecclésiastiques remplissant des fonctions pu-
bliques d'avoir à prêter le serment constitutionnel,
sous peine de se voir destitués et enlevés violemment
à leur diocèse Ou à leur paroisse , une scission bien
plus profonde se manifesta dans le clergé : tous les
évêques qui faisaient partie de l'Assemblée, sauf
deux, refusèrent le serment; tous les évêques de
France , hormis trois , imitèrent leur exemple.
Loin de chercher à calmer l'irritation produite par
la question religieuse , la Législative ne sut qu'exa-
gérer la violence de la Constituante contre le clergé
récalcitrant. Elle priva les prêtres qui se refusaient à
prêter serment de tout traitement, de toute indem-
nité, elle les déclara suspects de révolte contre la
constitution et de mauvaises intentions contre la
patrie; elle prononça contre eux la déportation, non
comme une peine, mais comme une mesure de sûreté
générale , et donna aux directoires de départements
le pouvoir exorbitant de mettre hors la loi commune
un certain nombre de Français; enfm, se défiant de
la mansuétude des autorités départementales, elle
LE 80 JUIN 1792.
décréta que la dénonciation de vingt citoyens actifs
suflirait pour obliger ces autorités à faire usage de
ce droit vraiment draconien.
Depuis plusieurs semaines , le dernier de ces dé-
crets était, chaque jour, placé sur la table du conseil
des ministres pour que Louis XVI y apposât sa signa-
ture, et chaque jour le monarque y jetait un coup
d'œil, puis l'écartait silencieusement.
Une pareille situation ne pouvait durer longtemps,
et Roland finît par écrire au roi cette fameuse lettre
qui est restée dans Thistoire comme T ultimatum
adressé par les Girondins à la royauté.
Louis XVI ne put lire sans colère les conseils, ou
plutôt les injonctions de son ministre de l'intérieur.
11 lit appeler Dumouriez; la reine était présente ; ce
fut elle qui entama la conversation :
« Croyez-vous, monsieur, que le roi doive sup-
porter plus longtemps les menaces et les insolences
de Roland, les fourberies de Servan et de Clavi^res?
— Non, madame, répondit le général, j'en suis
indigné; j'admire la patience du roi, et j'ose le
supplier de changer entièrement son ministère.
— Je veux que vous restiez, reprit le roi, vous,
ainsi que Lacoste et le bonliomme Durantbon ; rendez-
moi le service de me débarrasser de ces trois factieux
insolents , car ma patience est à bout, n
Dumouriez accepta, mais à la condition que le rot
sanctionnerait les deux décrets. Le roi consentit, non
sans peine, à promettre de lever le veto qui pesait
4.
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«6
LE 20 JUIN 171*2
sur la fondation du carap des vingt mille; il céda
même , à ce que prétend Dumouriez , relativement à
la déportation des prêtres. Mais il est dilïicile de le
croire.
Quoi qu'il en soit, le message royal qui retirait le
ministère de la guerre à Servan lui fut porté, le
i2 juin, par le ministre des affaires étrangères, et,
le lendemain matin, Roland et Glavières reçurent
leurs démissions.
Les trois ministres renvoyés n'imitèrent pas la con-
duite que Necker avait tenue dans une circonstance à
peu pits semblable. Ils résolurent d'en appeler à
l'Assemblée delà mesure, parfaitement constitution*
nelle, que venait de prendre le roi.
Servan avait été le premier renvoyé. Ce fut aussi
sa lettre qui parvint la première à la Législative.
« Au moment, y était-il dit, où, encouragé par mes
concitoyens, je commençais à jouir de !a flatteuse
espérance de pouvoir être utile à ma patrie, j'ai reçu
l'ordre du roi de remettre le portefeuille au ministre
des aft'aires étrangères... Ma conscience me dit que je
n'en dois pas moins compter sur les bontés de l'As-
LE 20 JUIN 1792
67
semblée pour moi, et j'espère qu'elle voudra bien
permettre que j'aille m'acquitter de mes devoirs de
soldat, dès que j'aurai déposé mes comptes entre ses
mains. » La lecture de cette lettre est couverte des
applaudissements réitérés des tribunes etd'une grande
partie des députés* « Oui , oui , crie-t-on à gauche ;
M. Servan emporte nos justes regrets ! »
Dussaulx propose de rendre un décret qui consacre
le vœu de la majorité: à la presque unanimité, il est
décrété que Servan, ministre de ia guerre, emporte
Vestime et les regrets de la nation.
Le bruit des applaudissements, par lesquels les
tribunes saluent ce décret, retentit encore, lorsque
le président annonce qu il vient de recevoir une lettre
dn roi qui notifie la nomination des trois nouveaux
ministres. A peine y fait-on attention , on se hâte de
lire les lettres que le président vient de recevoir de
Clavières et de Roland. La lettre de ce dernier ren-
fermait la copie de celle qu'il avait écrite au roi trois
jours auparavant ^ Dans ce prop^ramme des volontés
de la Gironde, on mettait le marché à la main à
Louis XVI; on lui déclarait qu'en refusant de sanc-
tionner les décrets rendus récemment par l'Assemblée
4. Roinnd, pn mît-il, ne se résolut qu'au dernier moment à
communiquer à l'Assembléo la lettre qu'il avait écrite au roi,
car il en envoya an président la minute même. Nous avons eu
cette pièce entre les mains et noas avons constaté qu'elle porte
des ratures et des additions, destinées à la rendre en tout sem-
blable au texte mémo qui avait été envoyé à Louis XVI.
08
LE 20 JUIN 1792.
il suscitait contre lui « les implacables défiances d'un
peuple corUristéy qui ne verrait plus dans son roi que
l'ami et le complice des conspirateurs. » — « Il n'est
, plus temps de reculer, disait Koland, il n'y a même
plus moyen de temporiser; la révolution est faite
dans les esprits; elle s'achèvera au prix du sang et
sera cimentée par le sang, si la sagesse ne prévient
pas les malheurs qu'il est encore possible d'éviter. »
La lecture de la lettre de Roland reçoit, à plu-
sieurs reprises , les marques de la plus vive appro-
bation.
Sur ces entrefaites paraît Dumouriez. Des mur-
mures et même des huées l'accueillent, le ministre
n'y fait pas attention; il annonce qu'il aune commu-
nication à faire à l'Assemblée.
Mais celle-ci tient à le rendre témoin des mar-
ques de sympatlûe qu'elle prodigue à ceux qu'il
vient de contribuer à faire renvoyer; avant de lui
accorder ia parole, on vote successivement les décrets
qui associent Roland et Claviëres aux regrets déjà
exprimés à roccasion de la Klralte do Servan, et or-
donnent l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois
départements de la lettre de Roland au roi.
iiafin, Dumouriez obtient la parole. 11 rend compte
d'un engagement d'avant-garde , dans lequel vient
de succomber le générai Gouvion qui, deux mois
auparavant, comme nous l'avons vu, avait quitté
l'Assemblée dans l'iuteution de se faire tuer glorieu-
sement à la première occasion. Il expose ensuite, dans
Digitizcû by
un long mémoire , la situation de Tarmée , se plaint
de Tétat déplorable dans lequel il la trouve en entrant
au ministère , et accnse hautement rimpéritie de ses
prédécesseurs, Degrave et bervan.
La gauche interrompt souvent cette lecture, accuse
le ministre de trahison et menace d'envoyer Fauteur
du mémoire par-devant la haute cour d'Orléans.
Dumouriez signe froidement le manuscrit, le dépose
sur le bureau et sort de la salle.
Son départ est le signal de récriuiiiiMtiona nou-
velles ; le nom de traître et de calomniateur lui est
prodigué, et un décret ordonne à Dumouriez de dé-
poser dans les vingt-quatre heures les pièces justifi-
catives des faits contenus dans son rapport.
La colère de l'Assemblée ne lut rien encore auprès
de la violence que déployèrent les Jacobins et la
presse. Pendant trois jours, le général fut en butte à
toutes les injures, à toutes les menaces, à toutes les
fureurs du parti ultra-révolutionnaire.
Quelque hauteur qu'il eût mise» s'il faut Fen croire,
à ailronter les colères de ces mêmes Jacobins, dont il
avait naguère recherché si avidement les faveurs, il
était loin d'être rassuré. Le roi tîendrait-il la pro-
messe moyennant laquelle il avait accepté la succes-
sion de ses anciens amis et l'impopularité qui avait
été la suite inévitable de sa conduite ? Toute la question
était là pour lui.
Aussi s'empressa-t-il de demander au roi de sanc-
tionner les décrets; mais, après deux jours de solli-
Digitizeo lj oOOgle
70
LE 20 JUIN 1 792.
citations extrêmement pressantes, il s'aperçut qu'il
était impossible de rien obtenir, et il ofirit sa démis-
sion. Peut-être un peu contre son attente, le roi
l'accepta sur-le-champ. Dumouriez se vit ainsi ren-
voyé trois jours après ses collègues, au moment où
il croyait avoir consolidé pour longtemps sa position
par la preuve éclatante de dévouement qu'il venait
de donner à Louis XYI.
Le ministère girondin fut remplacé par un cabinet
composé de noms à peu près inconnus. Le jour môme
où la formation de ce cabinet était notifiée à l'As-
semblée, celle-ci recevait du général La Fayette une
lettre qui devait avoir un immense retentissement.
Ce n'était rien moins que le manifeste du parti
constitutionnel , comme la lettre de Roland avait été
le manifeste du parti révolutionnaire.
Dans sa lettre, LaFayette accusait, devant l'Assem-
blée nationale, devant la France entière, les Jacobins
d'être les auteurs de tous les désordres, 11 représen-
tait leur société comme un empire qui avait sa mé*
tropole et ses affiliations, comme une corporation
distincte au milieu du peuple français dont elle usur-
pait les pouvoirs et subjuguait les représentants.
Les applaudissements avaient interrompu plusieurs
fois la lecture de cette lettre. L'impression est aussi-
tôt ordonnée à une très-grande majorité ; bien plus,
on demande l'envoi aux quatre-vingt-trois départe-
ments. C'était ap})rouver d'une manière éclatante,
absolue, et les opinions et la conduite du général.
. ly j^ud by Google
LB 20 JUIN 1792.
71
Vergniaud s'élance à la tribune : u Lorsqu'un simple
citoyen» dit-il, vous adresse une pétition et vous
offre un conseil, vous devez l'entendre ; mais lors-
qu'un général d'armée veut vous donner des avis, il
ne peut le faire que par l'organe des ministres; s'il
en était autrement, ce serait fait de la liberté. Que
sont les consens d'un chef d'armée, sinon des ordres?
Les inlentions du général La Fayette peuvent être
pures , mais il faut obéir aux principes , et ce serait
les violer que de sembler approuver la conduite du
général en envoyant oi&ciellement sa lettre aux qua-
tre-vingt-trois départements. Je demaride Tordre du
jour. » La proposition de Vergniaud est mise aux
voix et ii'cbL pas adoptée. La gauche redouble alors
ses cris, ses interpellations, prétend que la lettre du
général La Fayette ne doit pas émaner de lui, puis-
qu'il y parle, à la date du 16 juin, d'événements
qu'il ne pouvait pas connaître encore ; que si elle est
revêtue de sa signature, c'est que cette signature a
été donnée en blanc sur une lettre fabriquée à Paris.
Mais toutes ces objections dilatoires n'empêchent pas
la droite d'insôster pour Tenvoi aux départements.
Les interpellations les plus violentes s' entre-croisent,
le tumulte arrive à son comble, quand Guadet, qui
a réussi à s'emparer de la tribune, s'écrie : « Si un
général peut nous dicter des lois, nous n'avons plus
de Constitution : lorsque Gromwell tenait un pareil
langage, la liberté était perdue en Angleterre. Je
demande que la lettre du général soit renvoyée à la
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72
L£ 20 JUiiN 1792
commission des Douze. — M. de La Fayette ne de-
mande qae cela» » lui répond-on à droite.
Le lunvoi est ordoinié à T unanimité, et la coiiimis-
sion est ciiargée d'en rendre compte dans quatre
jours au plus tard , c'est-à-dire le vendredi 22 juin.
Puis l'Assemblée, qui un instant auparavant avait
repoussé la motion de Vergniaud, se donne à elle-
même un démenti en votant la question préalable sur
la proposition d'envoyer la lettre du général aux dé-
partements.
L*émption des représentants se communiqua à
riustani dans Paris. Llle eut naturellement son re-
tentissement le soir même au club des Jacobins» qui»
directement attaqué dans la lettre du général, sentit
que c'était entre eux un duel à mort qui commen-
çait. Tous les coryphées du parti , Robespierre » Ca-
mille Desmoulins, Cuiiot-d'lierbois , Danton, Fabre
d'Églantine» Chabot» Bazire» s'étaient donné rendez-
vous dans la salle de la rue Saint-iionoré pour dé-
noncer le nouveau Monk. a II a levé le masque »
s'écriait-on de toutes parts; il faut l'appeler à la
barre de l'Assemblée et l'envoyer à la haute cour
d'Orléans. »
Le lendemain» le ministre Durantiion vint annoncer
officiellement à la Législative que le roi apposait son
veto constitutionnel aux deux décrets sur le camp
des vingt mille hommes et la déportation des prêtres
insermentés.
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Lt, 20 JUliN 11112.
73
XL
Les chefs du parti démagogique saisirent avec
empressement le prétexte d'agitation populaire qui
leur était iouioi par le refus de sanctiou des déaets
et le renvoi du ministère girondin. Depuis longtemps
ils rêvaient et organisaient une journée^ non pas en-
core insurrectionnelle, mais qui préparerait Tinsur-
rectioû, et les mettrait à même de faire la revue des
forces dont ils pourraient disposer à l'heure suprême.
La date était prise, c'était l'anniversaire du serment
du Jeu de Paume; les rôles distribués, les complicités
convenues et acceptées. Le résultat seul restait incer-
tain : il dépendait du degré d'entraînement et d'exas-
pération auquel on pourrait amener les masses. Quant
au programme, les incidents que nous venons de
raconter ne firent qu'y apporta quelques modifica*
tions.
Depuis plus d'un mois le faubourg Saint-Antoine
était agité par San terre et ses amis, qui, dès le
2 juin, avaient établi dans Téglise des Ënfants-
Trouvés une chaire permanente de doctrines démago-
giques; cette création avait été favorisée par le maire
Pélion.
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74
LE 20 JUIN
Les conspirateurs tenaient leur conciliabule tantôt
dans la maison du brasseur Santerre* laûtôt dans la
salle du comité de la section des Quinze-Vingts. On
allait prendre le mot d* ordre chez Danton et chez les
principaux meneurs, qui, comme toujours, restaient
dans r ombre et laissaient agir les enfants perdus du
parti. A la téte de ceux-ci se plaçaient Santerre et
Alexandre, commandants des bataillons des Enfants-
Trouvés etde Saint-*Marcel, qui répondaient, disaient-
ils,de leurs laubuuigs^ Après eux venaient : Thomme
des coups de main et des massacres, Fournier, dit
rAméricain, quoiqu'il fût Auvergnat, parce qu'il
avait longtemps habité Saint-Domingue » où ses ins-
tincts féroces avaient pu se développer ; le marquis
4 . Lorsque les événements eurent porté leurs amis att pou-
voir, SiinLorrc cl Alexandre ne s'oublièrent point.
Alexandre se 11 1 il louer (septembre 179îj une indemnité de
douze mille livres pour les services es»t^iiUeis (ju il avait rendus
à la chose publi(|ue avant et après le 4 0 août. Santerre obtint
décharge d'une somme de 49,603 livres qu'il devait à la ferme
générale, depuis 4789 et 4790, pour les droits qui auraient dû
être perçus sur la bière par lui fabriquée. Le rapport du mi-*
nistre des finances (47 avril 4793) déclare que cette bière
ayant été consommée en très-grande partie dans un but patrie*
ticjue, il y a lieu de faire au brasseur républicain remise de sa
dette.
Santerre, avant le -èOjuin, avait impioré la protection des
ministres de Louis XVI, Ned^er et Delessarl. Plus lard, après
la crise révolutionnaire, il implora celle du premier consul
Bonaparte. (Voir les lettres de Santerre à la fin du volume.)
Alexandre fut ministre de la guerre pendant cinq minutes
'^ ii juin 4793], ei, après être resté commiseflfîre des.guerrei
biyiiizco by
L£ 20 JUliN i7d2.
75
de Saint-Hui'uge, perdu de dettes et de débauches,
qui, de noble renié par sa caste, s'était fût plébéien
iuribond; le futur général Rossignol, alors simple
ouvrier bijoutier; le boucher Legendre» type de
beaucoup de révolutiouuaires de cette époque ,
homme à Téloquence abrupte, qui, s'enivrant de ses
propres paroles, se laissait aller aux plus effroyables
exagérations de langage, passait du dernier pa-
roxysme de la fureur à une véritable et sincère sen-
sibilité, et qui donna l'exemple, tantôt du courage le
plus énergique, tantôt de la plus insigne lâcheté;
tnùn le Polonais Lazowski, ancien protégé de la
cour, qui, après avoir échoué dans ses vues ambi-
tieuses en jouant le geutdliomuie, avait cherché for-
tune en exagérant le costume et les mœurs de la
plus vile canaille, et s'était ainsi acquis la faveur du
faubourg Saint-Marcel , où il était capitaine de ca-
ûoaniers
fK^ndant huit années, devint membre du Tribunal sous la
constîluLion consulaire.
4 . Lazomki avait été^ avant la Révolution, l'anii, le commensal
du duc de la Rochefoucauld-Liancourt. Par le crédit de oelui-ci
il avait été nommé inspecteur des manufactures et était devenu
le collègue do Roland. Dans le récit de ses Voyages en Franco
pendant les années 1787 , 1788 et {789, lo célèbro ai^ronume
anglais, Arthur Youni,', parle de sa liaison intime avec un
gentleman accompli, M. de l^zowski. C'(>st ce môme individu
qui, trois ans plus tard , était à la tête des émeutiers du fau-
bourg Saint-Marcel, se faisait le promoteur de la journée du
fO juin et mourait, au commencement de 4793, de débauches
et d'excès de tout genre. Il fut presque canonisé comme un
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76 LE JUIJN 1792.
Ce dernier fut choisi , avec neuf autres citoyens
parfaitement obscurs, pour aller à TUôtel de Ville faire
connaître la préleiidue intention des faubourgs de se
lever en masse, d'aller, armes sur T épaule, plan-
ter r arbre de la liberté dans le jardin des Tuileries,
et déposer une adresse entre les mains du président
de TAssemblée nationale. La requête de ces pétition-
naires sans mandat lut soumise, le 16 juin, au con-
seil général, qui, malgré tout le désir qu'il avait de
leur être agréable, ne pouvait évidemment pas, sous s
prétexte de fête ou de pétitionnement, autoriser une
pareille démonstration. C'est ce que fit remarquer
Tofficier municipal Borie; et, sur sa motion, La-
zowski et ses neuf coiijpagiiOiis fureal écoiiduils par
un ordre du jour ainsi motivé :
u MUrdCiPALiTÉ D£ PAKiS.
«Du 46 juin 4792.
« MM. Lazowski, capitaine des canonniers du ba-
taillon de Saint-Marcel, Duclos, Pavie, Lebon , La-
chapelle, Lejeune, Vasson, citoyens de la section
des Quinze-Vingts, Geney, Deliens et Bertrand, ci-
toyens de la section des Gobelins, ont annoncé au
conseil général que les citoyens des faubourgs Saint-
Autoine et Saint-Marcel avaient résolu de présenter,
mercredi 20 du courant , à l'Assemblée nationale et
saint par ses frères et amis jacobins. (Voir les Mémoires de
M"'« Roland, j
biyilizûu by GoOglc
LK 20 JUJN 17tt!2.
77
au roi, des pétitions relatives aux circonstances et de
planter l'arbre de la liberté sor la terrasse des Feuil-
lants, en niéiaoire de la séance du Jeu de l- aume.
« Us ont demandé que le conseil général les auto-
risât à se revêtir des habits qu'ils portaient en 1789,
en même temps que de leurs armes.
« Le conseil général, après avoir délibéré sur
cette pétition verbale, et le procureur de la commune
entendu :
« Considérant que la loi proscrit tout rassemble-
ment armé, s'il ne fait partie de la force publique
légalement requise, a arrêté de passer à Tordre du
jour.
« Le conseil général a ordonné que le présent ar-
rêté serait envoyé au directoire du département et
au département de police , et qu'il en serait donné
commmiication au corps municipal.
« Signé : Lebreton, doyen d'âge, président;
Roter \ secrétaire. »
En entendant lire cet arrêté, les prétendus délé-
gués des faubourgs entrèrent dans une violente co-
lère et s'écrièrent S dans la salle même du conseil
général, que rien ne les empêcherait d'exécuter leur
projet, qu'ils iraient chez le roi et à l'Assemblée en
4. Le secrétaire-greffier-adjoint de la commune était un
jeune homme courageux et énergique, qai devait plus tard se *
rendre célèbre sous le nom de Royer-Collard.
%, Déclaration de J.-J. Leroux.
biyilizûQ by GoOgle
78
L£ 20 JUIN 1792
dépit de tous les arrêtés. Retournés dans leurs fau-
bourgs, ils y propagèrent Ta^tation. Durant les
journées des 17, 18 et 19 juin, chacun put voir
grossir un mouyement populaire ' qu'il eût été facile
de prévenir en déployant un peu d'énergie dès le
début.
XII.
Pétîon désirait fort que le peuple exerçât tine
pression violente et sur l'Assemblée nationale et sur
le monarque ; mais, premier magistrat de la ville
de Paris, il était obligé de sauver les apparences,
tenant à rester populaire si l'aifaire réussisssdt, et,
si elle écliouait, à ne point perdre la mairie.
Ainsi, le 16, lorsque les pétitionnaires des fau-
bourgs se présentèrent à THotel de Ville, le maire
avait eu soin de se trouver absent et il put avoir Tair
d'ignorer rarrété du conseil général, qui ne lui fut
effectivement adressé en double expédition que le 18,
par le secrétaire-greffier de la commune.
Outre Texcuse tirée de son ignorance, Pétion en
avait une autre toute prête que ses défenseurs ne
. manquèrent pas de mettre en avant, lorsque, plus
4 . Rapport, du commandant général RamainviUiers.
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LE 20 JUIM 1792. 79
tard» il fut accusé d'avoir failli à ses devoirs ; la voici
dans toute sa naïveté : « Les pétitionnaires du
16 juin ue paraissaient être que des individus dési-
rant marcher sans être ralliés sous le drapeau de la
force armée et sans être dirigés par les chefs recon-
nus par la loi ; à cause de cela, le conseil général
avait dû leur opposer un ordre du jour, mais ce
n'avait été c[u'un simple appel à la loi, qui, dans
les circonstances ordinaires, ne méritait pas d'être
notifié à l'autorité supérieure et ne nécessitait en
lui-même aucune action répressive; par conséquent,
avant de requérir la force contre les citoyens des
deux faubourgs, qui donnaient des témoignages de
patriotisme pur et vif, il était indispensable d'at-
tendre qu'ils eussent laissé voir qu'ils enfreignaient
effectivement la loi qui leur avait été rappelée ^ ! »
Le maire de Paris n'était pas, on le voit, très-
disposé à prendre des mesures pour prévenir l'é-
meute qui se préparait. Maïs le directoire du dépar-
tement était loin de partager la quiétude de Pétion.
Ne possédant aucun moyen légal d'agir directement,
il n'avait qu'une chose à faire, et il la fit : c'était de
rappeler au maire et à la municipalité les devoirs
que la loi leur imposait. Lettres, arrêtés, confé-
rences, il n'épargna rien pour assurer le maintien
de la tranquillité publique. Le maire et les admi-
nistrateurs de police furent invités à venir rendre
I. Exposé de la conduite tenue par le maire Pétion.
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LE 20 JUIN 1792.
compte de la situation de la capitale et des mesurés
qu'ils avaient prises ou étaient disposés à prendre.
La conférence eut lieu, le 19 juin, entre deux et
trois iieures de raprès-midi ; elle fut longue, ani-
mée, pleine de reproches et de récriminations. En-
fin, le directoire insistant, le maire écrivit, sur le bu-
reau même du président, au commandant général de
la garde nationale afin (ju'il eût à « tenir les postes
au complet, doubler ceux des Tuileries et de TAs-
semblée nationale, avoir des réserves d'infanterie et
de cavalerie, prendre toutes les dispositions ana-
logues aux circonstances et propres au maintien de
la tianquillité publique. » La lettre finissait ainsi :
« Si vous avez besoin de troupes de ligne, vous pou-
vez, en vertu de mon autorisation générale, en faire
la réquisition, n
Le directoire, en présence de Pétion, prit un
arrêté dont il lui fut tout de suite remis une amplia-
tion et dont une autre copie fut adressée sans retard
au ministre de T intérieur» pour être transmise à
l'Assemblée nationale.
Dans cet arrêté, le directoire déclarait : qu'il était
instruit par des rapports multipliés que des malveil-
lants, nonobstantrarrété du conseil général de la com-
mune, avaient l'intention de former des rassemble-
ments armés, sousprétexte deprésenter des pétitions ;
qu'il croyait devoir rappeler la loi générale qui in-
terdit aux citoyens de se réunir en armes sans réqui-
sition préalable, ainsi que la loi municipale qui.
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LE 20 JUIN 1792.
81
tout en leur permettant de se réunir paisiblement et
sans armes pour rédiger des pétitions, ne les auto-
rise néanmoins qu'à députer vingt citoyens seule-
ment pour présenter ces pétitions ; qu'afin d'éviter
un outrage au conseil général, qui avait rejeté la
demande des faubourgs, et aussi afin que la tran-
quillité de Paris ne fût pas troublée par des rassem-
blements illégaux, ni la majesté des représentants
du peuple outragée, il ordonnait au maire, à la mu-
nicipalité et au commandant général de prendre
sans délai les mesures indispensables pour empêcher
tout rassemblement qui pourrait blesser la loi, pour
contenir et réprimer les perturbateurs du repos pu-
blic, etc.
L'Assemblée nationale tenait sa séance du soir,
lorsqu'elle reçut l'arrêté du directoire du départe-
ment de Paris. Une députation de citoyens de Mar-
seille était à la barre et y lisait une pétition des plus
violentes :
c( Législateurs, la liberté française est en péril, les
hommes du Midi se sont tous levés pour la défendre.
jour de la colère du peuple est arrivé. Le
peuple, qu'on a toujours voulu égorger et enchaîner,
las de parer les coups, à son tour est près d'en por-
ter; las de déjouer les conspirations, il a jeté tm
regard terrible sur les conspirateurs,,. Le lion géné-
reux, mais aujourd'hui trop courroucé^ va sortir de
son repos pour s élaaœr contre la meule de ses
ennemis. Représentants du peuple, la force popu*
5.
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$2
LE 20 JUIN 1792.
laîre fait toute votre force. Vous Tavez en main,
einpioyez-la.,. Uue lutte entre le despotisme et la
liberté ne peut être qu'un combat à mort... Repré*
sentants, le peuple veut absolument finir une révolu-
tiony qm est son salut et sa gloire, qui est l'honneur
de Tesprit humain; il veut se sauver et vous sauver.
Devez-vom empêcher ce mouvement sublime? Le
pouvez -vous, législateurs?... »
C'était le 10 août annoncé la veille du 20 juin.
Un pareil appel fait à la force brutale soulève na-
turellement à gauche des transports d'enthousiasme,
à droite des transports de colère, a L'impression
et l'envoi aux départements 1 » crie-t-on d'un côté.
« Cette adi*esse est incendiaire et inconstitution*
nelle, » réplique-t-on des bancs opposés. Lecointe-
Puyraveau rejette la violence du style des Marseil-
lais sur (( leur ciel brûlant » et n'en demande pas
moins l'impression de leur adresse patriotique ; après
une épreuve contestée, la gauciie, sur la vive iosis-
tance de l'Assemblée, finit par décréter l'impression
et l'envoi des menaces marseillaises aux quatre-vingt-
trois départements ^
L'émotion soulevée par cette lecture et par ce vote
n'était pas encore apaisée, quand le président annonce
qu'il vient de recevoir l'arrêté départemental. « Qu'on
ne le lise pas, s'écrie Saiadin, nous n'avons pas de
4. Séance du 49 juin; Moniteur et Journal des Débais et
Décrets.
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LE 20 JUIN 1793
83
temps à perdre. » Mais la majorité décide que lecture
de l'arrêté du directoire sera faite; elle l'écoute en
silence et passe à Tordre du jour. Était-ce une ap-
probation tacite , une indifférence calculée , un blâme
déguisé? Chacun put interpréter à sa guise cette
décision. Les chefs du mouvement projeté y virent
la preuve évidente que l'Assemblée n'était pas dé-
terminée à suivre le département dans sa ligne de
conduite énergique et courageuse; ils agirent en
conséquence.
XIII
Cependant Tagitation augmentait dans les fau*
bourgs.
Les meneurs y représentaient la journée du len-
demain comme une fête : « Il n'y a rien à craindre
en se mêlant aux rassemblements^ disaient-ils; Pétion
sera avec nous! » Ils excitaient la curiosité populaire,
dépeignant d'avance à la foule le plaisir qu'elle
éprouverait à visiter les Tuileries, qui lui étaient
inconnues, avoir chez eux monsieur et madame Veto ^ .
1. C'est ainsi que les jouriiaux démagogiques désignaient
habiluellement le roi et la reine.
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84
LE 20 JUIN 1792
Si quelques individus timorés manifestaient certaines
appréhensioiis, on leur montrait les canons des ba^
taillons révolutionnaires, et Santerre disait tout haut
qu'en dépit de l'arrêté départemental la garde natio-
nale n'aurait pas d'ordres.
Les sections des Quinze-Vingts, de Popincourt,
des Gobelins et plusieurs autres encore siégèrent
toute la nuit; la fièvre démagogique y fut entrete-
nue par l'envoi et la réception des députations fra-
ternelles» qu'elles échangeaient entre elles à chaque
instant.
Pétion avait cru devoir convoquer à la mairie , à
neuf heures du soir, les chefs de la garde nationale
des fauboui'gs agités, pour, disait la lettre de convo-
cation, tt traiter avec lui d'un objet important. »
Les quatre administrateurs de police, Panis, Sergent,
Vigner, Perron, étaient présents à cette conférence
Interrogé sur Fétat des esprits dans son quartier,
le chef du bataillon des Enfants-Trouvés, Santerre,
assure que rien ne pounaiL empêcher les citoyens et
les gardes nationaux d'exécuter la promenade en
armes décidée pour le lendemain.
Alexandre, chel du bataillon de baint-Marcel, dé-
clare que les dispositions de son quartier sont les
mêmes que celles du faubourg Saint-Antoine; qu'il y
aurait peut-être un grand danger à vouloir opposer
la force à l'exécution de ce qui est fermement résolu.
4. Rapporb de^ aiiauitisUaieurs de police.
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LE 26 JUIN 1192
85
Quant à lui, ne voulant pas aigrir ses concitoyens,
il marchera avec eux , afin de les empêcher de se
porter à aucun excès, et aussi alin de u modérer ieui*
courage et leur impatience , si on vient à les provo-
quer ^ ))
Le chef du bataillon de Sainte-Marguerite, Bon-
neau , honnête chirurgien de la rue de Montieuil,
mais faible et timide, se hasarde bien à présenter
quelques observations, mais il iinit par reconnaître
que les gardes nationaux sont fort divisés et que la
fermentation est grande (huis son quartier.
La conférence allait se dissoudre sans que Ton eût
rien résolu, lorsque, un peu après onze heures,
arrive le commandant du bataillon du Val-de-Grâce ,
l'acteur Saint-Prix , qui avait reçu fort tard sa lettre
de convocation. « Dites - nous à votre tour, lui
demande le maire , quelles sont les dispositions de
votre bataillon? — Les esprits, répond Saint-Prix,
étaient paisibles jusqu'à l'ouverture d'un club à la'
porte Saint-MarceP. Maintenant ils sont tous excités
et divisés. Ce club , qui est entré en correspondance
avecSanterre, engage les citoyens à se porter demain
en armes à l'Assemblée nationale, chez le roi, malgré
les arrêtés des autorités constituées »
Pétion était évidemment embarrassé. U n'osait se
4. Rapport Alexandre.
t. La porte Saint-Marcel était située au coin de la rue des
Fossés-Sai n t- V ic r' .
3 Rapport Saint-Prii^.
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80 LE 20 JUIN 1192.
constituer en révolte ouverte contre la loi« il cherchait
un biais, un faux-fuyant, et il n'en trouvait pas. La
pétition préparée dans la brasserie du faubourg Saint*
Antoine, et dont on lui avait fait par avance la lec-
ture, quelque violente, quelque illégale qu'elle fût,
était loin d'exciter sa colère. Au lieu de chercher à
ramener les chefs évidents du mouvement, Alexandre
et Santerre, il demandait leurs conseils. Il demandait
aussi ceux de leurs collègues, qui, eux, n'étant pas
dans le secret, parlaient et agissaient avec la plus
complète bonne foi.
Ce fut alors que le chef de bataillon du Valide-
Grâce émit une opinion qui devint un trait de lumière
pour Pétion. Saint-Prix était un homme d'ordre, il
respectait sincèrement le roi et la constitution; c'était
aussi un artiste éminent, qui jouait admirablement
les rois sur la scène du Tliéâtre-Français, mais ce
n'était ni un profond politique, ni un savant juris-
'consulte: « Permettez-moi, monsieur le maire, dit-
il, un conseil qui me parait dicté par la prudence;
puisque vous connaissez la pétition et le point de
réunion, rendez-vous avec la municipalité au lieu du
rassemblement, lisez l'arrêté du département, re-
présentez, par une proclamation, au peuple qu'une
pétition ne peut ni ne doit se faire en armes, que la
démarche est illégale ; que , sans le respect dû aux
autorités constituées, la constitution, pour laquelle il
a juré de mourir, n'existe plus. Obtenez des citoyens
qu'ils déposent leurs armes, avant d'entrer à l'As-
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LK âO JUIN 1192
«7
semblée nationale et chez le roi. Offrez au peuple
pour garantie de sa sûreté de le précéder avec la
municipalité. Ordonnez au commandant général de
convoquer un certain nombre de volontaires par ba-
taillon, qui, placés sur le flanc, à gauche et à droite
de la municipalité, protégeraient la marche des péti-
tionnaires et donneraient ainsi un caractère d'autant
plus imposant à cette démarche qu'elle serait tota-
lement dans les formes légales ^ »
Légaliser un mouvement essentiellement révolu-
tionnaire , lui ôter tout péril et doubler sa force :
quelle naïve idée pour un ami de l'ordre et des lois
tel que Saint-Prix ! Elle paraît triomphante à Pétion ,
qui aussitôt se retire dans une pièce voisine, pour
conférer avec les administrateurs de police sur les
moyens d'en concilier T application avec l'arrêté dé-
partemental. Quelques minutes après, l'administra-
teur Yigner sort de la mairie, chargé d'aller s'en-
tendre avec le procureur général syndic Rœderer,
afin que toutes les autorités constituées de Paris se
trouvent d'accord « pour l'adoption d'un môme moyen
légal appliqué aux circonstances. » Quant au maire,
il revient vers les chefs de légion, et, en les invitant
à se retirer, leur dit : « Je vous instruirai de la ré-
ponse qui me sera faîte par le département. Écrivez
au commandant général pour le prévenir de ce qui
se prépare et le prier de vous donner les instructions
4 . Bapport Saint^Prix et rapport Rœderer.
Digitized by Gopgle
88
LE 20 JUIN \ m
qu*U croira convenables. » Il était alors un peu plus
d'une heure du matin.
Arrivé au département, Vigner y rencontre Rœderer
et lui soumet la nouvelle proposition du maire ^» Rœ-
derer semble Tapprouver, mais ne croit pas pouvoir y
répondre sans avoir Tavis du directoire, qu'il con-
voque immédiatement. Vigner ne veut pas attendre
et retourne à la mairie auprès de Pétion. Celui-ci ,
persuadé que le diiectoire ne peut laii e autrement
que de se rendre aux très-bonnes raisons^ suivant
lui, exposées dans sa lettre, va se coucher et se con-
tente d'expédier aux membres du corps municipal, ou
4. Nous donnons ici le texte même de la lettre écrite au di-
rectoire le 20 juin, à une heure du mattui par le maire et lea
administrateurs de police :
« Le déparLeiuent de police, messieurs, ayant été instruit
par différents rapports que les citoyens des faubourgs marchent
en armes, ayant été instruit que des sections ont pris des déli-
bérations à ce sujet pour autoriser les commandants de bataillon
à les conduire, les juges de pait et les commissaires de police
à les accompagner, ayant été Instruit enfin que les habitants
des environs de Paris venaient se réunir en armes à ce cortège,
a cru devoir réunir les commandants de bataillon pour avoir
d'eux des explications claires et précises.
u lis s'accordent à dire que les citoyens leur paraissent dans
les intentions les plus pacifiques, mais qu'ils tiennent avec la
plus grande opiniâtreté à aller en armes. Us s'appuient de ce
qu'ils y ont été jusqu'ici et de ce que FÂssemblée nationale les
a bien reçus. Ils témoignent des défiances et des craintes de
marcher sans armes. Nous avons fortement insisté, particuliè-
rement auprès du comiuaiidant du bataillon du faubourg Samt-
Blarcel et d uu des commandants du faubourg Sainl-Ântoine.
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LB 20 JUIN 1792. 80
au moins à ceux sur rassentlment desquels il croit
pouvoir compter, une lettre de convocation pour le
lendemain matin.
XIV.
Pendant que le maire de Paris sommeillait, les
membres du directoire du département avaient
Ils nous ont répondu qu'il leur paraissait impossible de vaincre *
les esprits à cet égard.
« C^tte position, ainsi que vous le voyez, messieurs, est très-
délicate; il ne s'agit pas de quelques individus, mais d'un
nombre considérable; ne | )urrcUt-on prendre un parti tout à
la fois prudent et qui se concilie avec la loi?
« Toutes les armes pourraient se ranger autour de la garde
nationale et sous l'autorité de ses chefs. Si les magistrats au-
torisent légalement les commandants de l)ataillon à marctier en
armes, alors tout rentrerait dans la règle « et les armes frater-
niseraient ensemble. Nous n*entendons pas parler que les péti-
tionnaires puissent se présenter en armes à la barre de T As-
semblée ou chez le roi ; ils païaissont convaincus, dès ce
moment même, qu'ils ne le doivent pas.
a Nous soumettons ces réflexions à votre prudence. Nous
vous prions de nous faire connattre promptement si vous les
approuvez.
« Les maire et administrateurs de police,
a Signé : Pétion, Sergent, Panis, Vigneb,
Perron. »
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90 LK m JlilN I70t>.
répondu à rappel de Rœderer, et la discussion la
plus vive s'était engagée sur la proposition munici-
pale.
Il fut uDanimement reconnu que Ton ne devait pas
recevoir dans les rangs de la garde nationale des
hommes pour la plupart inconnus, sans aveu, déjà
en état de rébellion ouverte, munis de toutes sortes
d'armes, qui ne pouvaient que semer le désordre au
milieu de la force armée, et, en cas de sédition, la
mettre dans Timpossibilité d'agir.
Ën conséquence il fut décidé qu'il serait sur-le-
champ fait à la municipalité la réponse suivante :
« Pïiris, ce 20 juin 1791, cinq heures du matin.
(( Nous avons reçu, messieurs, votre lettre de cette
nuit; nous ne croyons pas pouvoii' en aucune circon-
stance composer avec la loi que nous avons fait le
serment de faire exécuter; elle nous trace nos devoirs
d'une manière impérieuse. Nous croyons devoir per-
sister dans notre arrêté d'hier. »
Précisément au inoment où cette lettre était écrite,
le maire s'éveillait. Inquiet de n'avoir pas encore
reçu de réponse du département, il chargeait Vun
des administrateurs de police, Sergent, de porter un
billet ainsi conçu :
« La mesure indiquée est la seule praticable, sur-
tout dans des circonstances où les citoyens n'oul pas
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LË 10 JUIN ll^'À
91
eu le temps d'être prévenus et sont peut-être déjà
$iir pied à se préparer.
« Cinq heures du matin. »
Sergent eut beau rt^péter au directoire assemblé
les r^sonnements que Yigner avait déjà faits à
Rœderer, les magistrats départementaux s'élevèrent
avec vivacité contre toute légalisation d'une iUégaUté.
La réponse fut expédiée , mais avec ce post-scriptum
nécessité par l'arrivée de la nouvelle lettre de Pétion :
« P.*5. Nous recevons à l'instant votre lettre de
cinq heures. Nous ue jugeons pas qu'elle doive nous
faire changer de disposition. »
Le département écrivait en même temps au com-
mandant général de la garde nationale qu'il eût à
remplir son devoir conforniément à l'arrêté de la
veille « même à faire battre la générale si le danger
Hevenait pressant; et au ministre de l'intérieur, pour
lui faire part des propositions de la municipalité et
du refus péremptoire qui venait d'y être opposé.
La résistance du directoire bouleversait toutes les
espérances, anéantissait tous les plans de Pétion.
Les ordres qu'il venait de recevoir étaient trop for-
mels et trop précis pour qu'il pût affecter de ne pas
les comprendre. 11 sentit qu'il fallait s'exécuter et
écrivit a;ux quatre chefs de bataillon la lettre smvante :
m Nous vous prévenons de nouveau, messieurs,
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92 LE 20 JUIN 1792.
que vous ne pouvez vous réunir en armes... Voici, à
cet égard, la lettre que nous envoient les membres
du directoire. D'après cette lettre, nous augurons
trop bien de votre civisme pour ne pas espérer que
vous vous y conformerez et que vous éclairerez vos
concitoyens. »
Les chefs de bataillon des faubourgs se trouvaient
donc ballottés entre les instructions les plus contra-
dictoires. Ils étaient en même temps exposés à rece-
voir les réquisitions extralégales des sections.
La section des Gobelins, avec laquelle Alexandre
n'avait pas cessé d'être en rapport direct la veille et
durant toute la nuit, invita Saint-Prix à venir, à la
tête de ses troupes , u assister à la cérémonie qui se
préparait à l'effet de planter Farbre de la liberté sur
la terrasse des Feuillants. » Saint-Prix répondit qu'il
ne pouvait faire marcher son bataillon que sur réqui-
sition légale; qu'ayant reçu au contraire la réquisi-
tion de ne pas bouger, il resterait à son poste. Ce-
pendant il ajouta que, comme citoyen, il se rendrait
& la section sans armes, et même que, comme chef
de bataillon, il s'empresserait de se joindre à elle,
tt si des ordres ultérieurs l'y autorisaient. »
Le commandant général de la garde nationale
(c'était, pour le mois de juin, RamainvUliers) était
tout aussi embarrassé que ses subordonnés. Dès la
pointe du jour, il s'était rendu à la mairie, mais il ne
put obtenir aucune réponse précise ; on lui dit qu*U
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LE :J0 JUIiS 1792.
93
fallait attendre la réunion du corps municipal. Tout
ce que Pétioa osa preodre siu* lui , ce fut d* envoyer
les administrateurs de police dans les faubourgs
agités, poui' se conformer aux iustiuctious que la
vetUe il avait reçues du département.
XV.
Lorsque Sergent et Panis arrivèrent au faubourg
Saint-Antoine, à huit iieures du matin, ils trouvèrent
un grand nombre de citoyens» les uns armés, les
autres encore sans armes. Les groupes se formaient
çà et là devant les aiiicbes apposées durant la nuit,
lisaient rarrêté du dbrectoire et ne manquaient pas
de le commenter avec colère. Les deux administra-
teurs de police engagèrent, mais sans doute très-fai^
blement, les sans-culoties de leur connaissance à
déposer leurs fusils. Ceux-ci leur répondirent que
ron ne voulait attaquer ni TAssemblée nationale, ni
le roi» qu'on désirait seulement faire cortège aux
vingt pétitionnaires légaux du peuple, et ensuite
célébrer militairement Tanniversaire du Serment du
Jeu de Pauuie. « Du reste, ajoutèrent-ils, nous avons
peur qu*on ne nous fusille du côté des Tuileries, et
nous tenons à avoir nos armes. ))
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94
LE 20 JUIN 1792
A de pareils raisonnements Panis et Sergent se
gardèrent bien de trouver des objections. Us se ren-
dirent au comité de la section des Quinze- Vingts. Une
partie du bataillon des Enfants- Trouvés était déjà
rassemblée autour du peuplier qui devait être planté
aux Tuileries; Santerre haranguait une nombreuse
réunion de citoyens avec ou sans uniforme, et sou*
mettait à leur discussiou la lettre qu'il avait reçue
du maire. Les administrateurs de police firent
(disent-ils dans leur rapport, mais c est peu pro-
bable) tous leurs efforts pour déterminer le chef de
bataillon et les citoyens à respecter la loi. Santerre
leur répliqua qu'il agirait, quant à lui, conformé-
ment au désir du peuple. Par l'organe des sans-
culottes qui remplissaient Téglise des £nfants-Trou-
vés, le peuple couvrit la responsabilité du brasseur
en répondant tumultueusement : « Déjà plusieurs
députations en armes ont été reçues par le corps
législatif; certains bataillons s'y sont présentés en
' armes sans que le directoire du département s'y soit
opposé; la loi étant égale pour tous, nous irons, et
nous serons reçus, nous aussi. » Les magistrats mu-
nicipaux essayèrent encore, s'il faut les en croire,
de ramener les égarés à la raison; mais, naturelle-
ment, ils n*y réussiieut pas. En sortant du comitéi
ils redescendirent vers la Bastille; voyant, au milieu
d'une foule énorme, errer des comiiussaires de sec-
tion et même le conmiissaire de police revêtu de son
chaperon^ ils pensèrent qu'ils n'avaient plus qu'à
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LE JUJN 1792.
95
s'eD aller tranquillement déjeuner au coin du fau-
lK)ttrg, dans un café, d'où ils pourraient admirer le
spectacle de la foimation des rassemblements ^
Si, au lieu de revenir sur leurs pas, les adminis-
trateurs de police avaient poussé leurs investigations
plus avant dans le faubourg, ils se seraient aperçus
que Télan populaire n'était pas aussi unanime, aussi
irrésistible qu'ils le prétendaient; si leur désir d'em-
pêcher le rassemblement illégal avait été réel, ils
seraient allés chercher à la section de Mou treuil l'ap-
pui qu'ils avaient été heureux de ne point trouver
à celle des Quinze- Vingts.
En eflet, le 20 juin, à dix heures du matin, les
membres du comité de la section de Montreuil et le
commissaire de police étaient réunis pour veiller
au maintien de l'ordre. Les coniuiaudants Bonneau
et Savin, à la tête du bataillon de Ssûnte-llargaerite,
résistaient aux invitations itératives que leur envoyait
le bataillon des £nfants-ïrouvés pour venir le re-
joindre ; à toutes les suggestions, ils répondaient
par le dernier ordre signé Pétion. Mais surviennent
de nouveaux émissaires des Quinze-Vingts, soute-
nant que la consigne est levée. Ce mensonge se pro-
page vite, grâce à Fabsence des oflSciers municipatix,
qui déjeunaient. Bonneau ne veut pas y ajouter foi;
il reste fidèle à son mandat et invite ses soldats à
demeurer immobiles. Cependant un grand nombre
1. Happort Sergent.
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96
LE 20 JUIN 1792.
de gardes nationaux manifestent la volonté de suivre
leurs amis des Quinze- VingtSi et» pour éviter i'eifu-
sion du sang, le malheureux commandant se décide
à marcher, non sans protester contie la violence qui
lui est faite.
Des scènes à peu près semblables, mais plus vio-
lentes, se passaient vers la même heure au faubourg
Saint-Marcel. Le commandant en premier, Saint-
Prix, et le commandant en second, Leclerc, dès leur
arrivée au quartier générai du bataillon du Yal-de-
tirâce, se trouvent environnés d'une foule d'hommes
armés de piques, qui veulent forcer les gardes natio-
naux à les suivre. Les commandants rappellent la
loi, se retranclieiU denière les Oidies qu'ils ont
reçus. A leurs représentations, à leurs prières, la
foule réplique par des injures et essaye d'enlever
les canons affectés au bataillon. Déjà Saint-Prix com-
mande aux gardes nationaux de se ranger en ba-
taille, mais les canonniers ont abandonné lâchement
leurs pièces, (|ue les hommes à piques entraînent en
courant. Saint-Prix et Leclerc se précipitent, tenant
d'une main leur ordre, de l'autre leurs épées. A cette
vue, les émeutiers s arrêtent. Les deux coinrnandants
se placent devant les canons. Mais bientôt ils y sont
seuls, car tous les hommes s éloignent, à Texceptioii
d'un adjudant. Menacés de mort, incapables de
résister plus longtemps, ils rappellent les canonniers
qui ont fui, leur remettent les bouches à feu, et
croient devuii' les acconipagaer, aiin d'eiupècher que
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LE 20 JUIN 1792,
97
le peuple a' abuse des armes dont il s esl emparé.
Ed marchant avec la foule« ils prennent à témoin
tous les citoyens qui restent sur leurs portes et à
leurs fenêtres, qu'eux, les commandants de la force
armée, ils ont été « contraints de marcher par la
yiolence et Tinsubordination »
Vers la même heure, Perrou arrivait avec le chef
de bataillon Alexandre et le président de la section
des Gobelins sur le baulevard de riloijiLtd, ou déjà
étaient réunis beaucoup de gardes nationaux, et
une foule d*hommes et de femmes, armés de fusils,
de piques, de sabres, d'épées, de bâtons. Perron
parle de la loi, de l'arrêté du directoire, des lettres
de Péûon; personne ne veut l'entendre; on l'invite
à se mettre fraternellement à la tête du rassemble--
ment; il rel'use et se retire-. Le juge de paa de
la section des Gobelins, ïborillon, qui était en même
temps députe, teate une nouvelle démarche, court
au chef-lieu de la section pour encourager la résis-
tance aux illégalités flagrantes qui se préparent.
Hais déjà le bataillon est en marche; dans son
impuissance, le couuLe civil de ^ecLloa iie peut que
prier le juge-député de faire immédiatement part
à l'Assemblée nationale des violences dont il a été
témoin
4. Rapport Saint-Prix.
2. Rapport Perrou.
3. Compte rendu de la séance du 20 juin (Journal des Ué-
bals et Décrets, n° 367, p. ^64).
6
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96 L6 tO JUIN 1792.
Le maire, presque aussitôt après le départ des
adiuiuistrateurs de police, avait dépêché vers le fau-
bourg Saint-Marcel trois antres officiers mtinictpaax.
Ceux-ci rencontrent, près de la rue des Fossés-Saint-
* Bernard, le rassemblement précédé de deux canons.
Ils déploient leurs écliarpes, la foule s'arrête et les
entoure ; on les écoute un instant» mais on leur ré-
pond par le même mot d'ordre: « Nos motifs sont
purs, nos desseins pacifiques ; nous voulons saluer
l'Assemblée nationale, célébrer 1 anniversaire du Ser-
ment du Jeu de Paume et planter un mai pour fêter
ce grand événement. » Les officiers municipaux font
timidement observer que, pour tout cela, il n'est pas
besoin d'armes. « iNous ne nous désarmerons pas,
leur répond-on, et si Ton envoie des canons contre
nous, eh bien ! nous aurons les nôtres. » Les muni-
cipaux veulent encore parler, mais l'attroupement les
interrompt en criant : « En voilà bien assez ; H. le
commandant, en avant I » Ët Alexandre de répéter :
« Bn avant! en avant^ I »
Au même moment (midi environ), le faubourg
Saint-Antoine s'ébranlait aussi. Santerre sortait de
sa brasserie et prenait la tête du cortège. Il était
suivi par les canons, le drapeau du bataillon et le
char qui portait le peuplier. Le brasseur-comman-
dant était le héros et le triomphateur du jour.
4. Rapport Alexandre et procès-verbal Moucbet, Guiard et
thomas.
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LU 20 JUIN m
XVI.
Pendant que les amis de Pétion, administrateurs
de police ou simples oiiiciers municipaux, dépen-
saient de vaines paroles pour ne rien empêcher, que
faisait le maire de Paris lui-même ? H refusait tout
ordre écrit au commandant de la garde nationale *
qui n'osait pas agir sans cela, et, comme nous l'avons
déjà dit plus haut, le retenait à l'Hôtel de Ville
depuis huit heures du matin jusqu'à onze heures et
demie \ pour le faire assister à la séance du corps
municipal.
Celui-ci se réunissait très-lentement et était loin
d'être au complet longtemps après l'heure indiquée
dans les billets de convocation. 11 est vrai que ces
billets n'avaient été portés que très-tard, ou ne
l'avaient pas été du tout, aux membres de la part
desquels Pétion pouvait craindre quelque opposition.
Enfin la séance est ouverte et le maire donne au
corps municipal, ou plutôt à ses amis, seuls encore
présents, lecture des rapports qu il vient de recevoir
1 . Déclaration Desmousseaux.
S. Rapprt Ramainvilliers.
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lUU . LE 20 JUIN 171)2.
des administrateurs de police. Après cette communi-
cation se produisent^ d'abord avec timidité, puis
avec un peu plus d'audace, les raisonnements usités
en pareille circonstance pour entraîner les gens
faibles et indécis : « Il est impossible d'arrêter deux
faubourgs tout entiers; il faut dès lors rendre régu-
lière la marche du rassemblement, rallier au milieu
de la garde nationale et sous le commandement de
ses chefs les citoyens de toutes armes. » Grftce à
de pareils ar^^uments, la réunion semi-légale qui
fflége à l'Hôtel de Ville prend l'arrêté suivant :
« Le corps municipal étant informé qu*un grand
nombre de citoyens de tous uniformes et de toutes
armes se proposent de se présenter aujourd'hui à
l'Assemblée nationale et chez le roi, pour remettre
une adresse et célébrer en même temps l'anniver-
saire du Serment du Jeu de Paume;
<i Le procureur de la commune entendu;
« Arrête :
« Que le chef de légion, commandant générai de
la garde nationale, donnera à l'instant les ordres
nécessaires pour rassembler sous les drapeaux les
citoyens de tous uniformes et de toutes armes, les-
quels marcheront ainsi réunis sous le commande-
ment des officiers des bataillons.
« Sigiié : POTION, maire.
DfiJOLY, secrétûre-greffier. »
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LE 20 JUIN 1792
iOi
Au moment où cet arrêté vient d'être adopté, plu-
sieurs des officiers municipaux avertis tardivement
entrent dans la salie; mais on se contente de leur
faire part de la mesure qui vient d'être prise, et on
lève la séance. A 1 un d'eux ^ Borie, qui témoignait
son mécontentement « de voir la loi ainsi lâolée, » on
répond : « Il fallait bien agir de la sorte, puisque
les circonstances ne permettaient pas d'agir autre-
ment. » La décision prise, le maire paraît croire la
patrie sauvée, ne maintient pas son corps municipal
en permanence, et se retire dans une salle particu-
lière avec quelques intimes, se contentant d'envoyer
du côté des Tuileries ses aiïidés les plus sûrs^
Le commandant général reçoit l'ampliation de l'ar-
rêté qui vient d'être pris et rentre à Fétat-major de
la garde nationale ; il y trouve plusieurs ordres éma-
nés du ministère de l'intérieur et du directoire du
département qui sont en contradiction formelle avec
ceux qu'il tient de la main de Pétion. Naturellement
ses hésitations redoublent, son inertie augmente.
Pendant ce temps le directoire du département
siégeait en permanence rue du Daupiiin et restait en
communication incessante avec le ministère de l'in-
térieur, l'Assemblée et le Château.
L'Assemblée nationale venût d'ouvrir sa séance;
Rœderer, procureur général syndic, s'y rend et lui
expose les faits qui sont à sa connaissance.
4. Déclarations fiorie, J.-i. Leroux, Desmousmux.
♦
6.
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m LB 20 JUIN 1792.
« Un rassemblement extraordinaire de citoyens ar-
més, dit-il, a lieu en ce moment malgré la loi, malgré
deux arrêtés, Tun du conseil général de la commune,.
Tautre du départemeni, qui rappellent la loi...
« Nous avons lieu de craindre que ce rassemble-
ment ne serve à appuyer par Tappareil de la force
une adresse au roi, à qui il ne doit en parvenir que
sous là forme paisible d'une pétition.
il Les rapports qui nous ont été faits cette nuit et
qui Font occupée tout entière ont autorisé nos craintes
a cet égard.
c< Une lettre du ministère de l'intérieur qui nous a
été adressée ce matin , à neuf heures , les a confir-
mées.
« Vous connaissez, messieurs, Tarrêté que le di-
rectoire a cru devoir prendre hier pour fortifier celui
que le conseil général de la comniune a pris le 16 du
courant; aujourd'hui nous n'avons eu qu'à en recom-
mander de nouveau Texécutlon à la municipalité et à
lui faire connaître Tordre qui nous a été transmis
par le ministre de l'intérieur. Nous avons rempli ce
devoir...
«Aujourd'hui, messieurs, un grand nombre de
citoyens armés, accompagnant des pétitionnaires, se
portent vers l'Assemblée nationale par un mouvement
civique; mais demain il peut se rassembler une loule
de malintentionnés, d'ennemis secrets de la Révolu-
tion et de TAssemblée nationale elle-même.
« Qu'aurions-nous à leur dire, quel obstacle pour-
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LE 20 JLIN 1792.
103
rions-DOus mettre à leur rassemblement, en un mot,
messieurs, comment pourrions-nous répondre de
votre sûreté si la loi ne nous en donnait le moyen,
et si ce moyen était affaibli dans nos mains par la
condescendance de l'Assemblée nationale & recevoir
des multitudes armées dans son sein?
« Nous demandons, messieurs, de rester chargés
de tous nos devoirs, de toute notre responsabilité, et
que rien ne diminue Tobli^ation où nous sommes de
mourir pour maintenir Tordre public et le respect du
aux pouvoirs qui forment les bases de la constitu-
tion. »
Les dernières paroles du procureur générai syndic,
si nettes, si fermes, aui aient dû provoquer des ap-
plaudissements unanimes. Une partie seulement de
l'Assemblée les salue d'acclamations; le reste , sou-
tenu des tribunes , fait entendre des murmures dés-
approbateurs.
Le président. Français (de Nantes), se contente de
répondre au directoire : « Assemblée nationale
prendra en considération les observations que vous
venez de lui soumettre. »
L'Assemblée nationale étant avertie oOicieilement
de Tarrivée des pétitionnaires armés, il lui était im-
possible de ne point discuter d'avance la question de
savoir si, 'en admettant dans son sein les violateurs
de la loi, elle consentirait, pour nous servir des ex-
pressions d'un écrivain révolutionnaire, » à mettre à
la merci de toutes les séditions possibles la liberté de
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104
LE 20 JUIN 1792.
ses débats, rindépendance de ses votes, la dignité de
ses membres. » Pour combattre les motions que devait
uatureilemeQt présenter et soutenir la droite royaliste
et constitutionnelle, la ganche envoie à la tribune le
plus éloquent de ses orateurs, Yergniaud : « Je le
crois, dit^il, et nous avons entendu avec plaisir
M. Rœderer nous le confirmer, le civisme seul anime
les citoyens qui ont formé le rassemblement dont on
vient de vous parler. Mais je crois aussi que vous
devez prendre les précautions que les circonstances
comniaadent pour prévenir les événements que la
malveillance pourrait occasionner. Parmi ces précau-
tions, faut-il comprendre le refus de recevoir les
pétitionnaires armés? Sans doute le sanctuaire de la
loi ne doit être ouvert qu'aux législateurs et aux
citoyens paisibles, et Ton peut craindre que, si au-
jourd'hui le civisme y conduit de bons citoyens,
demain Taristocratie u*y conduise des janissaires.
Cependant, comme l'Assemblée constituante et la
Législative, hier même, ont eu le tort de ne point
refuser le passage à travers leur enceinte à des péti-
tionnaires armés. Terreur des citoyens qui veulent,
eux aussi, défiler, se trouve en quelque sorte autori-
sée par les abus antérieurs. » — Si donc, » ajoute Yer-
gniaud proposant une transaction entre ce que les
faubourgs en marche paraissent vouloir et ce que les
magistrats départementaux réclament au nom de la
loi, « si donc des citoyens sans armesvienneuLà votre
barre vous demander de défiler en armeit^ comme
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LE 20 JUIN 179Î,
VOUS n'avez pas refusé cette faveur aux autres, vous
ne pouvez pas la refuser à ceux-ci : s'ils veulent pré-
senter une pétition au roi, je pense qu'ils se coaior-
meront aux lois, qu'ils iront à lui sans armes et
comme de simples pétitionnaires. Ainsi il y a lieu de
croire qu'il n'y a pas de danger pour la personne du
roi; supposé qu'il y en eût, vous devez le partager.
Je demande qu'une députation de soixante membres
soit envoyée chez le roi pour y rester jusqu'à ce que
le rassemblement soit dissipé. »
Mais d'autres députés ne paraissent pas avoir dans
les intentions des pétitionnaires la même confiance
que Yergniaud. Thorillon rend compte des scènes
dont il a été témoin quelques heures auparavant, et
demande, au nom du comité de la section des Gobe-
lins, que l'Assemblée maintienne, comme elle le doit,
l'exécution de la loi ^ Dumolard insiste afin que la
motion de Vergniaud pour l'envoi d'une députation
chez le roi soit adoptée et que les rassemblements
illégaux soient dissipés. Mais en ce moment le pré-
sident annonce qu'il vient de recevoir une lettre de
Santerre, commandant de l'un des bataillons du fau-
bourg Saint-Antoine. On entend les premiers gron-
dements de l'orage qui s'approche, d'immenses bruits
de voix montent du dehors; à ces signes précurseurs,
chacun comprend que le flot populaire bat déjà les
portes de l'Assemblée nationale.
1 . Moniteur et Journal des Débais et Décrets,
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10b
LE 20 JUIN 1792.
XVIL
Les deux baudes d'émeutiers que nous avons lais-
sées se mettant en marche, Tane de la Salpètrière,
Fautre de la Bastille, n'avaient pas tardé à se réunir*
Les dernières hésitations que les meneurs auraient
encore pu rencontrer dans les masses, avaient été
dissipées par Farrété du corps municipal permettant
aux citoyens de tous uniformes et de toutes armes
de marcher sous le commandement des officiers de
la garde nationale.
Le long de la route, le rassemblement s*était grossi
de celle foule de badauds et d*oisifs que Ton trouve
toujours errants dans les rues de Paris, prêts à se
joindre à n'importe quel cortège et même à suivre,
par simple curiosité ou amour du tapage, les aven-
tures de n'importe quelle émeute.
Le Manège, approprié pour l'Assemblée consti-
tuante, lors de sa translation de Versailles à Paris,
était un bâtiment d'environ 150 pieds de longueux*,
qui , adossé à la terrasse des Feuillants, occupait à
peu près l'emplacement où se croisent aujourd'hui
les rues de Rivoli et de Gastiglione. La terrasse exis-
tait telle qu elle est encore maintenant: mais, à la
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hE 20 JUIN 179t
m
place de la griUe qui la sépare de la rue de Rivoli « il
y avait une haute muraille qui eiupècliait toute com-
manication entre la terrasse et une longue cour
$*étendant entre le bâtiment du Manège et les Tuile-
ries* Cette cour était très-étroite, et rien n'eût été
plus facile que d'y enfermer la tète de la coloiifie des
soi-disant pétitionnaires et de les y désarmer. Aussi
les émeutiers du 20 juin se gardèrent-ils de s'enga-
ger dans cette espèce de déliié. Comme on pouvait
également entrer à TAssemblée par l'extrémité oppo-
sée du bâtiment qu'elle occupait , les meneurs déci-
dèrent que les pétitionnaires se présenteraient par la
porte des Feuillants, et leur firent suivre la rue
Saint-Honoré jusqu'à la hauteur de la place Ven-
dôme.
Au moment où ils arrivèrent, précédés de sapeurs,
de canons et de la voiture sur laquelle était porté
Farbre de la liberté, deux des officiers municipaux,
envoyés par Pétion auA environs des Tuileries, appa-
rurent devant eux, ceints de leur écharpe. C'était
Boucher-René et Mouchet. Avec une étonnante gra-
vité, ces magistrats essayèrent de réitérer la comédie
déjà jouée dans les faubourgs; ils firent observer aux
citoyens armés et désarmés qu'ils ne pouvaient pas
légalement se présenter en aussi grand nombre pour
exercer leur imprescriptible droit de pétition. « Mais
nous allons précisément en demander la permission
à l'Assemblée nationale, » leur répondit-on; et con-
vaincus par ce magnifique raisonnement, les hommes
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108
LË 20 JUIN i79!2.
à écharpe se laissèrent entraîner jusqu'à la porte du
Manège.
La foule s'arrêta sur l'ordre de son chef, San-
terre, qui exigea de ses fidèles sans-culottes un peu
de patience, pendant qu'il notifierait leur arrivée aux
représentants du peuple 'et que ceux - ci délibére-
raient sur l'admission des pétitionnaires*-
La Icltre adressée par le louL-puissaaL brasseur au
président de la représentation nationale était conçue
en ces termes :
a Monsieur le Président,
a Les habitants du faubourg Saint -Antoine cé-
lèbrent aujourd'hui Tanniverswe du Serment du Jeu
de Paume; ils désirent présenter leurs hommages à
l'Assemblée nationale. On a calomnié leurs inten-
tions; ils demandent Thonneur d'être admis aujour-
d'hui à la barre; ils confondront une seconde fois
leurs lâches détracteurs, ils prouveront toujours
qu'ils sont les amis des lois et de la liberté t les
hommes du li juillet.
u Je suis avec respect, monsieur le Président,
votre très-humble et trèsK)béissant serviteur.
tt Signé : Sajxt£aeë, commandant de bataillon*
« i'ans, le juin 47921. j»
La lecture de cette lettre provoque les bruyants
applaudissements des trii>uiies. Une paitie de l'As-
semblée se lève en criant: u Qu'on introduise les
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L£ 20 JtJhN 1702.
109
pétitionnaires I — Non! nonl » crie-t*on à droite.
Raaiond, l'un des plus courageux orateurs de ce
côté, demande la parole; mais Lasource est déjà à •
la tribune, a Uii des pétitioiiiiaires, dit-il, m'a fait
appeler pour m'annoncer que ceux qui attendent aux
portes veulent seulement présenter une pétition à
l'Assemblée et défiler devant elle; ils sont porteurs
d'une adresse au roi, mais leur intention nVjst pas
de la présenter au roi en personne. Ils la déposeront
sur le bureau, afin que TAssemblée la fasse parvenir
au roi ou décide dans sa sagesse ce qu elle jugera
convenable. » Puis, comme nous l'avons vu plus
d'une fois dans la longue histoire de nos révolutions,
l'orateur, se fiant aux promesses d'une foule irres-
ponsable, ajoute : « Les pétitionnaires prennent Ven--
gagemem formel de ne pas même approcher du do^
micile du roi, »
Ces allégations, proférées du ton le plus affirmatif ^
ne font sans doute ptis assez d'effet sur les esprits
indécis, car Vergniaud présente aussitôt des argu-
ments d'une tout autre nature : « Si, dit-il, le peuple
s'est un peu écarté de la loi, c'est que le corps con-
stituant et le corps législatif lui-même ont favorisé
de pareils rassemblements. Si vous ordonniez que
le département et la municipalité fissent exécuter la
loi à la rigueur, si vous adoptiez la proposition de
M. Dumolard, vous renouvelleriez infailliblement la
scène sanglante du Champ de Mars... »
Des tonnerres d'applaudissements retentissent dans
7
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liO
LE 20 JUIN 4792.
les tribunes et à gaacbe; la droite lance à Torateur
de vives interruptions. « Si l'on pouvait penser qu'il
y eût quelque danger à radmission des pétitionnaires
armés, ce que je ne crois pas, icprend \ergiii;uid , je
serais le premier à proposer pour demain un décret
contre le renouvellement de ce danger. » Et néan-
moins il conclut en demandant que l'Assemblée
daigne recevoir à l'instant les citoyens de Paris qui
sollicitent l'honneur de déiiler devant elle.
Ramond veut répondre à Vergniaud. mais il est
constamment interrompu par les vociférations de la
gauche, qui réclame la clôture de la discussion.
Enfin, la parole lui est maintenue par un vote, et
déjà il commence à réfuter l'argumentation de ses
adversaires S lorsque le président dit avec émotion :
« Je suis obligé d'interrompre la discussion pour an-
noacei a l'Assemblée que le coniiiiaiidaiit de garde
vient de m'avertir que les pétitionnaires sont aux
portes de cette salle au nombre de huit mille. »
L'Assemblée est en proie à une vive agitation, que
cette parole lancée par Calvet augmente encore : « Ils
sont huit mille, et nous ne sommes que sept cent
quarante-cinq; c'est le moment de lever la séance et
de nous en aller !
— Délibérons tranquillement, s'écrie un autre dé-
puté; que M. Kamond continue son discours! »
1. Pour cellG piirtie de la sôiince, le Journal des Débats et
Décrets est beaucoup plus complet que le Moniteu$\
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LE 20 JUIN 1792. 111
L'Assemblée entière applaudit à cette dernière
motion; Hua, Larivière et d'autres membres de la
droite demandent eux-mêmes que Galvet, leur ami,
soit rappelé à l'ordre; ce rappel est prononcé à
r unanimité. Tant il est vrai que dans toute assem-
blée, quelque divisée, quelque tumultueuse qu'elle
soit, il y a des moments où le sentiment de la dignité
personnelle fait taire les passions et réunit les opi-
nions les plus divergentes; par malheur, ces moments
sont souvent bien courts et les passions reprennent
trop vite leur revanche.
Sur la proposition d'un membre de la gauche,
Lacroix, la parole est rendue à Ramoud. u Si huit
miUe hommes, reprend -il, sont pressés de paraître
devant vous, vingt-cinq millions d'hommes attendent
aussi votre délibération. Le corps législatif manque-
rait à la plus sainte de ses obligations s*il ne faisait
pas déposer, aux portes de cette salle, les armes qui
sont entre les mains des pétitionnaires. »
Guadet soutient que le désarmement est complè-
tement iiiipiailcable, et il s'embarque dans une longue
série de raisonnements pour démontrer qu'on ne
peut mieux faire que d'accueillir avec faveur la pro-
position de Lasource et de Vergniaud. Mais Santerre
et ses amis s*impatientaient probablement d'une trop
longue attente, car le président interrompt l'orateur
de la gauche en annonçant une seconde fois que les
pétitionnaires font des instances pour être admis.
L'Assemblée, de nouveau, dédaigne d'avoir égard à
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112 liE 20 JUIN i7d2.
la sommation que lui adresse l'émeute hurlant à sa
porte. Guadet coutinue à critiquer Tarrèté du direc-
toire qui , à ce qu il prétend , n'a été connu dans les
faubourgs que lorsque déjà le rassemblement était
formé et prêt à se mettre en marche ; il conclut en
demandant radmissioii immédiate des pétitionnaires.
u C'est évident, s'écria Jaucourt; ceux qui les ont
fait venir ne peuvent pas les renvoyer. »
Plusieurs membres, appartenant aux divers côtés,
réclament encore la parole, mais l'Assemblée déclare
la discussion close.
En nouvel incident vient accroître le tiouble el la
confusion. Les pétitionnaires se croient tellement
sûrs qu'on ne peut rien refuser à leiur nombre et à
leurs armes , que la clôture de la discussion leur pa-
raît équivaloir à l'octroi de leur demande. Ils entrent
dans la salie et paraissent à la barre avant qu'aucun
décret les y autorise. Au milieu des protestations qui
s'entre-croisent, le président est impuissant à se faire
entendre; il se couvre, et, durant quelques minutes,
la séance est interrompue. Des députés constitution-
nels se portent vers la tribune ; d'autres, debout à
leurs bancs, interpellent le bureau afin qu'il main-
tienne rinviolabilité du sanctuaire de la loi; certains
représentants , sans doute les amis des délégués de
Fémeute, vont au-devam de ceux-ci^ et, après une
courte explication, obtiennent d'eux qu'ils se retirent.
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LE ^0 JTJN 1702.
113
XVIIL
Pendant que les pétitionnaires trop impatients
sont reconduits dans la salle d* attente, disons un mot
de ce qui s'était passé au dehors , depuis une heure
ou deux que le rassemblement avait envahi les abords
du Manège et que l'Assemblée délibérait avec une
fiévreuse anxiété sur la conduite à tenir dans ces
graves circonstances.
Retenue au bas de T escalier qui conduisait à la
salle des séances, la foule ii' avait pas cessé de s'ac-
croître. Il lui était impossible de reculer, ceux qui
arrivaient poussant toujours ceux qui étaient arrêtés.
Par bonheur, il y avait, non loin de la cour des
Feuillants, un assez vaste jardin dépendant d*un
ancien couvent de capucins; il servit un instant de
déversoir; mais, dès qu'il fut rempli, ceux qui sV
étaient retirés, s'y trouvèrent bloqués; c'étaient
principalement les gardes nationaux et les sans-
culottes qui avaient amené le peuplier destiné à
orner la terrasse des Feuillants. Ne sachant que faire
en attendant le défilé, ils plantèrent l'arhre de la
liberté et fêtèrent le Serment du Jeu de Paume dans
le potager des capucins
I. Roederer, Chronique des cinquante jours*
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114 LË 20 JUIN nu2.
Cependant le danger d'être étouffé devenait de
p]us en plus imminent pour les premiers pétition-
naires, qui sentaient monter derrière eux la marée
populaire. Placés à la tète du rassemblement, au
pied de Tescalier qui conduisait à la salle des séances,
Santerre, Saint-Huruge, Alexandre et les autres
chefs ne pouvaient rien empêcher, rien diriger. Pen-
dant ce temps, des masses d^hommes, de femmes,
d'enfants, armés et sans arnies, se presssdent dans
rétroite cour du Manège, contre le mur par lequel
elle était séparée de la terrasse des Feuillants* Une
porte avait été pratiquée dans ce mur pour le service
de r Assemblée; mais elle avait été fermée dés le
matin et se trouvait gai dce par un détachement de la
garde nationale, qu'avait fait avancer le chef de la
quatrième légion, Mandat. La foule réclame à grands
cris l'ouverture de cette porte. Trois ofliciers muni-
cipaux (Roucher-René, Boucher Saint-Sauveur et
Mouchet), qui se trouvaient alors sur la terrasse des
Feuillants, accourent et annoncent, par le guichet,
aux masses accumulées que, quoiqu'ils n'aient aucune
puissance à Tintérieur du Château , ils vont recher-
cher qui a donne la consigne et tâcher de la faire
lever. Ils s'adressent d'abord au commandant du dé-
tachement placé sur la terrasse ; celui-ci les renvoie
au commandant général, lequel doit être auprès du
roi. Us avaient fait quelques pas vers les Tuileries,
lorsque, entendant redoubler les hurlements de la
populace, ils se retournent et voient «|ue des canons
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LK 20 JUIN 1792.
115
ODt été appiochés de la porte, et dirigés contre les
citoyeDs qui la menacent. Sur leurs iostancest les ca-
nons sont reculés de quelques pas, et Mouche! adjure
la foule de prendre patience jusqu'à ce que lui et ses
collègues aient obtenu l'ouverture de la porte qui la
sépare de la terrasse et par conséqueut du jardin.
Les trois municipaux, arrivés dans le Chftteau, se
mettent à la recherche du commandant général, qu'ils
ne trouvent nulle part, et parviennent jusqu'à la
chambre à coucher du roi. Louis XVi les reçoit à
l'instant même et leur demande quelle est la situa-
tion de Paris. Mouchet dépeint les eiTorts inutilement
faits pour arrêter les rassemblements des faubourgs^
expose combien il serait dangereux d'irriter la foule
en braquant des canons sur elle« et conclut à ce qu'il
plaise à Sa Majesté de donner les ordres nécessaires
pour que le jardin des Tuileries , ouvert le matin et
tout à coup fermé, soit, comme à l'ordinaire, livré
au public, u car, ajoute-t-il, des citoyens qui mar-
chent légalement ne peuvent qu'être offensés de se
voir soupçonnés de mauvaises intentions. »
c( Votre devoir , dit le roi , est de faire exécuter
la loi. ))
Mais, au lieu de se retirer sur cette réponse, les
trois olïiciers municipaux insistent :
« Si l'ordre que nous sollicitons d'ouvrir la porte,
dit Mouche i, n'est pas donné, il est à craindre qu'elle
ne soit forcée.
— Si vous le jugez nécessaire, répond le roi, faites
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116
LK 20 J t JIS 1 7'J2.
ouvi ii la porte des Feuillants, et qu'ils défilent le
long de la terrasse pour ressortir par la cour des
Ecuries. D'ailleurs, coticeriez-vous avec le comman-
dant général de la garde nationale, et faites en sorte
que la tranquillité publique ne soit pas troublée.
Votre devoir est d'y veiller. »
Sans plus s*inquiéter de trouver Tintrouvable com-
mandant général, les trois municipaux courent porter
Tordre royal au détachement qui arrête le peuple à la
porte de la terrasse. Mais l'ordre était déjà mutile:
la porte venait d'être forcée ^ Avait-elle été enfoncée '
avec une poutre*, ou simplement avait-elle cédé à
la pression de la foule? C'est ce qui ne saurait être
affirmé avec certitude. Quoi ([u il en soit, le fait
qu'une première violence fut commise bien avant la
sortie des pétitionnaires de l'Assemblée, fait nié ou
passé sous silence par les historiens qui tiennent à
faire considérer la journée du 20 juin comme une vé-
ritable idylle en action, ce fait est incontestable.
4. Procès-verbal Boucher Saint-Sauveur et Mouchot
% Gomme on le dit à J.-J. Leroux qui errait dans les envi-
rons. (Voir sa déclaration.)
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LE 20 JUIN 1792
117
XIX.
La majeure partie de la foule, celle qui avait ac-
compagné rémeute par pure curiosité, désœuvrement
ou môme entraînement, se répandit dans le jardin,
heureuse de pouvoir se reposer de ses fatigues. Elle
ne paraissait plus songer k entrer de gré ou de force
soit chez les représentants du peuple, soit chez le
roi, et rien n'eût été plus facile que d*empêcher
le rassemblement, déjà presque dispersé, de se for-
mer de nouveau. Mais cela ne faisait pas le compte
des meneurs, et il fallait que la journée fût com-
plète. Aussi lorsque, comme nous allons le voir,
la tête de la colonne, restée dans la cour des Feuil-
lants, reçut la permission de défiler devant l'Assem-
blée, on fit battre le rappel par les tambours appar-
tenant au bataillon des Quinze-Vingts ; toute la foule
disséminée dans le jardin des Tuileries s*empressa de
se rallier, et le deuxième acte de ce drame^ qui pou-
vait se changer à tous moments en une effroyable
tragédie, commença.
L'Assemblée nationale ne savait rien de ce qui se
passait au dehors. Elle se croyait toujours sous la
pression de dix à quinze mille hommes armés. La
7.
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11» Lb 2U JUIIS 1792.
brusque apparition des pétitionnaires avait répandu
refTroi parmi un certain nombre de ses membres.
Le président s'efforce de Texcuser en disant qu'elle a
été la suite d'une erreur bien concevable au milieu
d'une si grande agitation. « La députation ue s est
point présentée d'elle-même, ajoute Lacroix; elle a
été appelée par quelque huissier étourdi ; cela est si
vrai que Ton a pu voir les citoyens se retirer aussitôt
l'erreur reconnue ; TAssemblée doit doue décider
tranquillement si les pétitionnaires seront admis et
ensuite si le cortège qui les accompagne sera auto-
risé à défiler. »
L'Assemblée décrète que la députation sera reçue ;
les citoyens précédemment éconduits sont ramenés;
ils paraissent à la barre , et leur orateur, Huguenin,
commence à lire la longue et furibonde harangue
qui avait été préparée dans l'officine du faubourg
Saint-Antoine. Au milieu d'un océan de phrases am-
poulées et de réminiscences classiques, où le nom de
Calillua reparaît à chaque instant, surnagent quel-
ques phrases comme celle-ci :
« Pourquoi faut-il que des hommes libres se voient
réduits à la cruelle nécessité de tremper leurs mains
dans le sang des conspirateurs? I! n'est plus temps
de le dissimuler ; la trame est découvei te, l'heure est
arrivée, le sang coulera, et l'arbre de la liberté, que
nous venons déplanter, fleurira en paix. \ n roi doit-il
avoir d'autre volonté que celle de la loi? Le peuple
veut aussi, et tète vaut bien autant que celle des
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LE 20 JUIN 119
despotes couronnés. Cette tête est Tarbre généalo-
gique de la nation, et devant le chêne robuste le
faible roseau doit plier.
« Nous nous plai<j;nons essentiellement de Tinaction
de nos armées, nous demandons que vous en péné-
triez la cause; si elle dérive du pouvoir exécutif,
qu'il soit anéanti ! Le sang des patriotes ne doit point
couler pour satisfaire l'orgueil et Tambition du châ-
teau perfide des Tuileries...
<( Un seul homme ne doit point influencer la vo-
lonté de vingt-cinq millions d'hommes. Si, par égard,
nous le maintenons dans son poste, c'est à condi-
tion qu'il le remplira constitutionnellement ; s'il s'en
écarte, il n'est plus rien pour le peuple français.. «
« Nous vous avons ouvert nos cœurs ulcérés depuis
longtemps; nous espérons que le dernier cri que
nous vous adressons se fera sentir aux vôtres. Le
peuple est là; il attend dans le silence une réponse
digne de sa souveraineté.
« Cette pétition n*est pas seulement du faubourg
Saint-Antoine, mais de toutes les sections de la capi-
tale et des environs de Paris.
<( Les pétitionnaires de cette adresse demandent à
avoir l'honneur de défiler devant vous^ »
1 . Monileur et Journal des Débats et Décrets.
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120
LE 20 JUIN 1792
XX,
Cette pétition, véritable déclcii atioii de guerre à la
royauté, avait été fréquemment interrompue par les
applaudissements du côté gauche et des tribunes;
mais elle avait naturellement excité rindignation de
tous les hommes d'ordre, qui n'avaient pu entendre
sans frémir les sinistres prophéties des soi-disant
délégués du faubourg Saint- Antoine. Dubayet ré-
clame la parole aussitôt après que Torateur des péti-
tionnaires a prononcé sa dernière phrase , lancé sa
dernière menace. « Mais, s*écrie-t-on, le président
va répondre; vous ne pouvez parler qu'après le pré*
slclenl. — Je demande la parole avant, » réplique le
hardi député. L'Assemblée la lui refuse, et Français
(de Nantes) répond à la députation ces quelques
phrases vagues et banales que Ton applaudit de part
et d'autre, parce qu'elles n'ont pas de signification
bien marquée :
« Citoyens, l'Assemblée nationale et le peuple ne
font qu'un ; nous voulons votre intérêt, votre bonheur,
votre liberté, mais nous voulons aussi la constitution*
S'il existe des conspirations, nous les déjouerons par
la force de la loi. Nous vous invitons, au nom de la
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LE '20 JUIN 1792.
121
patrie, à Tobéissance de la loi, qui est le signe le
plus respecté par tous les peuples dignes de la liberté;
nous vous invitons...
(( Point d'invitation ! » crient plusieurs députés.
« L'Assemblée nationale, reprend le président,
verra toujours avec plaisir autour d'elle les citoyens
de Paris, puisqu'elle est assurée de leurs sentiments
patriotiques et qu elle sait qu'il n'y a jamais que les
dangers de la patrie qui puissent exciter leurs in-
quiétudes. Elle prendra en considération la pétition
que vous venez de lui faire, et elle vous invite à sa
séance. »
Dubayet réclame de nouveau la parole contre la
pétition, mais elle lui est refusée. Mathieu Dumas
parvient, malgré le tumulte^ à faire entendre cette
énergique protestation : « Pour l'acquit du serment
du législateur et pour l'honneur de l'Assemblée na-
tionale, je demande que la question préalable sur
l'admission des citoyens soit mise aux voix. »
Pendant que les pétitionnaires traversent la salle,
au milieu des applaudissements des tribunes et de la
gauche« le président met aux voix la question préa-
lable. Elle est repoussée par la majorité, et l'Assera-
blée décrète que les citoyens des faubourgs Saint-
Antoine et Saint-Marcel seront aduiis à défiler devant
elle : « Eh bien I je demande alors la question préa-
lable, s'écrie Girardin, sur toutes les loisdii royaume! »
Girardin avait bien raison. Jamais la violation des
lois, le mépris et la haine de la royauté n'avsdent
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m
m 20 JUIN 1
encore été si ouvertement proclamés. L^Asseniblée,
en admettant dans son sein ces insolents pétition-
naires et leur escorte, ne donnait-elle pas à ces vio-
lences de langage, qui devaient bientôt se traduire
en des violences de fait, uue espèce de consécration
légale? Dès lors les meneurs démagogiques surent à
quoi s'en tenir sur la force de résistance que la ma-
jorité opposerait à raccompUssement de leurs pro-
jets; ils comprirent parfaiteineut, par ce premier
succès, que la majorité était prête à reconnaître Tau-
toritédu fait accompli, quel qu'il fût, pourvu qu on ne
lui demandât de se prononcer qu'après l'événement.
Mais, pendant que le rappel est battu dans la cour
du Manège et aux abords de l'Assemblée pour réunir
l'armée de l'émeute, dispersée dans le jardin des Tui-
leries, d'autres députations, qui attendaient l'hon-
neur d'être admises, se présentent à la barre. Leur
langage fait une singulière diversion aux menaces
qui viennent d'être écoutées si patiemment. Elles
n*injurient pas le pouvoir exécutif, elles n'importunent
point l'Assemblée nationale de déclamations furi-
bondes; elles se contentent de jurer « l'amour delà
patrie et des lois. » — a Ce que nous n'oublierons
jamais, disent les délégués des deux premiers batail-
lons de la Gironde, c est que les lois doivent toujours
être présentes à notre mémoire et chères à nos cœurs ;
c'est que la force armée est essentiellement obéis-
sante. Nous n'oublierons jamais que, dans ua pays
libre, tout citoyen, depuis le soldat jusqu'au général.
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LË 20 JUIN 1702.
m
doit marcher droit à rennemî sans retourner la tète
en arrière. »>
a Assemblée a entendu avec plaisir l'expression
de vos sentiments, répond le président. Elle y a
surtout remarqué cette maxime : « La force armée
« est essentiellement obéissante. >» Elle vous témoigne
la satisfaction qu'elle a éprouvée en entendant ces
saintes paroles. »
Évidemment, cette réponse était à l'adresse des
précédents pétitionnaires ; mais quelle honte pour la
représentation nationale d'en être réduite à enve-
lopper la réprobation de la violence dans un timide
éloge donné a la modération I
XXI.
Silence ! le bruit des tambours et de la musique
annonce l'arrivée de Féineute trioaipiiante ! la voilà
qui envahit le sanctuaire de la loi !
A la tète du cortège marchent triomphalement
Santerre et Saint-Uuruge. L'ex-marquis et le bras-
seur, une fois entrés, se placent au pied de la tri-
bune pour diriger le défilé.
Derrière eux se presse une foule immensed^hommes,
de femmes, et même d'enfants que leurs mères trat-
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134
LE 30 JUIN 1793.
nent par la main. Les uns sont sans armes, d*autres
brandissent des sabres, des piques, des haches, des
faux, des besaiguës, des tranchets, des couteaux,
des pointes de fer, jusqu'à des scies emmanchées au
bout de longs bâtons. Quelques pelotons de garde na-
tionale apparaissent de loin en loin, au milieu de
cette multitude confuse, et ont Tair de sanctionner
par leur présence cette étrange saturnale.
La foule accompagne de la voix les musiciens qui
jouent Tair du Ça ira; on entend sans cesse retentir
ces cris : a Viyent les patriotes 1 A bas le vetol » On
voit défiler les emblèmes les plus étranges et parfois
les plus menaçants* Deux hommes portent au bout
de leurs piques, l'un une vieille culotte, avec cette
inscription : « Vivent les sans- culottes I » c'était
rétendard de la misère parisienne ; Fautre un cœur
de veau, tout sanglant, avec cette devise : « Cœur
d'aristocrate 1 » c'était la déclaration brutalement
claire des vœux d'un certain nombre d'émeu tiers.
Mais divers membres de l'Assemblée engagent, dit le
Moniteur^ l'individu qui porte ce dernier trophée à
sortir de la salle. On avait, on le voit, de singuliers
ménagements pour un misérable qu'on aurait dû
chasser avec ignominie.
Le défilé dure plus d'une lieure. Des danses pa**
triotiques viennent, par instants, varier le spectacle
offert par la populace parisienne aux députés de la
France ; des orateurs improvisés veulent donner des
échantillons de leur éloquence; mais Santerre, le
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LE 20 JUIN 1702.
m
chef de la manifestation, qui sait bien que la visite à
r Assemblée ne doit être que le prélude d*une autre
visite , se hâte de mettre fin à ces incidents « en pro-
nonçant, d'une voix reieuiissante : a En avant^
marche! »
Le défilé terminé, le général des émeutiers re-
mercie les représentants du peuple des marques d'a-
mitié qu'ils ont données aux citoyens du iaubourg
Saint-Antoine, et les prie d'accepter un drapeau en
témoignag(î de leur reconnaissance-. Puis il court
avec son inséparable acolyte, T ex-marquis de Saint-
Huruge, rejoindre ses hommes sur la place du Car-
rousel.
L'Assemblée, croyant tout fini, lëve sa séance. Il
était alors trois heures et demie.
Entré par la porte des Feuillants, le cortège sortait
par la cour du Manège; de cette cour longue et
étroite, il pouvait regagner la rue Saint-Honoré; il
pouvait aussi, nul obstacle ne lui étant opposé, fran-
chir la porte qui, au bout de cette cour, communi-
quait avec le jardin des Tuileries, longer la façade
du Château, sortir par le grille du Pont-Royal et re-
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m
LE 20 JUIN 179'i.
monter par les quais. Ce fut ce dernier itinéraire qu'il
suivit.
Qui le lui avait indiqué? Probablement l'infatigable
Mouchet, que nous retrouvons encore ici, revêtu de
son écharpe, haranguant ses amis les faubouriens,
donnant des ordies à la garde nationale, dirigeant la
marche de la manifestation , se multipliant pour se
donner une ridicule importance
Des bataillons de gardes nationaux étaient rangés
le long de la façade des Tuileries; le cortège défilait
devant eux. En passant sous les fenêtres royales, il
faisait entendre ses cris ordinaires : « Vive la nation!
Vivent les sans-culottes I A bas M. et M"""" Veto 1 »
Quant aux gardes nationaux, suivant l'esprit qui ré-
gnait dans les divers bataillons, ils donnaient à la
1 . L'officier municipal Mouchet est un type qui mérite de
nous arrêter un instant. Il joua dans toute la journée du 20 juin
le rôle Ip phis actif; il y fut la véritable inoiiclie du coche.
Au 10 août, on le voit encore jouer, à l'ilutel de Ville, un
certain rôle , puis il disparaît de la scène politique. Il
mourut en 4815, à Gray, sa patrie, dan.s la plus complète
obscurité. C'était un petit homme, jeune encore (34 ans),
qui était architecte - entrepreneur et capitaine des grena-
diers du bataillon de TOratoire. (Voir VAlmanach royal de
4792.)
« Mouchet, dil llœderer, représentait exactement l'esprit et
le caractère de la grande masse des bourgeois de Pans, qui
redoutaient les fureurs populaires et encore plus les trahisons
royales, et auraient voulu mesurer assez juste les soulèvements
des prolétaires pour obliger Ja cour à plus de droiture et de
fidélité. » {Chronique des cinquante jours,)
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LK JUIN 179!!.
manifestation leur adhésion bu leur blâme ; les uns
avaient ôté leurs baïonnettes, d'auUes s y étaient
refusés, quelques-uns avaient été jusqu'à rendre les
honneurs militaires à cette fouie désordonnée.
En ce moment, tout paraissait assez calme au*de-
dans comme au dehors du Giiàteau; en voyant le
cortège se diriger vers les quais, sans chercher à
pénétrer dans les Tuileries, on seutait se dissiper les
craintes que Ton avait conçues. Le roi , sa famille et
tout leur entourage étaient complètement rassurés.
Il en était de même des personnes qui, du jardin et
des abords de TAssemblée, observaient la marche du
rassemblement.
Mais soudain la foule, au lieu de suivre le quai, se
présenta devant le guichet du Carrousel, gardé par
des détachements des bataillons du petit Saint-
Antoine et des Petits-Pères. Dès le premier moment
du défilé à travers l'Assemblée nationale, le com-*
mandant du bataillon du Yal-de-Grâce , Saint-Prix,
avait envoyé ses deux canons et ses artilleurs sur la
place du Carrousel, et, comme cette pLoce ne faisait
point partie de la demeure royale, ils y avaient été
ad mis sans opposition. Ce fut peut-être à cause de
leur introduction que le cortège, en sortant du jar*-
din, trouva aux guichets cette étrange consigne :
u Laisser entrer toutes les personnes armées,de quel-
que manière qu'elles le soient, et ne pas admettre
celles qui n'auraient pas d'armes. » iUais les hommes
sans armes suivirent le flot des sans-culottes armés
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m
LE iO JUIN
et pénétrèrent avec eux dans le Carrousel, malgré
la résistance des gardes nationaux.
Rien n*eût été plus facile cependant que d'empê-
cher la foule d'entrer au Carrousel, et de là dans le
Château. Le commandant général avait en ce moment
des forces considérables : dix bataillons dans le jar-
din, deux autres sur la terrasse du bord de l'eau,
quatre à la place Louis XV, cinq sur la place du
Carrousel, et enfin, à Tintérieur des Tuileries, un
bataillon, les deux gardes, montante et descendante,
et cent gendarmes à cheval. Avec autant de troupes,
et en les disposant convenablement, on pouvait sans
peine garder toutes les avenues de la demeure
royale et tenir fermées toutes les cours et toutes les
portes. Mais Ramainvilliers resta, durant tout Pévé-
nement, dans Tinaction la plus complète, donnant
pour motif que le maire ayant permis, et le roi
n'ayant pas refusé l'admission de vingt pétitionnaires,
il n'avait pas pu prendre sur lui de proclamer la loi
martiale contre leur escorte. De plus, prétendit-ii
plus tard, une dizaine d'officiers municipaux, avec
ou sans écharpe, se trouvaient dans le Château et
donnaient des ordres avec ou sans Tagrément du
roi; il ne lui appartenait pas d'élever avec eux un
conflit d'attributions.
m
Quoi qu'il en fût, même après avoir forcé et la
grille du jardin et les guichets du Louvre, la masse
populaire semblait ne pas avoir conçu le dessein de
violer le domicile du roi. Déjà, à travers la place du
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L£ 20 JL1^ 1792.
129
Carrousel, elle atteignait la l'ue Saint-Nicaise« comme
si elle devait s'y engager et regagner ses quartiers
en remontant la rue Saint- Honoré. Le colonel
Rulbière, qui était posté avec deux escadrons de la
29" division de gendarnieric devant les Tuileries,
faisant face à rhôtel de Longueviile, croyait si bien
tout danger passé, qu'il descendit de cheval, permit
à une partie de ses hommes d'en faire autant, et s'en
alla avec un ami causer dans la cour royale , située à
l'intérieur du Château ^
Mds voici que tout à coup le cortège s'arrête. La
place du Carrousel, en 1792, était assez petite et
fort encombrée de constructions. Elle ne tarde donc
pas à se remplir, puisque personne n'en sort, et que
toute la foule qui vient de défiler devant l'Assemblée
y pénètre par les guichets du Carrousel et peu à peu
s'y ent£^se.
Bientôt , sous la pression des agitateurs , la masse
populaire s'anime et pousse des cris confus qui ne
tardent pas à se traduire par des ordres impérieux,
par des sommations furibondes.
Un groupe d'une quarantaine de sans-culottes se
présente à la porte de la cour Royale : a Nous voulons
entrer, disent-ils, et nous entrerons ; nous ne voulons
point de mal au roi, et on ne saurait nous empêcher
de pénétrer jusqu'à lui* » Fidèles à leur consigne,
4. Rapports RamaiiiviJliers > Hulbière, Saint -Prix, Rœ-
derer, etc.
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LE 20 JUIN 1793.
les deux gendarmes placés en vedette croisent la
baioanette sans répondre. Les émeutiers se retirent,
non sans menacer les soldats, qui d'un couperet, qui
d'un fusil ou d'une piquet Mais, peu après, les
mêmes, ou d'autres à leur place, reviennent, deman-
dant toujours à entrer. En raison de cette insistance,
la porte qui était restée ouverte est fermée, ainsi que
le guichet.
L'anxiété est grande parmi les gardes nationaux et
les gendarmes chargés de défendre le Château, a flous
périrons plutôt que de les laisser entier, disent les
uns. — Mais nous n'avons pas d'ordres, disent les
autres, ni d'officiers pour nous commander*. » Plu-
sieurs crient aux armes! et se rangent en colonne,
à coté de la porter « Et nous, demande uu capitaine
de gendarmerie au colonel RuUiière, qu'avons-nous
à faire? — Je n'ai point d'ordres, réplique celui-ci,
mais je crois que la troupe est là pour soutenir la
garde nationale. » L^n lieutenant-colonel de gendar-
merie. Carie, apercevant liamainvilliers, l'interroge
sur ce qu'il devra faire des deux cents hommes qu'il
commande* u 11 faut ôter les baïonnettes î — Pour-
quoi , répond Carie , ne m'ordonne-t-on pas tout de
suite de rendre mon épée et d oter ma culotte? » A
1 . R.ipports de radjudaiit ^MaroUe el des fondai aiea Muiicaux
et Foret.
S. Déclaration Guiogorlot, lieutenaDl-coltitiei de la 30*" divi«
sien de gendarmerie.
3. Déclaration Guibout.
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LE 20 JUIN 1792. 131
cette réponse , le commandant général tomme le dos
«
et disparaît rapidement ^
XXllL
Cependant la populace s* entassait aux abords de la
porte Royale, frappait, hurlait: « Nous entrerons
quand même I » Et Mouchet , Tofficier municipal que
Ton retrouve toujours juste à la porte par où la foule
va entrer, disait très-gravement aux soldats et gardes
nationaux : « Après tout, le droit de pétition est
sacré. »
Le clief de la deuxième légion, Acloque , invite les
otiiders municipaux présents à aller demander aux
citoyens qui remplissent la place du Carrousel , de
déléguer une vingtaine de personnes sans armes, s'ils
ont à présenter une adresse au roi : ces vingt délè-
gues, il promet de les conduire lui-même devant Sa
Majesté , et déclare d'avance être s&r qu'ils seront
bien reçus par Elle. En conséquence on ouvre le gui-
chet. Les municipaux baranguent la foule : « Vous ne
devez pas pénétrer en armes chez le roi , la cour du
4. Rapports du capitaine Lassus, du lieutenant -colonel
Garle»
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132
LE 20.JUIN 1792.
Château fait partie de son habitation... Le roi recevra
votre pétition» mais dans les formes prescrites par la
loi. Où sont vos vingt députés sans armes? qu*ils
approchent et quiis entrent seuls! » Une trentaine
d'individus se présentent; sans les compter, les offi-
ciers municipaux les introduisent comme s ils étaient
la députation demandée; et le guichet est aussitôt
refermé par la gendat uierie
Depuis le commencement du déûlé, les canonniers
des quatre bataillons du faubourg Saint-Antoine et du
faubourg Saint-Marcel étaient venus se ranger avec
leurs pièces au fond du Carrousel devant l'hôtel de
Longueviile. Saint- Prix, au sortir de TAssembiée, où
le bataillon du Val-de-6rftce l'avait entraîné de force,
veut rallier ses liuuimes et leur fait faire halte sur le
quai. Il expédie à ses artilleurs Tordre de quitter le
Carrousel et de lui ramener ses pièces, mais les ca-
nonniers refusent d obéhr. Le commandant en second,
Leclerc, accourt et réitère la même injonction :
nouveau refus. Bien plus, le bataillon lui-même,
chargeant ses armes malgré les ordies contraires,
entraine son chef sur la place du Carrousel et prend
position auprès des canons. Saint-Prix essaye encore
d'apaiser sa U'oupe en pleine rébellion^ il ordonne
au lieutenant des canonniers de porter les pièces en
avant et de marcher dans la direction des Gobeiins.
« Non ! s*écrie Tofficier, nous ne partirons point ;
4 . Rapporte Acloque, Boucher«René, Lassus.
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LE 20 JUIN. 1702.
i;i3
nous ne sommes pas venus ici pour rien ; le Carrousel
est forcé» il faut que le Château le soit. Voilà la pre*
mièie fois que les canonniers du Val-de-(ii'ùce mar-
chent; ce ne sont point des j... f..«; et nous al-
lons voir!... Allons! à moi, canonniers... droit à
Vemiemi^l » £t canonniers, gardes nationaux, popu-
lace , tout s'ébranle dans la direction des Tuileries.
A l'instant même où les masses vont commencer
le siège de la porte Royale, contre laquelle les canons
des faubourgs sont braqués, on entend un cii qui
part de Tintérieur de la cour : « Ne tirez pas, on
ouvre î » Aussitôt, en effet, les deux battants de la
porte roulent sur leurs gonds et livrent passage à la
fouk qui se précipite avec furie dans la cour Royale-.
Mais un dernier obstacle peut arrêter le torrent, une
grille se trouve à l'extrémité de la cour, sous la voûte
qui conduit au grand escalier ; les chefs de légion
Acloque, Mandat, Pinon, le commandant de bataillon
Vanotte s'efforcent de fermer cette grille; ils appellent
4. Rapport Saint-Prix.
2. Qui avait donné Tordre d'ouvrir? Personne, après Févé-
nement, ne voulut en assumer sur lui la responsabilité. Qui
avait ouvert? Il est certain que ce furent des gardes nationaux,
se trouvant dans l'intérieur de la cour, qui levèrent les bascules
des deux battants de la ()uii(v, mais quels étaient-ils? le firent-
ils de leur cliel ou sur uu oidre verbal? C'est ce que porsourie
ne put dire. L'intendant de la liste civile, Laporte, qui interro-
gea tous les concierges du Gbàteau, fait remarquer dans son
rapport qu*il n'y eut de forcée (}ue la porte Royale; celle de la
cour des Suisses et de la cour des Princes restèrent fermées jus-
qu'au soir et ne iervirent qu'à récoulemenl de la foule
8
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134
LE 20 JUIN i192.
à leur aide les canonniers et les chasseurs qui font
partie de la garde montante, arrivée depuis quelques
heures et répandue dans la cour; mais ceux-ci re-
fusent d'écouter la voix de leurs chefs.
a Étes-vous sûrs, s'écrie Pinon, qu'il ne se mê-
lera point, pariiu ceux qui se présentent, des hommes
capables d'attenter à la vie du roi? — U vaut mieux,
lui répond-on, qu'un seul homme soit tué que nous.
— . Vous vouiez doue nous faire égorger? n crient les
canonniers en empêchant leurs officiers d'opposer ce
dernier obstacle à la foule.
L'irruption est si violente qu'un des canons du
bataillon du Val-de~Grâce est transporté à bras jusque
dans la troisième pièce du Château, dans la salle des
Suisses: mais là il s'embarrasse dans la porte et em-
pêche ceux qui suivent de pénétrer plus avant. Cet
incident ne fait qu'enflammer la fureur du peuple,
parmi lequel le bruit se répand qu'on a trouvé une
bouche à feu prête à le mitrailler. Tout s'explique
bientôt, grâce aux municipaux Boucher -Kené et
Mouchet, qui adressent des reproches aux canonniers
sur leur excès de zèle, font dégager la porte à coups
de hache et descendre le canon au pied de l'escalier.
U y resta jusqu'au iiioaient de l'évacuation du pa-
lais ^
Traitant les Tuileries comme une ville emportée
d*assaut» renversant tout ce qui s'oppose à son pas-^
i . Rapport SaiDk-Pri&. Rapport Moucbel.
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LK 20 JUIN 1792.
135
sage, la tourbe envabissaote pénètre jusqu'à la salle
de rOEil-de-Bœuf , dont les portes sont fermées et
dont elle réclame l'entrée à grands cris.
XXIY.
Dans cette salle se trouvaient le roi, trois de ses
ministres, Beaulieu, Lajard et Terrier, le maréchal
de Houchy, deux officiers de gendarmerie, un ou
deux chevaliers de Samt-Louis, le chef de légion
Lacbesnaye, et enfin plusieurs simples volontaires
de la garde nationale. Fontaine, Gossé, Bidault, Le-
erosnier, Guibout.
Madame Élisabeth, qui n'a point quitté son frère,
écoute en frémissant les bruits terribles par lesquels
s'aiiiionce l'invasion populaire, et, tout en laiiiies,
adjure les gardes nationaux de défendre le roi.
lin ce moment on frappe à une autre porte que
celle derrière laquelle hurle la populace. Est-ce en-
core V ennemi? Non, c'est Acloque et l'adjudant Boivin
qui, par les escaliers intérieurs, accourent, avec un
renfort de gardes nationaux, protéger le roi ou mourir
avec lui. lis se nomment; on leur ouvre. Acloque se
précipite vers le monarque , le saisit à bras-le-corps
et, le suppliant de se montrer au peuple, lui jure
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LK 20 JUIN 179*2.
de périr plutôt que de lui voir subir la moindre
insulte.
Ls( porte, qui seule sépare Louis XVI des envahis-
seurs, est de plus en plus violemment ébranlée par
des coups de hache et de crosses de fastl. Cn des
panneaux tombe. Des piques, des bâtons, des baïon-
nettes menacent les poitrines des braves grenadiers
qui se sont précipités devant le souverain. — « Sire,
s'écrie Tun d'eux, n'ayez pas peur ! — Non, réplique
le mouarque, liéroïque en ce moment, non, je n'ai
pas peur; mettez la main sur mon cœur, il est pur« »
Et, saisissant la main du garde national il Tappuie
avec force contre sa poitrine. Puis, décidé à suivre le
conseil que lui a donné Acloque, il commande de
laisser entrer le peuple. Le chasseur Fontaine tire le
verrou d'en bas, un Suisse celui d'en haut, et, aussi-
tôt la porte ouverte, vingt ou trente individus en-
trent en courant. « Citoyens, leur crie Acloque,
reconnaissez votre roi, respectez-le, la loi vous
l'ordonne; je périrai, nous périrons tous, plutôt que
de laisser porter la moindre atteinte à son inviola-
bUité »
A ces mots prononcés d'une voix ferme, l'invasion
populaire s'arrête durant quelques secondes; on pro-
fite de cet instant de répit pour conduire le roi dans
l'embrasure d'une croisée, sur la banquette de la-
4. Déclarations Fontaine et Lachesnaye. — Rapport Ac-
loque.
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LE 20 JUIN i70S,
quelle il monter La foule avance et bientôt remplit
la grande salle de rukiil-de-Bœuf, qui lui a été
presque tout entière abandonnée : « Que voulez-vous,
dit Louis XVI, avec un calme admirable? Je suis
votre roi. Je ne me suis jamais écarté de la consti-
tution. ))
Mais sa voix se perd au milieu des hurlements. De
toutes parts éclaieut les cris de : a A ban monsieur
Vetol au diable le Veto! » proférés avec d'inju-
rieuses menaces par des individus armés de fusils et
de pistolets ^ Acliaque instant, de Tlmmeuse cohue
s'élèvent de brutales injonctions : « Le rappel des
ministres patriotes, il faut quil le signe! nous ne
sortirons point qu'il ne Tait fait 1 »
La grande salie présente le spectacle d'un océan
4. Acioque, dans son rapport, dit qu'il ne fut pas possible
de déterminer* M*"* Élisabeth à quitter son frère, et qu'elle se
plaça dans l'embrasure d'une autre croisée. Ce fut sans doute
à ce moment que cette angélique princesse dit à un serviteur
lidèlo, en entendant quelques individus qui la prenaient pour
la reine, contre laquelle toutes les haines avaient été ameutées
depuis si longtemps : a Ah I ne les détrompez pasi » {Mémoires
de Madame Campan. )
t. Déclaration Bidault* — Les gardes nationaux écartèrent
à plusieurs reprises de la personne du roi un Individu qui,
des premiers entrés, était armé d'une lame d'épée rouillée et
8*était mis en posture de foncer sur Louis XVI; d'autres mi-
sérables, tenant en maiii des pistolets, des sabres, trahissaient,
par ia violence de leurs propos, des intentions perverses. Parmi
eux se trouvait un certain Soudin, bien connu pour avoir, en
47S9 , promené dans Paris les tètes de Foulon et de Bertiiier à
]a pointe d'une pique. (Déclarations Lecrosnier et Guibout.)
S.
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138
hU 20 JUIN
de tètes, de bras, de piques , de sabres, qui semble
agité par un flux et un reflux perpétuel et au-dessus
duquel surnagent les horribles trophées déjà prome-
nés à travers VAssembiée nationale
Plusieurs historiens, pour contredire les allégations
peut-être exagérées des ultra -royalistes, de Peltier
et autres , se sont laissé entraîner éux-mèmes à d'é-
ti anges appréciations en sens contraire. En dépit des
faits dont sont remplis les procès -verbaux authen-
tiques, ces écrivains ne craignent pas de déclarer
que H jamais dispositions plus inoflensives ne se pro-
duisirent au sein d'un plus bizarre désordre*; » que
si quelques individus, pai* exception, eurent Tair
d'en vouloir aux jours du roi, cela seul qu'ils ne le
tuèrent pas prouve que personne n'en eut la pensée.
« La chose eût été bien facile, dit M. Michelet' : le
roi avait peu de monde autour de lui, et plusieurs
des assaillants, ayant des pistolets, pouvaient l'at-
teindre à distance. »
Que les masses , entraînées par quelques meneurs
dans l'inviolable domicile de Louis XVI, y fussent
entrées sans intentions perverses; que nombre de
ces femmes, de ces enfants, de ces désœuvrés qui
n'étaient venus que par curiosité, ne se doutassent
4. On revit môme, dans la salle de l'Œil-de-Bceuf, le cœur
de veau planté sur une fourche avec rinscription : « Cœur
d'aristocrate. » (Déclaration Guibout.)
%. Louis Blanc, t. Vf, p. 434.
3, HUiùire de la BévoliUion, t. III, p. 485.
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LE 20 JUIN 1792. 139
pas qu'ils commettaient un attentat national en ou-
trageant le monarque chez lui : oui, cela nous semble
incontestable. Mais ce qui ne Test pas moins, c'est
que certains misérables qui se trouvaient dans la
foUlc n'auraient pas demaudè mieux que de devancer
l'œuvre à jamais détestable qui s^accomplit le 21 jan-
vier ; c'est que le régicide fut rendu impossible uni-
quement par le courage du roi et de ceux qui Ten-
touraient. Les assassins ont les mêmes instincts que
certaines bétes féroces ; ils n'osent attaquer qui les
regarde en face et ne se ruent que sur ceux qui s'a-
bandonnent eux-mêmes.
XX Y.
La grande salle de l'OEil-de-Bœuf est depuis près
d'une heure le théâtre d'un tumulte ioexprîmable.
Personne, ni les olliciers supérieurs ([nï entourent le
roi, ni l'officier municipal Mouchet, accouru, dit-il
dans son rapport, « pour maintenir la décence, » per-
sonne n'est parvenu à se faire écouter; seul, le bou-
cher Legendre obtient un moment de silence lorsqu'il
apostrophe ainsi le roi : u Monsieur I... » Et comme
Louis XVI, stupéfait de la manière inusitée dont il
est interpellé, fait un geste ; « Oui, monsieur, re-
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ilO
LE 20 JUhN 1792.
prend Legendre, écoutez -nous, vous êtes fait pour
nous écouter* Vous êtes un perfide ; vous nous avez
toujours trompés ; vous nous trompez encore, mais
prenez garde à vous; la mesure est à son comble et
le peuple est las d'être votre jouet I » Pois le tribun
subalterne se met à lire ujae espèce de pétition bour-
rée d'accusations, de mensonges, de menaces, écrite
et débitée naturellement au nom du peuple. Le mo-
narque, avec un calme admirable, répond : « Je ferai
ce que la constitution et les décrets m'ordonnent de
faire. » Cette déclaration ferme et digne excite de
nouveaux hurlements : « A bas le roi! le rappel des
ministres* la loi contre les prêtres, la loi pour le
camp des vingt mille ! au diable le Veto! » Mouchet,
Tinfatigable et inévitable Mouchet, veut parler; il est
parvenu jusqu'à l'embrasure de la fenêtre où se
trouve Louis XVI. Hissé sur les épaules de deux ci-
toyens, il invoque son titre d'officier municipal,
mais son écharpe est aussi peu respectée que son
éloquence.
Un homme portait un bonnet rouge au bout d'une
perche » il l'abaisse dans la direction du roi comme
pour le lui présenter; Louis XVI fait un signe que
Mouchet croit comprendre; celui-ci saisit le bonnet
et le passe au malheureux monarque qui s*en coiiTe
aussitôt. À cet étrange spectacle, la foule éclate en
applaudissements; elle crie : « Vive la nation I vive
la liberté! » et même : « Vive le roi! » Mais cette
dernière acclamation ne sortit pas de toutes les bou-
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LE iO JUIN 179^.
111
ches, comme Taffirme Mouchet dans son rapport. Il
est vrai que Toliicier municipal Patris a prétendu
plus tard que, dans le cas où le roi n'aurait pas avancé
la main pour saisir le bonnet rouge, on n'aurait point
exigé de lui qu'il le mit sur sa tète. Mais ceci n'est
rien moins i[ue certain ; car, s'il faut en croire un
autre témoin, le brave grenadier Bidault, placé à côté
de Sa Majesté durant la scène, on entendait sortir de
la foule des paroles qui indiquaient assez jusqu'où la
violence aurait pu être poussée: « Il a bien fait,
f.....! de le mettre, car nous aurions vu ce qu*il en
serait arrivé...; et, f î s'il ne sanctionne pas les
décrets sur les prêtres réfractaires et sur le camp
des vingt mille hommes, nous reviendrons tous les
jours, et c'est par là que nous le lasserons et que
nous saurons nous faire craindre ^ »
line feninie attire les regards du roi en agitant une
épée entourée de fleurs et surmontée d'une cocarde.
Mouchet fait signe a la femme, et Tépée lleurie passe
entre les mains du monarque qui la brandit aux cris
enthousiastes, poussés par la foule, de : « Vive la na-
tion 1 » Louis XVI lui-même répète ce cri; il assure
qu'il veut sincèrement le bonheur du peuple et pro-
teste de son attachement inviolable à la constitution*
En vain de tous côtés réclame-t-on de nouveau le
retrait du veto, le rappel des ministres j^atriotes; le
monarque reste muet sur ces deux points. Si vraiment
4 . Déclarations Bidault, Mouchet, Patris.
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LE W JUIN 1702.
on voulait, comme dit M. Micbelet^ 1* épouvanter ^ le
convertir par la terreur, on n*y réussit pas; ferme
dans sa dignité d'homme comme dans sa foi de roi ,
le petit-fils de Henri IV et de Louis XIV, en ne cé-
dant point le 20 juin , s'est acquis à l'admiration de
rhistoii e un titre qui ne pourra jamais lui être loya-
lement contesté.
Cepeudaat, le souverain n'accordant pas à la po-
pulace ce que les meneurs lui faisaient demander, la
situation devenait insoluble-, les cris succédaient aux
cris, les menaces aux menaces, la foule à la fouie.
Mouchet propose au roi de sortir sur la terrasse, afin
de parler au peuple et d*étre mieux entendu; un
autre municipal, Ha, l'engage à passer dans la pièce
voisine; Louis XYI ré[)ond : « Je suis bien ici, je veux
rester. » Sans doute il ne se fiait ni à l'un ni à l'autre
de ces municipaux trop suspects de jacobinisme.
Malgré l'ouverture de la galerie, la chaleur était
excessive. Un garde national, auquel une bouteille
de vin et un verre avaient été passés de main en
main par ses amis, s'aperçoit que le visage du roi
est ruisselant de sueur*.
« Sire, lui dit-il, vous devez avoir bien soif, car
moi je meurs... Si j'osais vous oifrir... Ne craignez
rien, je suis un honnête homme, et, pour que vous
buviez sans crainte, je boirai le premier, si vous le
permettez.
I . Histoire de la Révolution, t. III, p. 485.
9. Rapports UTouchet, Hu, J.^. Leroux.
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L£ %i> JUIN i7U2
m
— Oui, mon ami, je boirai daas votre verre, »
répond Louis XVI, et, aux applaudissements de la
foule, il s écrie : « Peuple de Paris, je bois à la sanlé
et à celle de la nation française ^ 1 »
Au même moiiient plusieurs députés, qui avaient
appris la violation du domicile royal, entraient pré-
ci|jiiaii)ment aux Tuileries. Ils n'avaient et ue })ou-
vaient avoir aucune mission officielle , puisque T As-
semblée n'avait |)as cru utile d'adopter la proposition
que Vergniaud lui avait faite quelques heures aupa-
ravant d'envoyer auprès du roi une députation per-
manente de soixante membres. Se jetant à travers la
foule qui encombrait les escaliers et les appartements,
ils ont la peine la plus grande à se faire reconnaître,
écouter, respecter. Enfin les voici, après mille efforts,
parvenus à la porte de la salle de l'OEil-de-Bœuf.
Vergniaud, Isnard, deux des membres les plus popu*
laires du côté gauche, s'y frayent un passage. Da-
verhottlt, Blanc-Gilly, deux membres de la droite,
les accompagnent. Daverhoult, ami particulier de
La Fayette, écarte les émeutiers les plus rapprochés
de Louis \VI en s' écriant: « Vous ir approcherez du
roi qu en passant sur mon cadavre ^ I » Isnai*d, sou-
levé par quelques gardes nationaux de manière à
dommer la foule, la conjure de se retirer; mais on
4. Lettre fJe Blanc-Oilly au département des fiouches-du-^
Rhône.
t. Uécit de Daverhoult a l'Assemblée, Journal des Débats et
Décrets, n° 269, p. 295.
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144
LE 20 JUIN 1792.
rinterrompt, on veut auparavant obtenir la levée du
veto, le rappel des ministres. « Si ce que vous de-
mandez vous était accordé en ce niuineat, dit-il, ce
ne serait plus un acte de liberté.*. Retirez-vous donc
au nom de la loi et de l'Assemblée nationale, sur
laquelle vous pouvez vous reposer du soin de faire
tout ce qui sera convenable. » Mais le tumulte redou-
blant : u Citoyens, répète-t-il, je suis Isnaid, député
à r Assemblée nationale ; je vous invite à vous retirer
et je vous réponds sur ma tête que vous aurez satis-
faction ^ »
XXVI.
*
Que faisait T Assemblée au nom de laquelle isnard
venait ainsi de parler? On se le rappelle^ elle avait
levé sa séance aussitôt après le délilé populaire;
mais en sortant du Manège, bon nombi*e de députés
s'étaient aperçus du Uuabie qui se produisait autour
des Tuileries et étaient successivement rentrés dans
la salle des séanceis. A cinq heures environ, un des
anciens présidents, Guyton-Morveau, monte au fau^
teuil et fait ouvrir les portes des tribunes.
1. Déclaration Fontaine.
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LK 20 JUIN lît>2.
Déjà le rapporteur du comité des finances avait
entamé la lecture d'un décret, lorsqu'il est brus-
quement interrompu par Begnault-Beaucaron qui
s'écrie :
u J'apprends que les jours du roi sont en Ranger;
je demande que l'Assemblée se transporte en corps
auprès de lui pour sauver sa personne. »>
(( L'objet est pressant, ajoute Hébert (de Seine-et-
Marne), il n'y a pas à délibérer. — Ah bah ! lui répli-
que-t-on à gauche. — Le roi ne peut être en danger
au milieu du peuple, dit Tliuriot. — Mais, répuud
fieugnot, ce n*est pas le peuple qui est chez le roi,
ce sont des brigands. — C'est le peuple, c'est le
peuple, » maintiennent les députés ultra-révolution-
naires. Au milieu des murmures, Thuriot lance cette
pai'oie contre ceux qui défendent la majesté royale
outragée : « Le roi n'a qu'à se bien conduire, et le
peuple ne se portera pas chez lui I Je demande le
rappel à l'ordre de tous ceux qui se permettraient
d accuser le peuple! — Motion d'un factieux qui
voit le peuple dans des brigands, » s'écrie avec in-
diguation un député de la droite, Brunck.
Le tumulte finit pourtant par s'apaiser, et l'As-
semblée, prescjue unanimement, décrète qu'une dé-
putation de vingt-quatre membres sera sur-le-champ
envoyée aux Tuileries.
Girardin, qui vient de prendre le fauteuil, provi-
soirement occupé par Guyton-Morveau, en désigne
les membres, et ceux-ci courent remplir leur mission,
9
Digitizod
LË 20 JUIN 1792.
A peiae soat-ils sortis, que Dumas» qui arrive du
Château , annonce que le roi court un danger immi-
nent. La gauciie interrompt avec violeuce, s* écriant
par Torgane de Gharlier : « Le roi ne court aucun
danger» il est au milieu du peuple! » et par la voix
do capucin Chabot : « A l'ordre le député qui a ca-
lomnié le peuple ! » Dumas n en développe pas moins
sa pensée. Il lui parait indispensable que le com-
mandant général de la garde nationale soit mandé à
la barre, et que, par son entremise, les ordres néces-
saires soient donnés pour la sûreté du roi. — On
' murmure* — Dumas s'en irrite à bon droit, et avec
une généreuse vivacité il dépeint le uiste spectacle
doot il a été témoin : « Le roi assailli, menacé, avili
par le signe d'une faction, le roi couvert du bonnet
rouge I » La droite applaudit son courageux repré-
sentant, mais la gauche crie : « A bas! à bas ! » et les
tribunes se joignent à elle pour accabler Torateur de
furibondes invectives. Adam, Baert et plusieurs
autres interpellent le président, lui dénoncent « à lui,
et par lui à la France entière, » les ennemis de la
constitution. D'autres membres de la droite s'écrient :
« Que diront les départements quand ils sauront que
le chef, le souveidin iiivebii de la majesté nationale,
a été à ce point avili? — Avili! répliquent les Mon-
tagnards aux applaudissements frénétiques des tri-
bunes ; le bonnet de la liberté n'est pas avilissant 1 »
Demeuré ferme à la tribune , Dumas achève ainsi
son didcours : u Mon unique objet était de demander
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LE 'iO lUlN I79'i.
147
que l'on prit les précautions nécessaires... J'en de-
mande pardon à mes collègues, mais celui que TAs-
semblée nationale chargea de répondre à la nation
de la sûreté de la famille royale, au 21 juin 1791, lui
paraîtra sans doute excusable de se montrer si af-
fecté de ses dangers au mois de juin 1792. »
Thunotf Lasource et plusieurs autres députés ré*
clament à la fois la parole. Mais elle est accordée à
Turgan qui vient rendre compte de l'état déplorable
dans lequel il a laissé les Tuileries. Charlier demande
que vingt-quatre membres soient ajoutés à la pre-
mière députation. Lacroix renchérit sur cette motion;
il propose que toutes les demi-heures une nouvelle
députSttion soit envoyée au Château, afin que« celle*
ci relevant celle-là, l'Assemblée soit sans cesse in-
struite du véritable état des choses. Cette proposition
est sur-le-champ décrétée et mise à exécution.
XXVII.
Cependant la foule grossissait à chaque instant
dans le Château et autour du Château.
Paris ne s'était pas beaucoup ému le matin, durant
le défilé du cortège; il était resté généralement tran-
quille. Mais l'envahissement des Tuileries avait été
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148
LE 20 JUIN 1793
bientôt connu de proche en proche, toat le monde
voulait voir, tout le monde accourait. Le Carrousel,
les cours, le jardin, les rues adjacentes regorgeaient
d'une population immense, qui en était encore à savoir
ce qui se passait dans Fintérieur des appartements^
Le désordre durait depuis deux heures, lorsque
enfin on vit apparaître le maire de Paris. Depuis qu'il
avait, à onze heures du matin, fait adopter le fameux
arrêté du corps municipal légalisant le rassemble-
ment, Pétion était devenu invisible. Retiré d'abord
avec quelques confidents intimes dans une des salles
de l'Hôtel de Ville et plus tard à l'hôtel de la mairie
(aujourd'hui la prélecture de police)^ il n'avait plus
donné aucun ordre.
Vainement le directoire du département lui avait-il
écrit pour avoir des nouvelles et réclamer l'envoi
dans son sein d'un oiricier municipal; vainement di-
vers membres du conseil général de la commune
s'étaient-ils officieusement réunis à l'Hôlel de Ville et
lui avaient-ils demandé des instructions. Le premier
ma^strat de Faris n'avsût pas pu se décider, avant
4. Là se trouvait perdu dans ia foule un homme qui devait,
quelques années plus tard, recevoir, avec une pompe jusqu'alors
inconnue, tous les rois de l'Europe dans ce palais en ce mo-
ment livré à la plus hideuse populace ; un jeune officier d'ar-
tillerie, le capitaine Bonaparte, qui se promenait avec indiffé-
rence, bras cl( ssiis, bras dessous, avec deux an)is, s'indignait
do la longanimité du monarque et ne demandait (juc quelques
pièces de canon pour balayer toute retfe rnnaille. ^Voir les
Mémoires de Bourrie/me et le Mémorial de Sainie-Hèlène* )
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LE 20 JUIN 119^.
140
cinq heures, à sortir de rimmobilité qu'il avait jus-
qu'alors gardée; — sorte de complicité uonchalante
qui admet les dénégations et permet les mensonges.
Ënfin, sur les avis réitérés qu il reçoit du Château,
Pétion comprend qu'il ne lui est pas possible de rester
plus longtemps sans agir ou avoir l'air d'agir, il fait
donc atteler sa voiture, quitte son dtner inachevé,
prend avec lui Tadministrateur de police, Sergent,
et le secrétaire de la mairie, Joseau, et arrive aux
Tuileries à travers des embarras innombi ables. Des-
cendus de voiture dans la cour des Princes, Pétion et
Sergent ceignent leurs écharpes et s'avancent à tra-
vers la fouie qui s'écarte sans trop de diilicultés, car
les populaires magistrats savent payer leur passage
par plus d'une flatteuse harangue. Quand Pétion
engage les citoyens à conserver la dignité qui con-
vient aux hommes libres, on l'applaudit avec frénésie,
Gonjure-t-il le peuple de « prendre garde aux mal-
veillants qui pourraient se glisser dans son sein et
l'exciter à quelque désordre, afin de le calomnier,
lui et ses magistrats, » on l'applaudit encore, mais
moins généralement; insinue-t-il qu'il serait temps
de se retirer avec ordre, on ne l'écoute plus. En
marchant, les ofiiciers municipaux ne font qu'ac*
croître l'encombrement contre lequel ils luttent ; car
ils ouvrent eux-mêmes une voie nouvelle au torrent,
sans cesse grossi par la curiosité. Chacun se dit que
le maire est là, se demande ce qu il va advenir de sa
présence» et veut voir.
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Arrivés enfin dans la salle de TOEil-de-BcBuf, Pé-
tioa et Sergent aperçoivent le roi entouré de plusieurs
officiers municipaux en écharpe, Patris, Vigner,
Champion ; de représentants du peuple, Vergniaud,
Isnard; d'officiers de la garde nationale et de chefs
de légion, Acloque et Lachesnaye. Louis XVI est tou-
jours coiffé du bonnet rouge. A la vue de cet ignoble
spectacle, lo maire de Paris, loin de s'indigner, ad-
mire avec une stupéfiante béatitude le roi des Fran-
çais « couronné du signe de la liberté. »
Et majestueusement, au milieu des cris enthou-
siastes de « Vive Pétion I » il pénètre enfin jusqu'aux
côtés du roi.
« Sire , lui dit-il , je viens d'apprendre à Tinstant
la situation dans laquelle vous étiez...
— Gela est bien étonnant , interrompt brusque-
ment le monarque indigné, car il y a deux heures que
«
cela dure.
— Sire , reprend le maire , j'ignorais vraiment qu'il
y eût des troubles au Château ; dès que j'en ai été
instruit, je me suis rendu auprès de votre personne;
mais vous n'avez rien à craindre, car le peuple veut
la respecter; nous en répondons.
— Je ne crains rien, réplique le souverain outragé,
on peut le remarquer; d'ailleurs je n'ai couru aucun
danger, puisque j'étais entomé de la garde natio-
nale ^.1»
1. Rapports Moucbet, Sergent. ^ Exposé de la conduite
tenue pur le maire. ^ Déclaration Fontaine.
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LE 20 JUiPi 1792
151
Pétion essaye d'engager les citoyens à se retirer. .
mais il le fait si froidement ^ que nul ne bouge« On
crie de nouveau : « Rappelez les ministres, levez le
vetol )> Un grand jeune homme blond parvient près
du roi, et lui tient cet étrange discours :
u Sire, vous n^êtes point accoutumé à entendre la
vérité; je vus vous la dire au nom du peuple... Au
nom de cent mille âmes qui m'entoureut, je vous le
dis : si vous ne sanctionnez pas les décrets de l'As-
semblée , si vous ne rappelez- pas les ministres pa-
triotes que vous avez renvoyés, si vous ne marchez
pas la constitution à la main , nous vous ferons des-
cendre du trône ; le règne des tyrans est passé... La
sanction des décrets, leur exécution, ou vous pé-
rirez! »
Pértion n'a pas imposé silence au jeune forcené ; il
l'a laissé parler sans l'interrompre. Indigné , le mu-
nicipal Champion se tourne vers le maire et lui dite
u Mais ordonnez donc , au nom de la loi , au peuple
de sortir... Un grand danger nous menace, il faut
parler} » Le maire hésite encore, et c'est le roi qui
répond pour lui au jeune homme : « Vous vous écar-
tez de la loi; adressez -vous aux magistrats du
peuple. »
(lliani|)ion, de plus en plus effrayé des dispositions
hostiles de la ïoule, se tourne vers Pétion et lui
crie : « Monsieur le maire , vous êtes responsable de
\, Rapport ChampioD.
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Li. iU JUhN 1792.
tout ce qui peut advenir. » Mais les autres iriuui-
cipaux. Sergent, Vigner, Patris, reprochent à leur
collègue sa trop grande vivacité; et Tacolyte de
PétioQ, le secrétaire Joseau, lui fait observer qu'il
n'est pas à sa place. En eflet, Champion n'était pas
du nombre des oûiciers municipaux triés illégalement
pour voter Farrété municipal du matin, ni du nombre
de ceux qui avaient reçu ie mandat de maintenir
dans cette journée « Tordre et la décence. » Il s'était
rendu aux Tuileries, de son propre mouvement, uni-
quement parce qu'il avait pensé que la place des
officiers municipaux est partout où il y a tumulte,
danger public et violation de la loi ^
Pétion se décide enfmà haranguer l'émeute. Sergent
fait monter le maire sur un fauteuil que Ton vient
d'apporter, et lui-même, prenant la sonnette' des
mains de Tun des huissiers de l'Assemblée nationale,
qui avait accompagné Isnard et Vergniaud, l'agite
jusqu'à ce qu'il ait obtenu un peu de silence.
« Citoyens, vous tous qui m'entendez, dit le maire«
vous venez de présenter légalement votre vœu au
représentant héréditaire de la nation ; vous l'avez fait
avec la dignité, avec la majesté d'un peuple libre;
retournez chacun dans vos foyers , vous ne pouvez
exiger davantage. Sans doute votre demande sera
réitérée par les quatre-vingt-trois départements , et
le roi ne pourra se dispenser d'acquiescer au vœu
1 . Déclaration Lecrosnier. — Rapports Patris et Champion.
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LE SO lUIN 1793.
153
manifeste du peuple. Retirez-vous^ je le répète, et,
en restant plus longtemps, ne donnez pas occasion
d'incriminer vos intentions respectables. »
Les paroles du maire ayant provoqué tpielques
applaudissements , le zélé et honnête Champion se
jette dans la foule ; il est suivi par un officier de paix,
muni de son bâton dlvoire. Tous deux, ils adjurent
les citoyens de se retirer; on semble vouloir les
écouter, mais les plus animés disent encore : u Nous
attendons que le roi réponde aux demandes qui lui
ont été adressées. » D* autres s'écrient : « Le maire
va parler, nous voulons l'entendre. »
En effet, Pétion répète ; « Si vous ne voulez pas
que vos magistrats soient injustement accusés, re^
tirez-vous! » Le roi ayant lui-même annoncé qu'il a
fait ouvrir les appartements du Château » la curiosité
entraîne quelques individus*.
Pour généraliser le mouvement, les officiers muni*
cipau:^ présents se dispersent à travers la salle.
Sergent, prés de la porte de sortie, détache de sa
ceinture son écharpe municipale, et, T agitant au-
' dessus de sa téte, crie : u Citoyens, voici le signe de
la loi; en son nom , nous vous invitons à vous retirer
et à nous suivre 1 »
Le déûlé commence, mais très*lentement, car les
Déclarations de Montmorin, de Fontaine. — Rapport Ser-
gent. £xpofié de la conduite tenue par le maire. — Rapport
Champion.
9.
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IM LE 30 JUTN 1792.
meneurs s'obstîtient à rester et à retenir la foule
sous prétexte que le roi n'a encore rien accordé.
XXVIIL
Sous le vestibule et dans les escaliers, des pré-
cautions étaient déjà prises pour empêcher d'en-
trer, quand arrive la députation envoyée par l'As-
semblée nationale , ouvrant la voie à de nouveaux
flots d'hommes ai'més et de curieux.
<c Sire, dit le représentant qui la préside, Brunck,
l'Assemblée nationale a envoyé vers vous vingt-quatre
de ses membres pour s'informer de l'état de votre
personne, maintenir votre liberté constitutionnelle,
et partager vos périls, si vous en courez ^ — Oui,
s'écrie un autre député, l'Assemblée vient partager
vos dangers; chacun de ses membres est prêt à cou-
vrir votre corps du sien. — Ce sont des citoyens
égarés^ ajoute un troisième; sire, ne craignez rien.
— L'homme de bien ne craint rien, » réplique le
roi.
Et prenant, comme trois heures auparavant, la
I . Bappori de Brunck k TAssemblée, Journal de8 Débats êt
Décrets, p. 283.
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LK 20 JLIN i79a.
155
niaiii (1 uii garde national, il la porte contre sa poi-
trine, en répétant : a Voyez si c'est là le mouvement
d'un cœur agité de crainte*. »
Répondant à la députation entière, il ajoute : u Je
suis sensible et reconnaissant de la sollicitude de
l'Assemblée nationale : ma conscience ne me iieprocbe
rien; je suis tranquille au milieu de mes amis, au
milieu du peuple français. »
Cet échange de paroles n'a pas arrêté le défilé.
Sergent, Patris, Champion sont même parvenus à
établir, de la porte d'entrée à celle des grands ap-
partements intérieurs, une haie de gardes nationaux
qui font écouler la foule. Toujours monté sur un fau-
teuil, le maire indique du geste aux éraeutiers qu ils
doivent s'éloigner.
L'embrasure de la fenêtre, dans laquelle le mal-
heureux roi était retenu captif depuis près de trois
heures, est peu à peu rendue plus libre, grâce au
zèle déployé par Gbampion et par deux officiers de
paix, Dorival et Dossonville. Acloque propose alors
à Sa Majesté de se retirer; le roi accepte ce qu'il
avait par deux fois refusé, quand c'étaient des offi-
ciers municipaux suspects qui le lui offraierit. A
l'appel du chef de légion , la députation de l'Assem-
blée nationale se range autour du souverain, les
grenadiers ouvrent la marche , et le cortège passe à
4 . Rapport de Dalioz, Journal des Débais et Décrets, p. 284 ;
Mcmteur, p. 7S4.
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156
LE 20 JUIN 1792.
travers la foule dans la salle du lit de parade ; de là,
le roi est conduit devant une porte dérobée qui
s'ouvre et se referme sur lui. Son supplice était fini ^
XXIX.
Le supplice de la reine durait encore. Séparée de
son mari, elle avait été obligée de rester dans la salle
du Conseil avec le prince royal, sa fille et plusieurs
des dames de la cour, entre autres M'"^' de Tourzel
et de Lamballe. Madame Élisabeth était venue la
retrouver. Le lieutenant général de la 17* division,
M. de Wittenghoff, et le mmlstre des affaires étran-
gères, Chaaibonnas, élaieni, dès le premier moment,
accourus auprès d'elle avec quelques grenadiers^.
«
4 . Rapports Sergent, Âcloque, Fontaine.
5. Nous avons trouvé dans un opuscule très- rare, imprimé
à l'époque même, et intitulé: Récit exact et circonstmcié de
ce qui s'est passé au château de» Tuileries, le mercredi
20juùi 1792, des détails très- mlei tissants sur les circonstances
qui ennpêchèrent la reine d'aller retrouver Louis XVI, lorsque
déjà il était dans ia salle de l'OEil-de-Bœuf en butte aux ou-
trages des premiers groupes d emeutiers.
« La reine accourait en ce moment par la chambre du roi :
M. Aubier Taperçoit de la porte qu'il tenait, essayant de la
fermer; il court vers Sa Majesté en refermant la porte; il ose
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tE 20 JUIN 1792
157
Lorsque commença le défilé à travers les appaile-
ments , la reine et les personnes qui l'accompagnaient
furent mises àTabri dans l'embrasure d'une fenêtre»
derrière la grande table du GonseiL Devant cette
table s'établirent trois rangées de gardes nationaux
du bataillon des FiUes-Saint-Thomas, sous les ordres
de Mandat. A côté de celui-ci vint bientôt se placer
rairéter. Bile cHait: t Laissez- moi passer, ma place est près
« du roi, je veux le joindre et périr s'il le faut, en le défen-
« dant. » Le courage de la reine doublant ses forces, elle cùl
rrnvf IX' M. A^ihier, si M. Rougeville, chevalier de Saint-Louis,
n'eût Joint âa résistance à la sienne et doané le temps de l'at-
teindre aux personnes de rintérieur qui couraient à sa suite.
M. Aubier court en informer madame Élisabeth, qui l'autorise
à résister à la volonté de la reine. Il faut, pour obtenir de la
fille des Césars qu'elle semble moins digne d'elle-même, que
ce serviteur lui démontre Timpossibil lté de traverser un groupe
de brigands, lui prouve que si elle n'était pas massacrée, elle
serait étouffée a\ant d'v arriver; que sa tentative serait funeste
au roi qui, entoure de quatre grenadiers, se précipiterait au
travers des piques pour arriver jusqu'à elle ; à ce mot, qui fut
appuyé par M. de Chambonnas, la reine s'est laissé entraîner
dans la chambre de monseigneur le dauphin. Le sieur Augé,
valet de chambre, chevalier de SainULouis, avait rallié dix
grenadiers de la salle de la reine qui , aidés de MM. de Ghoi-
seul, d'Haussonville et de Saint-Priest, protègent sa retraite.
Tenant dans ses bras monseigneur le daupliiu, appuyée sur
Madame, Sa iMajesté était entourée de mesdames de Tour/ei,
de Tarente, de la Hoche-Âymon, de Maillé, de la petite orphe-
line Ernestine. Par le couloir qui conduit de la chambre du
dauphin à celle du roi, on fait passer la reine, le dauphin.
Madame et leurs dames dans la salle du Conseil ; on les place
derrière le bureau, au milieu des braves grenadiers de la sec-
tion de SainU-Thomas. »
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LE 20 JUIN 1792.
le principal promoteur du tumulte , le commandant
des Quinze- Vingts, le brasseur Santerre. £q entrant,
il dit à la reine: <( Madame, vous êtes trompée; le
peuple ne vous veut pas de mal. Si vous vouliez ^ il
n'y aurait pas un d^eux qui ne vous aimât autant que
cet enfant. )) — Et du doigt il désignait le prince
royal. — «i Sauvez la France; vos amis vous trom-
pent, il n'y a pas à craindre pour vous; je vais vous
le prouver en vous servant de plastron ^ » — Et
aussitôt, activant le défilé, il montrait à la foule les
membres de la famille royale, absolument comme
s'il était déjà leur gardien ou leur geôlier. — « Re-
gardez la reine, répétait-il à chaque instant, regar-
dez le prince royal ! »
Un sans-cuiotte , en passant, voulut que l'enfant
fût coiiFé du bonnet de la liberté; et la reine mit un
bonnet rouge sur la tête de son (ils. Sous cette
ignoble coiffure, beaucoup trop grande et trop lourde
pour lui, le prince royal étouffait, <( Otez le bonnet
à cet enfant, dit Santerre, saisi lui-même de pitié, il
a trop cbaud. »
Certes, parmi la horde qui défilait, il ne man-
quait pas de misérables incapables de s'apitoyer
sur le sort de la malheureuse Marie-Antoinette ;
mais, sur les lèvres du plus grand nombre , l'insulte
fut arrêtée par l'admirable dignité de la reine; plus
d'un cœur se sentit ému à la vue de l'enfant royal
I. Rapport de Santerre.
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LK 20 JUIN 179ti.
159
qui jouait iniioceiunient sur la table du Conseil.
Parmi les femmes les plus violentes « raconte
M. Michelet, a une fille s'arrête un moment et vomit
mille imprécations. La reine, sans s*étonner, lui de*
maade si elle lui a fait quelque tort personnel.
« Aucun « réplique-t-elle , mais c'est vous qui perdez
« la nation. — On vous a trompée, dit la reine, j*ai
« épousé le roi de France, je suis la mère du Dau-
«• phin , je suis Françsdse , je ne reverraî jamais mon
« pays » je ne puis être heureuse ou maiiieureuse
qu'en France : j*étais heureuse quand vous m'ai-
i( miez! » Voilà la fille qui pleure : u Âh! madame,
« pardonnez-moi , je ne vous connaissais pas , je vois
u que vous êtes bonne. »
Mais ce que ne raconte pas M. Hichelet, c'est qu'en
voyant cette fille sangloter, Santerre s'écria: « Cette
femme est saoule^. » .
Le roi délivré, plusieurs ofTiciers municipaux vin-
rent dans la salle où se trouvait la reine pour la tran-
quilliser et en même temps hâter l'évacuation de ses
appartements. Le chef de légion Lachesuaye avait
établi dans cette salle, dans les galeries qui la suivent
et dans celle du lit de parade qui la précède, deux
haies de gardes nationaux entre lesquelles la foule
consentit à s'écouler. Plus d'un criait encore : A biis
le Veto! et Vive la nation! Certains se demandaient
curieusement les uns aux autres : Où est-il donc , le
4« Rapport Mandat.
160
LE 20 JUIN 1792.
groa Veto? Eut -ce là le lit du gros Veto? Ah!
M* Velo a un plus beau lit que mus!
Vers huit heures et demie du soir, tous les appar-
tements étaient évacués et la reine pouvait rejoindre
le roi.
Dès qu'ils se virent, ils se jetèrent dans les. bras
l'un de l'autre en versant des torrents de larmes
Les députés présents étaient tous vivement émus.
Merlin (de Thionville) lui-même pleurait. Mais tout
à coup essuyant ses yeux» il s'écria : « Je pleure»
oui, madame, je pleure, mais sur les malheurs d'une
femme sensible et belle, d'une mère... Ce n'est pas
sur la reine, je hais les reines et les rois... Telle est
ma religion »
XXX.
Pétion déploya, pour faire évacuer les Tuileries,
toute l'énergie qu'il avait jusque-là tenue en rései-ve.
On le vit, transporté sur les épaules de deux grena-
diers, descendre le grand escalier, ordonner aux
citoyens de le suivre au nom de la loi, s'établir à la
porte principale sous le vestibule et y rester jusqu'au
coaiplet écoulement du dernier flot populaire.
4 . Rapports Mandat, Ramainvilliers, Gossé.
5. Mëmoirea de madam6 Campau.
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LE 2U JUIN 1792
161
La garde nationale ayant repris possession de tous
les postes, le maire parcourut les appartements et
les abords du Château; n'y ayant plus trouvé aucun
envahisseur, il s'en alla rendre compte à l'Assemblée
nationale des événements du jour et de sa conduite,
L'Assemblée avait écouté, non sans quelque impa-
tience, les rapports qui lui avaient été faits, soit par
ceux qui s'étaient rendus d'eux-mêmes auprès du roi,
soit par ceux qu'elle y avait envoyés. Branck ayant
traduit ainsi les paroles du monarque : u Je suis tran-
quille , je suis au milieu de mon peuple , »> cette
expression mon peuple souleva de si violents mur-
mures qu'il fallut excuser l'orateur, sur ce qu'en sa
qualité d'Alsacien il lui était permis de ne pas parler
très -bien le français. Mais un autre député ayant
encore prononcé les mots sofi peuple, les interrup-
tions les plus vives s'entre-croisèrent et le calme ne
se rétablit que quand enfin Lejosne déclara péremp-
toirement qu il avait entendu dire au roi le peuple
français.
Un autre incident fait bientôt surgir une nouvelle
tempête. L'évêque de Golmar, Arbogast, demande
qu une députation spéciale de douze membres soit
envoyée auprès du prince royal; un député de la
droite, appuyant sa motion, s'écrie : « Nous sommes
responsables envers la nation et envers l'Europe en-
tière de la conservation du roi et du prince royal. —
U semblerait que nous avons quelques craintes sur la
sûreté de la personne du roi? réplique vivement
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162 LK 20 JUIN 179t£.
Lasource. — Ouï, oui, crie-t-on d*un côté. — Vous
insultez le peuple français» » répond-on de l'autre.
a On ne dira, crie Léopold, que le roi court des dan-
gers que quand il aura été assassiné. La nation a été
avilie dans la personne de son représentant hérédi-
taiie. )) Les murmures continuent jusqu'au moment
où, sur la motion de Lasource, Tordre du jour est mis
aux voix. La minorité de TAsseuiblée se lève contre,
et« en récompense de son énergique attitude, elle
recueille les huées des tribunes.
Les débats avaient été repris assez paisiblement
sur divers objets inscrits à l'ordre du jour, quand
paraissent à la barre le maire de Paris et deux oiB-
ciers municipaux. Aussitôt le tumulte recommence :
applaudissements d*un côté, menaces et cris dédai-
gneux de l'autre. Pétion reste quelques moments in-
terdit, le rouge lui monte au front, et chacun re-
marque dans sa placide physionomie a une agitation
de muscles qui ne lui est point ordinaire. )>
Peu à peu il se remet , et , réclamant l'indulgence
de ses auditeurs parce qu il n'a pas eu le temps de
mettre ses idées en ordre, il essaye de commencer un
discours, dilTicile à improviser, car il doit être d'au-
tant plus sonore qu*il sera plus mensonger.
« On a eu des inquiétudes, dit-il, le roi n'en a
point eu« Il connaît les Français, il sait que les ma-
gistrats du peuple veillent toujours pour faire obser-
ver à son égard le respect qui lui est dû. Les magis-
trats ont fait aujourd'hui leur devoir et Tout fait avec
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LK ^0 iUI^ I7ti$.
m
le plus grand zèle, et j'avoue que j*ai été douloureu-
sement aiiëctè de voir des membres de cette ilssem-
blée qui aient pn un instant en douter...
— Oui, oui, sans doute, nous en doutons encore,
s'écrièrent plusieurs membres au paroxysme de l'in-
dignation.
— A ]*ordre, à Tordre ! répond-on à gauche, vous
insultez un magistrat du peuple!...
m
— Pourquoi, dit Boulanger (de la Seine-Inférieure),
n'a-t-on pas aussi dénoncé ceux qui ont manqué de
respect au roi? Ils étaient du complot!
— Que M. Boulanger dénonce les complots qu'il
vient de faire soupçonner, s'écrie Ducos, ou j'écris
sur son front le nom de calomniateur. »
Les tribunes éclatent en applaudissements. Dumo-
lard demande la parole. Boulanger court lui disputer
la tribuDC; mais le président se refuse à les laisser
parler, et, après une assez longue agitation, Pétton
est invité à continuer. L'émotion du maire est si
grande qu'il ne prononce que des phrases entrecou*
pées : « Il paraît que quelques personnes ne savent
pas assez ce que la municipalité a fait. Elle a rempli
son devoir. Elle est à Tabri de tout reproche... Les
citoyens se sont soumis à la loi, mais ils ont voulu
marcher en armes avec les bataillons. Us en avaient le
droit, lis n'ont point contrevenu à la loi. La munici-
palité a senti qu'il était nécessaire de légaliser ce qui
se passait. Les magistrats doivent faire en sorte que
jamais les citoyens ne manquent à la loi. »
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164
LE 20 JUIN 1792
Après ces allégations trop facilement contestables,
le maire s'embarrasse dans une démonstration de la
complète légalité et de la parfaite innocence des évé-
nements qui viennent de se passer K U glisse fort
légèrement sur la violation du domicile royal, sur les
insultes qui ont été prodiguées à Louis XYl, et ter-
mine en cherchant à changer de rôle, en s'efforçant
de se faire accusateur, d'accusé qu'il était aupara-
vant : (( Je viens d'entendre dire, et cela se répète
souvent, qu'il y avait des complots; il serait bien
nécessaire de les connaître; je ne crois pas qu'il y ait
un bon citoyen qui puisse se refuser à les dévoiler. U
serait bon que les magistrats du peuple les connussent
afin de pouvoir les déjouer sur-le-champ. Je vous
supplie d'engager tous les membres de cette Assem-
blée qui peuvent avoir des renseignements à cet
égard, à nous les communiquer; car sûrement les
magistrats du peuple feront à Tinstant leur devoir 1 n
Les tribunes accueillent avec le plus vif enthou-
siasme la fin du discours de Pétion.
Certains députés demandent qu'il soit fait «
iion honorable » de la conduite de la municipalité.
« Fi donc ! » leur répondent les députés constitu-
tionnels.
« Je m'y oppose formellement, » crie Becquey.
ti Que ceux qui ont du mal à dire de la municipa-
lité s'expliquent! » dit le fougueux Albitte.
4. Journal des Débats et Décrets, p. 287.
LE 20 JLliN 1792.
tt Quilsse lèvent, s'ils l'osent i a ajoute Brival.
Mais la lecture d'une lettre du maréchal Luckner
vient mettre fin à cette discussion, et Pétion sort,
applaudi par les tribunes et par ses amis de ras-
semblée.
Après son départ, les constitutionnels demandent
que le ministre de l'intérieur soit appelé sui-le-
cbamp; la gauche s'y oppose; et, sur son insistance,
on passe à l'ordre du jour. Guytou-Morveau, président
de la dernière députation envoyée aux Tuileries, rap-
porte que tout est tranquille autour du Chàleau, que
le roi s'est retiré dans ses appartements, que le prince
royal est en très-bonne santé.
Sur ce, la séance est levée, et chacun rentre chez
soi avec ses craintes ou ses espérances ; mais per-
sonne ne se dissimule que le ciel reste chargé d'orages«
A dater de ce jour, les masses populaires savent le
chemin de l'Assemblée nationale et des Tuileries;
elles le reprendront bientôt pour aller, à l'instigation
de la démagogie, renverser le trône de Louis XVl, et
plus tard pour dicter leurs volontés à la Convention
et la forcer a se déciaier elle-mèaie. Tout se tient,
tout s' enchaîne dans les événements d'une révolu-
tion, tout 8*y meut d'après les règles d*une logique
inflexible. Les Girondins qui ont salué de leurs ap-
plaudissements la première apparition de ce pouvoir
nouveau, celui de la rue et de la foule irresponsable,
apprendront bientôt à leurs dépens que^ s*il est écrit
dans révangile du Christ : a Celui qui tirera Tépée
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166
LE 20 âblN 1792.
périra par i'épée, » rhistoire a traduit les paroles du
livre saint par cette immuable loi de la politique hu-
maine : « Celui qui appelle la rue à son aide périra
par la rue. »
XXXI.
Au lendemain de la journée du 20 juin, s engage
une lutte presque personnelle entre la royauté et' la
municipalité parisienne. Louis X\l voit tous ses
ennemis se réunir autour d*une même personnalité,
Pétion. Le monarque iieieditaire est oblige de se
mesurer avec le roi d'un jour.
Le département de Paris, à la tête duquel se trou-
vait le vénérable duc de Larochefoucauld, la droite
de la législative, les constitutionuels de la capitale
et des départements, se rangent autour du trône.
Toute la tourbe révolutionnaire, le club des Jaco-
bins, les représentants montagnards, s'avancent der-
rière le maire et se servent de lui pour entretenir
l'agitation, pour pervertir l'opinion publique.
Gest cette lutte, entre deux personnes, élevées à
la hauteur de deux principes, qu'il nous reste à dé-
crire pour clore notre récit de la journée du 20 juin*
Rien ne saurait mieux faire comprendre les consé-
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L£ 20 JUIN 1702.
167
quences immédiates de la déplorable invasion des
Tuileries.
A l'ouverture de la séance du 21 juin, d'Averhoult,
run des membres les plus courageux de ia droite,
dénonce à la France entière l'attentat commis la
veille contre l'inviolabilité du domicile royal. Bigot
de Préameneu demande que TAssemblée nationale
rende immédiatement un décret « qui interdise tout
rassemblement d'hommes armés sous prétexte de
pétition. — La loi existe, lui crie- 1 -on. — Sans
doLite, répliquent d'autres députés, mais c'est comme
ai elle n'existait pas, puisque l'Assemblée en a auto-
risé l'inexécution. — 11 serait daugeieux et inutile
de faire une loi nouvelle , objecte Lecointe-Fuyra-
veau; vous n'avez qu'un parti à prendre, c'est d'exi-
ger que les autorités constituées fassent exécuter
celle qui est en vigueur. — Msds, hier, lui répond*
on, le département est venu vous faire cette de-
mande, et vous l'avez renvoyé. — Hier, sans doute,
reprend l'orateur, la loi a été violée sous certains
rapports, mais elle a été suivie sous beaucoup
d'autres; des citoyens de la garde nationale étaient
avec ceux armés de piques , et quel homme ne verra
pas dans cette mesure un grand acte de prudence de
la part de la municipalité?... »
Lamarque soutient son ami Lecointe ; mais , une
fois sorti des généralités, il s'embarrasse dans ses ré-
ticences. « L'ordre du jour! crie Gouthon. — L'apo-
iogie de l'attentat d'hier est bien dUTicUe, dit en
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108
LE 20 JUIN 1192.
souriant Galvet; je demande de Tindulgence pour
M. Lamarque* — Tous nos délégués, reprend celui-
ci, ont affirmé que le calme régnait aux Tuileiies.
— Oui, à dix heures du soir, lui réplique-t-on. —
L'asile du représentant héréditaire a été violé, ajoute
Deusy ; je demande si ce n*est pas là un attentat, et
si Ton peut passer à Tordre du jour sans se désho-
norer. »
Pendant deux heures, T Assemblée est en proie à
la plus vive agitation. Tout à coup des cris d'enthou-
siasme, poussés par les tribunes, annoncent Fappa-
rition du maire de Paris.
« L'ordre règne partout, dit-il ; les magistrats ont
pris toutes les précautions. Ils ont fait leur devoir;
ils Font fait toujours, et FJieure viendra qu'il leur
sera rendu quelque justice. »
Gela dit , Pétion quitte l'Assemblée au milieu des
applaudissements, et se rend au Château.
Le maire était accompagné de Panis et de Ser-
gent. Admis dans la salle du Conseil, quoiqu'il ne
retrouvât pas là ses tribunes ordinaires pour le sou-
tenir, il voulut payer d'audace et maintenir, vis-à-
vis du monarque outragé, la parfaite constitution-
nalité des événements de la veille. Ce fut Louis XVI
qui commença brusquement l'entretien.
« Le roi. Eh bien I monsieur le maire , le calme
est-il rétabli dans Paris î
a Le maire. Sire, le peuple vous a fait des repré-
sentations. 11 est tranquille et satisiait.
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LE 20 JUIM 1702.
109
« Le roi. Avouez, moiibicur, que la journée d'hier
a été d' un bien graod scandale et que la municipa-
lité rfa pas fwt, pour le prévenir, tout ce qu'elle
aurait pu faire.
i( Le MAim. Sire, la municipalité a fait tout ce
qu'elle a pu et du faire; elle mettra sa conduite au
grand jour» et Topinion publique la jugera.
u Le roi. Dites la nation entière...
« Le maire. £Ue ne craint pas plus le jugement
de la nation entière.
<( Le roi. Dans quelle situation se trouve en ce
moment la capilalc?
« Le maire. Sire, elle est calme.
« Le roi. Cela n'est pas vrai!
« Le maire. Sire...
« Taises-vous! » interrompt Louis XVI d*un ton
absolu.
Pétion veut ajouter quelques mots pour la défense
de la municipalité; niaib le monarque continue ses
reproches; les deux interlocuteurs parlent quelques
iiibtaatb tous les deux ensemble. Vivement irrité de
rinsistance du maire et de son manque de respect,
le roi lui tourne le dos. Pétion se voit obligé de se
retirer.
Hais dans la première antichambre, dès qu'il se
retrouve seul avec Sergent et Pauls, il se félicite
d'avoir opposé le calme de la raison à la folie de ces
personnes qui se croient encore au temps d'imposer
à des hommes libres.
10
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no
LE 20 JUIN 1792.
Au même moment, la reine disait au procureur
général syndic :
. « M. Rœderer, ne trouvez-vous pas que le rai a
été bien vif? Croyez- vous que cela ne lui nuise
point?
— Je crois, madame, que personne ne mettra
en doute que le rai ne puisse se permettre de dire :
taisez-vous! à un homme qui parle sans Técouter. »
XXXIL
Louis XYI avait opposé un frant calme et digne
aux fureurs de la populace. 11 déploya une énergie
non moins noble, lorsque, s'adressant le 22 juin à la
nation française, il fit éclater, dans une proclamation
célèbre, les sentiments dont son âme était pleine.
ic Les Français , disait-il , n'auront pas appris sans
douleur qu'une multitude , égarée par quelques fac-
tieux, est venue à mûn armée dans l'habitation du
roi, a traîné un canon jusque dans la salle des
gardes , a enfoncé les portes de son appartement à
coups de hache, et là, abusant audacieusement du
nom de la nation, a tenté d'obtenir par la force la
saiicliun que Sa Majesté a coiislilutiuaaellement
refusée à deux décrets*
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LE 2U JUIN im
i1\
« Le roi opposé aux meqjuses et ai|x insultes
des factieux que sa conscience et son amour pour le
bien public. Le roi ignore quel sera le terme auquel
ils voudront s'arrêter; mais il a besoin de dire à la
nation française que la violence, à quelque excès
qu'on veuille la porter « ne lui arrachera jamais un
consentement à tout ce qu'il croira contraire à Tin-
térét public. II expose sans regret sa tranquillité, sa
sûreté ; il sacrifie même sans peine la jouissance des
droits qui appartiennent à tous les hommes et que
la loi devrait faire respecter chez lui comme chez
tous les citoyens. Mais , comme représentant hérédi-
taire de la nation française, il a des devoirs sévères
à remplir, et s'il peut faire le sacrifice de son repos,
il ne fera pas le sacrifice de ses devoirs.
« Si ceux qui veulent renverser la monarchie ont
besoin d'un crime de plus, ils peuvent le commettre ;
dans l'état de crise où elle se trouve, le roi donnera
" à toutes les autorités constituées l'exemple du cou-
rage et de la fermeté, qui seuls peuvent sauver Tem-.
pire. En conséquence , il ordonne à tous les corps
administratifs de veiller à la sûreté des personnes et
des propriétés.
« Fait à Paris, le 22 juin 1792, l'an iv de la
liberté.
« Signé : Louis. Canire^signf : Tekiibr. »
Cette proclamation souleva des transports de rage
parmi les ultra-révolutionnaires, Prud'homme, en la
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172
LE 20 JLI,% 1792.
reproduisant dans les Révolutiom de Paris ^ la fit
suivre de ce mot : « Imposture! » Bazire, à l'Assem-
blée, la dénonça romme étant de nature à provoquer
des troubles. Ëlle fut commentée de la plus vio-
lente manière dans les clubs et dans les comités de
section.
Le 23 juin au matin, on trouva alTiché, entre l'avis
du maire et la proclamation du roi « ce placard sans
signature :
' « Pères de la patrie,
« Nous nous levons une seconde fois pour remplir
le plus saint des devoirs. Les habitants des fau-
bourgs de Paris, les hommes du lA juillet , viennent
vous dénoncer un roi faussaire , coupable de haute
trahison, indigne d'occuper plus longtemps le trône.
Nos soupçons sur sa conduite sont enfin vérifiés , et
nous demandons que le glaive de la justice frappe sa
tête, afin que la punition qu'il mérite serve d'exemple
à tous les tyrans. Si vous vous refusez encore à nos
vœux, nos bras sont levés, et nous frapperons les
tj aîires partout où nous les trouverons, méaie parmi
vous. »
Cet affreux placard ( ainsi le qualifiait Pétion lui-
même) n'était rien moins que la pétition que le nou-
veau rassemblement devait porter à l'Assemblée le
25 juin. Le maire de Paris promit de faire contre les
auteurs de cet écrit les recherches les plus minu-
tieuses; mais elles furent naturellement sans succès.
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LE 30 JUIN 1799.
113
Le mmistre de Tintérlear, qai avait de bonnes
raisons pour ne pas se fier aux promesses de Pétion,
courut dénoncer l^affiche anarchique à TAssemblée
nationale; elle fut renvovée à la commission des
Douze et il n'en fut plus question. Mais les autres
faits exposés par le ministre de l'intérieur étaient
trop graves pour que l'Assemblée parut ne pas s'en
préoccuper. Dès le soir même , sur le rapport de
Muraire, elle votait à l'unanimité l'impression immé-
diate et l'envoi aux départements d'un Acte du Corps
législatifs que le roi sanctionna sans retard.
Cet Acte se bornait à « inviter les bons citoyens à.
réunir leurs efforts à ceux des autorités constituées
pour maintenir la tranquillité publique et pour ga-
rantir la sûreté des personnes et des propriétés. »
Comme il n'ajoutait rien à la législation en vigueur ,
il avait été adopté unanimement. La droite y avait vu
un remède préventii contre le renouvellement des dés-
ordres, la gauche une simple proclamation sans con-
séquence. Mais le département de Paris le prit fort
au sérieux; il était résolu à exiger la stricte exécu-
tion des lois, dont il était le protecteur constitu-
tionnel.
Ce rappel au respect de la légalité fut également
entendu par plusieurs membres du conseil général
de la commune et aiêaie par de simples particuliers,
auxquels leur seule conscience imposa le mandat de
protester contie la violation flagrante de la consti-
tution.
10.
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174
LE 20 JUIN 1792.
Un officier municipal et deux anciens constituants
se mirent à la tète de la réaction constitutionnelle.
Le 23 juin, au sein du conseil général. Cahier pro-
nonça un véritable réquisitoire contre les événe-
ments du 20.
« La loi, s*écria-t-il, a été violée avec le plus
scandaleux éclat par un commandant de bataillon,
Santerre, qui, sans réquisition préalable, a osé mar-
cher à travers les rues de Paris, à la tête d'un ras-
semblement de vingt mille hommes armés;
« Violée par des gardes nationaux qui, sans réqui-
sition préalable, ont paru dans le rassemblement
avec leurs armes et traînant après eux leurs canons;
« Violée par une foule d'individus de tout ftge, de
tout sexe, qui ont pénétré dans la demeure du re-
présentant béréditaire de la nation et l'ont obligé à
se couvrir du bonnet rouge, bonnet avili par les
factieux;
« Violée par le procureur de la commune, par le
maire, qui, au mépris des lois concernant leur mi-
nistère, ont négligé de requérir les mesures néces-
saires pour dissiper cet attroupement ;
« Violée par le commandant général , à qui toutes
les lois militaires et de police ordonnaient de repous-
ser la force attaquant le poste qui lui était confié ;
« Violée enfin par tous les membres du corps mu-
nicipal, qui ont abandonné le sort de cette périlleuse
journée à une distribution de rôles, concertée à
Tavance, seulement avec quelques-uns d*entre eux. »
Uigiiized by
UE 20 JUIN 1702.
175
En conséquence, Gabier demandait au conseil gé-
néral d'arrêter :
« Qu'il improuvait la conduite tenue, depuis
SOD arrêté du iô jusques et y compris la journée
du 20, par le maire , le procureur de la commune et
les adnoinistrateurs de police ; qu'il improuvait éga-
lement l'arrêté pris dans la matinée du SO par le
corps municipal ;
a Qu'il dénonçait cet arrêté et la conduite du
maire, du procureur de la commune et des adminis-
trateurs de la police au directoire du département n
Cahier * terminait son réquisitoire en proposant
que l'arrêté à prendre par le conseil général pour
ou contre ses propositions, fût imprimé, affiché, dis-
tribué aux quarante-buit sections, aux quatre-vingt-
deux départements, au directoire du dé])artement de
Paris, au ministre de l'intérieur et à l'Assemblée
nationale. Le conseil général de la 'commune était
I. Louis^ilbert Cahier était avant la Révolution avocat au
Parlement. Il fut arrêté le 4*' septembre 479S, sur la motion
de Robespierre, au moment même où, par suite du décret qui
Ccissait la conuiiuiie insurrectionnelle, il venait reprendre
80S fonction*^ municipales ' Iliafnirp pai Icmnitaire , t. XVFT,
p. 356 ] ; il échappa aux massacros de septembre par suite de
la réclamation de 8a section (celle de la Grange-fiatelière), puis
fut incarcéré comme suspect pendant la tourmente révolution-
naire. Cahier entra, sous le Consulat, dans les rangs de la ma-
gistrature et 6t partie de la Cour de cassation. Il est mort
le 44 avril 4832, ^^é de 70 ans. Il ne faut pas le confondre
avec Cahier de Gorville qui lut uiinisLre de Louis XVI, et dont
il n'était même pas parent.
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m LE 20 JUIN 1791.
4
ainsi mis en demeure de se prononcer d'une manière
catégorique, mais il hésita à suivre le courageux
orateur jusqu'au bout de sa motion et se contenta
d'en ordonner 1 impression et la mise à l'ordre du
jour des quarante-buit sections. C'était condamner
moralement les auteurs et complices du 20 juin K
Pendant ce temps, deux anciens constituants,
Dupont (de Nemours) et Guillaume, rédigeaient, iai-
saient imprimer dans le Journal de Paris^ dépo-
saient cbez les notaires de la capitale et expédiaient
à tous leurs anciens collègues une pétition des plus
énergiqties contre les excès du 20 juin Elle fat
en quelques jours couverte de signatures.
Les départements envoyèrent aussi de nombreuses
adresses exprimant toutes la même horreur pour les
4 . La motion de Cahier fut présentée au conseU général le
93 juin. On en ordonna rimpression, mais on n'en reprit la dis-
cussion que le 6 juillet. Les débats furent ce jour-là lon^^s et
animés. Les constitutionnels l'emportèrent, et firent renvoyer la
motion de Cahier au corps municipal pour api»liquer la loi
du 9 octobre 1791 sur les clubs. C'était tout ce que pouvait
laire le conseil général de la commune, mais c'était évidem-
ment une fois de plus condamner les événements du 20 juin ,
dont le conseil général rendait ainsi solidaires les Jacobins et
les autres sociétés populaires de la capitale.
t. Dès le ti juin, la pétition que Ton appela plus tard la
pétition des vingt mille, quoiqu'elle eût été loin do réunir ce
nombre de signatures, circulait dans Paris de inaison en mai-
son. Sur cent treize notaires, quatorze seuieroeiit refusèrent de
recevoir les signatures, de peur de se compromettre. Pendant
toute la terreur, ce fut un crime presque irrémissible que
d'avoir signé ou fait signer la pétition des vingt mille.
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LK 20 JUIN 1792.
177
événements qui venaient de se passer aux Tuileries,
le même désir de s*anir avec la partie saine de Paris
pour réduire à T impuissance la faction jacobine.
XXXIII.
Ainsi attaqué de toutes parts , Pétion sentit bien
qu'il fallait changer le terrain de la lutte; d'accusé,
il se fit accusateur.
Dans les considérunts d'un arrêté, pris pour rap-
peler toutes les autorités inférieures à la stricte exé-
cution de la loi du 3 août 1791 sur la réquisition de
la force publique , le directoire du département de
Paris avait dit : u L'événement du 20 juin aurait été
prévenu si les lois existantes avaient été mieux con-
nues des citoyens et mieux observées par les fonc-
tionnaires publics chargés de leur exécution immé-
diate. »
Le maire s'empressa de relever cette phrase comme
une insulte, et d'écrire une lettre qui finissait par
une véritable provocation :
« Je vous interpelle en mon particulier de pour«-
suivre d'une manière franche et directe le maire de
Paris, s'il a manqué à ses devoirs; c'est une obliga-
tion impérieuse pour vous, la loi vous le commande,
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m
et sans doute vous aimez trop la loi pour ne pas lui
obéir. J'espère que vous trouverez bon que je rende
cette lettre publique. »
Ce fut, paraît-il, Rœderer qui reçut la lettre mu-
nicipale. Fidèle au rôle qu^il avsdt pris d'intermé-
diaire oilicieux entre le directoire du département et
le maire 'de Paris, il retint la lettre sans la commu-
niquer à ses collègues et écrivit coniidentieiienient à
Pétion :
CI II me semble que par rarrèté de ce matin on n'a
entendu ni pu entendre que les fonctionnaires mili-
taires, puisque les articles rappelés de la loi ne sont
relatifs qu'à T usage immédiat et spontané de la
force : c'est ainsi du moins que, moi. Je l'ai entendu,
quand on Ta lu. Revoyez, je vous prie, les articles
de la loi , et faites-moi dire tout de suite si vous
persistez à vouloir que je remette votre lettre au
conseil. J'attendrai une demi-heure votre réponse. »
Moins d'une demi-heure après^ Rœderer recevait
ce billet :
« Pas de doute que je persiste à ce que ma lettre
soit communiquée au conseil, où je vais me rendre
d'après l'invitation qui m'a été faîte. 11 est impossible
d*entendre autre chose que ce que j'ai entendu; et
dans tous les cas, le public entend rail nécessairement
que le conseil a voulu parler du maire et des officiers
municipaux. »
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LË 2U JUIN 1792.
179
La. lettre de Pétion fut donc remise au départe-
ment, qui répliqua sèchement :
« iNous avons reçu, monsieur, votre lettre du 24;
l'arrêté dont vous vous plaignez n'inculpe personne
individuellement. Quand vous aurez fait parvenir au
département les procès-verbaux qu'il vous a deman-
dés plusieurs fois , il fera ce que la loi luipfescriL »
Pétion, de plus en plus embarrassé, écrivit ;
« Je réponds, messieurs, en peu de mots à votre
lettre tiès-iaconique. Vous observez que votre arrêté
n'inculpe personne individuellement, et que vous
ferez ce que la loi vous prescrit lorsque les procès-
verbaux vous seront parvenus. Vous me permettrez
de vous faire deux réflexions très-sunples et dont
vous sentirez la justesse :
« 1** Pour n'inculper personne, vous inculpez tout
le monde; vous reprochez aux fonctionnaires publics,
sans distinction, de n'avoir pas fait observer la loi.
Cet anathème porte sur tous, et il n'est pas de genre
d'attaque plus dangereux, puisqu'il met à l'abri celui
qui frappe sans laisser une véritable défense à celui
qui est frappé;
u 2*^ Vous aUetidez les procès-verbaux pour vous
instruire, et à l'avance vous jugez, vous mettez les
fonctionnaires publics sous le poids d'une accusa-
tion. U y a au moins de la précipitation dans cette
conduite. » ' • .
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180
LE 20 JUIN 1792.
Le département ne se donna pas la peine de s'ex-
cuser de la précipitation que le maire, si lent le
20 juin, se permettait de lui reprocher. Il coupa court
à toute nouvelle objection en parlant ainsi , au nom
de la loi :
« Paris, 24 juio, U heures du luatm.
« Le conseil, monsieur, avait prévu le lelaid que
pourrait mettre dans rexécution de son arrêté Tex-
pédition des procès-verbaux; c'est pour cela qu'il
en avait demandé la minute. U vous prie , monsieur,
de lui apporter, d'ici à une heure, les minâtes des
procès-verbaux, si les expéditions ne peuvent ètie
faites. Faute de quoi il enverra, aux termes de Tar-
ticle 22 de la loi du 27 mars 1791, des commissaires
pour prendre les renseignements et informations dont
il a besoin, m
L*enquéte et l'instruction, décidées dès le 20 juin
au soir, étaient, on le voit, vigoureusement pour-
suivies. En même temps que des rapports détaillés
étaient exigé:^ de tous les ollicier^ municipaux qui
avaient assisté, témoins ou acteurs, aux tristes scènes
delà trop fameubc journce , juges de paix des
divers quartiers de la capitale étaient chargés de re-
cevoir les dépositions des témoins, et, réunis en
comité central, d'exercer les fonctions de juges
d'instruction.
Ue plus, trois administrateurs départementaux,
Garnier, Leveillard et Demautort, étaient nommés
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181
cammîssaires à l'effet de résumer ks rapports obtenus
des municipaux et des officiers de garde , ainsi que
tous les renseignements recueillis, pour en faire un
exposé général au conseil. Enfin , le ministre de Tin-
terieur lui-même était invité à coopérer à la recherche
de la vérité, à fournir les éclaircissements néces-
saires, notamment sur l'ouverture de la porte Royale
qui avait donné passage aux envahisseurs du Château*
XXXIV.
L'enquête ordonnée par le département dura une
quinzaine de jouis.
Pendant ce temps, Paris avait été profondément
agité. La Fayette était venu de son camp de Bavay
présenter à l'Assemblée nationale une pétition contre
les menées jacobines; mais sa tentative n'avait pas
abouti. Abandonné de tous, excepté de son ami La
Rochefoucauld et de quelques-uns des magistrats
départementaux, repoussé par la reine et par le roi
lui-même, qull voulait sauver, le général de la
ConstUiUion avait quitté Paris, le désespoir dans
Fâme , convaincu qu'il n'avait fait que hâter le dé-
nouement fatal.
11
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m LE 20 jaiN 179S.
■
Sur ces entrefiûtes, la pétitioa rédigée par Dupont
(de Nemours) et Guillaume avait été déposée sur le
bureau de la Législative. Hais celle-ci» sans exanduer
le nombre ni la qualiié des signaiaires, l'avait ren-
voyée à la commission des Douze» qui s'était contentée
de la placer dans ses cartons.
Pétiou» si longtemps muet, avait fini par faire
imprimer YExposé de m conduite ^ dans lequel tout
ce qui paraissait inexplicable s'expliquait en appa-
rence on ne peut mieux. — Si le maire , y soutenait-
il, a enfreint les recommandations énergiques de
l'autorité départementale, c'est qu'il y a été forcé
par les circonstances » et il a su — merveilleuse ha-
bileté I — laisser se produire une manifestation in-
terdite sans Jiiettie en coiitradiction la municipalité,
qui autorisait, et le conseil général de la commune,
qui avait défendu. C'est uniquement grâce à sa pru-
dente politique que tout a pu se passer paisiblement
jusqu'à trois heures et demie ; si alors la demeure
royale a été envahie, ce n'est nullement de sa faute;
il n'a point à supporter les conséquences de l'immo-
bilité du commandant général , chargé de garder le
Château et qui a laissé ouvrir les portes. Averti de
l'attentat au moment même où, dans sa candeur, il
était persuadé que la journée était finie, il s'est pré-
cipité vers les Tuileries. Insinuei ait-on que le langage
qu'il y à tenu n'a pas été toujours très-explicite,
qu'il a hésité longtemps à commander à la foule de
se retirer ? il répondrait que sa manière d'agir et de
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L£ 20 JUIN 1 792.
m
parler a été la plus digne et la plus analogue aux
drconHances.
Quant au procureur de la commune, il persistait à
ne pas répondre aux injonctioiis réitérées qui lui
étaient faites. Pressé par Rœdeier, il avait eu l'inso-
leoce d'écrire que, le 20 juin, il n'avait passé qu'une
heure aux Tuileries, sa place du matin et du soir
étant à la maison commune, et quil serait bien fâché
de perdre un temps ^ qui kC était poM à luij à recueillir
des faits que Uiisloire seule devait juger, ta Je jure^
disùt-il en terminant, que le maire de Paris a sauvé
le peuple! » A peine parvint-on à le faire consentir
à comparaître devant les commissaires départemen-*
taux. De ses explications il résulta que ni le 18, ni
le 20 juin, il n'avait communiqué au corps municipal
r arrêté pris le 16 par le conseil général; que, con-
naissant l'arrêté du département, il n'en avait point
requis l'exécution; bien plus, qu*îl aviut approuvé
l'arrêté contraire de la municipalité, et enfin que,
loin de se porter vers les Tuileries au premier tn^
multe, comme la loi le lui ordonnait, il s'était pro-
mené quelque temps dans le jardin, sans écharpe
et en simple particulier.
Les trois commissaires instructeurs du départe-
ment, Garnier, Levieillard et Demautort , lurent, le
à juillet, au conseil général un rapport où les évé-^
nemeiits du 20 juin et la pai t qu'y avaient prise les
diverses autorités incriminées étaient parfaitement
résumés. « . -
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184
LE 20 JUIN nos.
Us concluaient en demandant la suspension du
maire, du procureur de la commune et des adminis-
trateurs de police, conformément à la loi du 27 mars
1791, article 9, et en ne réclarnant contre le corn-
mandant général qu'un a simple avis d'être à Tave-
nii' plus ponctuel à son service. »
Les formes de procédure en usage dans les tribu-
naux avaient été appliquées aux nouveaux corps ad-
ministratifs. Des commissaires spéciaux présentaient
un rapport; le procureur général syndic ou son
substitut, en qualité de ministère public, posait des
conclusions conformes ou contraires à celles des
commissaires, et enfin le conseil tout entier décidait.
C'est pourquoi Demautort, Levieillard et Garaier
ayant communiqué leur rapport au procureur général
syndic , ce dernier dut, conformément à la loi, pré-
senter ses conclusions. Rœderer était Tami de Pétion;
son réquisitoire fut un véritable plaidoyer en faveur
du maire et même du procureur de la commune,
qu'il était impossible de séparer de celui-ci.
Reprenant l'examen de toutes les pièces, le procu-
reur général syndic commence par énumérer les
faits incontestables : la formation du rassemblement,
la grille des feuillants forcée , le canon braqué sur
la porte Royale, cette porte ouverte par des gardes
nationaux, le domicile royal envahi, les discours
violents adressés au roi, le vol de plusieurs objets
mobiliers. « l^our ces laits, dit-il, le soin d'en recher-
cher les auteurs regarde les tribunaux. » Le dépar-
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LE 20 JUIN 1792.
185
temént ii*a à s'occuper que de la conduite des
officiers municipaux accusés de n'avoir pas rempli
leur devoir. Or, Tarrêté irrégulier par lequel le corps
muiilcipal a prétendu légaliser le rassemblement
illégal n'a pas été pris par le maire seul, et ne peut dès
lors lui être reproché. D'ailleurs l'Assemblée nationale
elle-même n'a-t-elle pas montré qu'il était impossible
de résister à l'invasion de la foule des pétitionnaires
armés, puisqu'elle les a reçus dans son sein? Ayant
à l'avance recommandé la surveillance la plus active
au commandant général et ne pouvant lui ordonner
plus, le maire et les officiers municipaux ne doivent
pas être réputés responsables de l'invasion du Ghâ-
teau« L'invasion ayant en lieu , il ne leur était plus
possible d'agir pour la repousser violemment, parce
que c'eût été compromettre la vie du roi. Pétion a-
t-il fait tout ce qu'il devait faire pour mettre un
terme au désordre, pour u le tempérer, n'ayant pu le
prévenir? » A cette question, Rœderer répond :
ti Si j'avais à juger le maire de Paris comme juré,
d'après ma conviction intime, je n*hésiterais pas une
seconde à l'acquitter honorablement. Je ne puis
moins faire pour lui quand je n'ai qu'une voix con-
sultative à émettre sur sa conduite... »
Le 6 juillet, le conseil général du département
s'assembla pour ptononcer sur les rapports contra-
dictoires de ses commissaires et du procureur général
syndic. 11 avait la conscience de l'immense respon-
sabilité qui allait peser sur lui. Il savait avec quelle
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m
LE SO JUIN ïm
incUcibie impatieiice tous les partis attendaient son
verdict* 11 n'ignorait pas que , s'il adoptait la propo-
sition de ses trois commissaires, il allait attirer sur
la tête de chacun de ses membres toutes les colères
populaires S mais il savait aussi qu*il serait respon- ,
sable de son arrêt devant T histoire, tribunal suprême
des actions et des jugements des hommes.
Ce ne fut qu'après de longs et consciencieux débats
que le conseil général du département se décida à
prononcer la suspension de Pétion et de Manuel. La
délibération, commencée de bonne heure le 6, se
prolongea jusqu au 7 à quatre heures du matin
4* Six semaines plus tard, le vénérable duc de la Rocbefou-
caukl payait de sa vie sa courageuse rédiatance aux entraîne-
ments pof)ulaires; il elail ei^uri^é, dans les bras de sa femme
et de sa mère, sur la roule de Rouen a Paris, par une troupe de
forcenés envoyés par la commune iiisui rectionnclle du 10 aoilt.
Nous donnons, à la fin de ce volume, le procès-verbal de
cette mort déplorable.
S. La minute de ce monument de courage civil est signée :
La Rochefoucauld, président; Brousse, Anson, Gravier de Ver^
gennes, Levieillard, Germain Gamler, I>emeunîer, Defeu*
couf)ret, Dumont, Lefebvre d'Ormesson, Barré, Tliouin. An-
delie, Charton, Bailly, Demautort, de Jussieu, Davous, Trudon,
Pinorel; Blondel, secrétaire.
Rœderer^ en qualité de procureur général syndic, fut chargé
de notifier Farrôté du conseil général du départementau mairede
Paris. Mais, suivant son habitude, il lui écrivit eu même temps
une lettre officielle el un billet officieux. Le billet est daté de
fheure même où le conseil général venait de rendre son verdict
(quatre heures du matin) ; ia missive qui accompagnait la pro-
cédure authentique est datée de sept heures après (onze heures].
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LE JUIN
187
XXXV.
Quelques heures après, le conseil général de la
commune était convoqué pour entendre la lecture
de rarrété départemental et pour élire un maire pro-
\isoire. L'officier municipal Borie fut choisi, et aus-
sitôt, à la tète d'une députatiou municipale, il alla
annoncer officiellement à l'Assemblée législative la
suspension du maire et du procureur-syndic.
Voici ces deux pièces, que nous avons eu le bonbeur de
retrouver :
« Monsieur,
a J'ai l'honneur de vous adresser le rapport des commis-
saires chargés de l'evarncn l'affaire du 20 juin. Ce soir, dès
que le conseil aura arrêté le procès-verbal de Ja séance, j'aurai
soin de vous l'adresser; il renferme mes conclusions, mon opi--
nion et les arrêtés préliminaires auxquels mes conclusions ont
donné lieu.
« Le procureur général syndic du département de Paris,
« HOEDËRER. »
Le billet porte la suscription suivante :
ff A monsieur Pétioti lui-tneme, à la mairie.
Et sur le pH intérieur : « A vous-même. »
«t Mon ami, je vous félicite; le conseil vient de suspendre le
procureur de la commune et le maire de Paris» Je ne vous
188 LE 20 JUIN i792.
»
Pétion lu aiïicher le jour mênie dans Paris un avis
ainsi conçu :
« Citoyens,
ce Je suis suspendu de mes fonctions. Recevez cette
et décision, comme je l'ai reçue moi-même, avec
i< calme et sang- froid* Bientôt une autorité supé-
a rieure prononcera, et j'espère que l'iimocence sera
a vengée, d'une manière digne d'elle, par la loi. »
D'après la Constitution, c'était au roi qu'apparte-
nait le droit de confirmer ou d'annuler l'arrêté dé-
partemental; mais, par une singulière confusion de
voulais pas laiiL de bien, je vous l'avoue; je vous embrasse.
Voilà deux nuits que je passe en blanc. Le conseil se sépare, il
est quatre heures du matin. Je ferai imprimer le discours très-
préçipité que je leur ai lu dans cette allai re, et j'ai fait retenir
mes conclusions au procès-verbal. Puissé-je trouver aussi
quelqu'un qui me suspende en attendant qu'on nous pendeJ
« ROEDBRBR. »
L'ami , dans celte occasion, faisait oublier au magistrat la
gravité de la situation; il ne voyait dans celte suspension du
maire de Paris qu'un texte de plaisanterie, qu'une occasion de
triompiie pour Pétion ; il désirait partager fion sort et voulait
être pendu avec lui. Son dernier vœu fut bien près d'être réa-
lise. Moins d'un an plus tard, Rœderer était compris, le 2 juin
1793, dans la proscription de Pétion et de ses adhérents; il
était obligé de se cacher et ne dut la vie qu'au dévououient de
quelques amis. Plus heureux que Pélion, il survécut à la tour-
mente révolutionnaire, devint comte de l'Empire et se reposa
sur la chaise curule du sénateur des tribulations qu'il avait
essuyées comme procureur général syndic du département de
Paris.
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Lb 20 JUIN 1792.
189
pouvoirs, le dernier mot en pareille matière avait été
réservé à la législature, qui était ainsi appelée à se
prononcer sur la décision royale.
Louis XVI se trouvait donc forcé de prononcer
dans sa propre cause. S'il absolvait Véùon et Manuel,
il abandonnait aux colères populaires le conseil gé-
néral du département qui avût noblement rempli son
devoir. S'il couiirmait la suspension prononcée, il
avait Fair d^exercer une vengeance pei*sonnelle et
courait le risque de voir sa décision cassée par la
Législative.
Plusieurs des conseillers ordinaires du roi opi-
naient pour la non-confirmation de l'arrêté dépar«-
tementaU et cela dans un double but : d'abord attirer
vers le trône les sympathies populaires, ensuite miner
roiiUiipoteace du uiaiie de l^ai is en couvrant Pélion
du ridicule qui s'attache inévitablement à l'homme
politique, auquel on refuse le bénéfice d'un facile
martyre. Peut-être cet avis e&t-il prévalu sans les
nouvelles violences de langage et les mesures auda-
cieuses des amis de Pétion. Le dimanche 8 juillet»
ceux-ci firent affluer vers l'Assemblée la masse des
pétitionnaires parisiens qu'Us avaient toujours à leur
disposition.
Le corps législatif sembla d'abord vouloir respecter
les formes constitutionnelles; il décréta par deux fois
le renvoi pur et simple de toutes les duieaaces jaco-
bines à la commission des Douze. Mûs par deux fois
la gauche demanda qu'on revînl sur ce vote. Suivant
ii.
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LK ï20 JUIIS 1792.
son habitude, TAssemblée ne se sentit pas de foice à
ré^ter plus longtemps à T insistance de la Montagne*
De guerre lasse, elle admit les pétitionniûres à la
barre*
Écoutons d'abord la section des Gravilliers :
« Législateurs, une famille épiorée vous rede-
mande un père que des magistrats, par l'abus le
plus coupable de leurs devoirs, viennent d'enlever à
ses fonctions. Toute la capitale est en deuil, et ce
deuil sera bientôt celui de tout Tempire. Nous vous
prions de nous rendre un ami, un magistrat fidèle,
et de consWérer que les circonstances, que la mal-
veillance a choisies pour cet acte de rigueur, sont
trop impérieuses pour permettre le moindre retard. »
' La section de la place Royale ne s'exprime pas
avec moins de vivacité. Son orateur, Tallien, débu-
tait dans les rôles de comparse politique, en atten-
dant qu'il pût être compté parmi les premiers sujets
de la troupe démagogique.
tt Un grand attentat vient d*ètre commis. La ville
de Paris est dans la douleur... Pétion est suspendu
de ses fonctions par un directoire contre-révolution*
naire; Pétion, notre père, notre ami, est sous le coup
d*une accusation. Qu'on nous charge aussi de fers,
ils nous paraîtront plus légers lorsque nous les parta-
gerons avec Pétion. Nous venons déposer dans le
sein du corps législatif l'adhésion la plus entière à la
conduite tenue par le maire et le corps municipal
dans les journées antérieures et postérieures au
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LE 30 JUIK 1792. 191
20 juin... Nous demandons que vous jugiez quelle
est radrainistration coupable, ou de la municipalité
qui a épargné le sang, ou du directoire qui voulait le
faire verser. »
Chaque jour des pétitionnaires venaient, non-seu-
lement au nom de Paris, mais encore, prétendaient-
ils, au nom de diverses villes de province, réclamer
d'an ton impérieux la réintégration immédiate « du
sage Pétion et du vertueux Manuel, ces deux colonnes
du patriotisme. » Presque toujours ils ne faisaient
que répéter un discours qui leur avait été reinis tout
fait. Oubliant qu'il s'était intitulé délégué de la ville
de Dijon, un d'entre eux s'écria : a Si d'ici au
li juillet on n'a pas rendu aux vainqueurs de la Bas-
tille leur père et leur tribun, la fête de la Liberté
sera troublée : nous ignorons où s'arrêtera le déses*
poir des patriotes. »
A la séance du 11 au soir, on vit de nouveau dé-
filer le ban et l'arrière-ban des sans-culottes de Paris
et des départements. Nous ne nous arrêterons pas à
décrire le spectacle que présentaient ces députations,
composées à peu près invariablement du même per-
sonnel et venant débiter les mêmes rapsodies. Dne
seule mérite une mention particulière; elle se com-
pose de soixante ouvriers de la section des Gravil-
liers qui, au retour du Champ de Mars, où ils ont
travaillé aux préparatifs de la fédération, défilent
pelle sur l'épaule et hotte sur le dos.
Ils résument ainsi leurs demandes, et la naïve
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m
LE 20 JUIN 1192.
brutalité de leur style répond au négligé de leur
tenue :
« Pétion et Manuel restaurés dans leurs fonctions;
le directoire cassé; La Fayette mis en accusation, et,
pour le peuple, les moyens de se constituer paisi-
blement et légalement en état de résistance à l'op-
pression. )>
TLWSl.
Le 12 juillet, l'Assemblée nationale reçut le mes-
sage royal qui confirmait purement et simplement
la suspension du maire et du procureur de la com-
mune.
Presque aussitôt après, le président annonce que
Pétiou demande à être admis à la barre. L'Assemblée
ne saurait faire attendre le roi du mamenL II entre
donc, salué par de formidables acclamations ; il pro-
mène un regard satisfait autour de lui et, prenant
l'attitude non d'un humble accusé^ mais d'un accu-
sateur triomphant, il commence ainsi :
« Je me présente devant vous avec la sécurité que
donne une conscience sans reproche ; je demande une
justice sévère, je la demande pour moi, je la de-
mande pour mes persécuteurs. Je n'éprouve pas le
LE 20 JUIN 1792. ' 193
besoin de me justifier, mais j'éprouve celui très-im-
périeux de venger la chose publique...
« Le département m'a rendu un service en me
suspendant ; le roi m'en rend un autre en confirmant
son arrêté. Rien ne peut m' honorer plus que ce con-
cert de volontés contre un homme de bien... Repré-
sentants d'un grand peuple, n*ayez dans cette affaire
d'autre clémence que la justice. Punissez-moi, si je
suis coupable; vengez-moi, si je suis innocent. J'at-
tends avec une respectueuse confiance le décret
solennel que vous allez porter. »
De nouvelles acclamations retentissent, les énieu-
tiersdestribunes crient à tue-tôte: VivePétionl Vive
noire ami! Les honneurs de la séance sont naturel-
lement accordés au maire suspendu; l'Assemblée
charge la commission des Douze de faire son rapport
le lendemain et décrète qu'elle statuera ensuite sans
désemparer. C'était assez clairement laisser voir en
quel sens elle voulait brusquer les choses.
La séance du IS s'ouvrit, comme d'habitude, à
neuf heures; mais le rapport ne devait être lu qu'à
midi. Il fallait ne pas laisser l'attention de l'Assem-
blée se disperser sur d'autres objets; Brissot de-
mande donc à lire a une pièce de la plus haute
importance, un chef-d'œuvre de discussion et de
méthode, le réquisitoire du procureur général syndic
du département. » L'Assemblée le lui permet. Puis
le président annonce qu'il vient de recevoir de Ma-
nuel une lettre ainsi conçue :
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m
IrE 20 JUIN i792.
«c Pària, le 43 juillet 479i.
« Messieurs,
a Je sors d'une fièvre brûlante; on m'apprend que
<( le roi a confirmé Tarrêté diOamatoire du dépar-
te temént; il faut que je sois tout à fait sans force
« pour ne pas vous aller montrer ma conscience et
« vous porter ma tête.
« Mais je m'engage, lorsque j'aurai recouvré un
« peu de santé, à prouver que j*ai fait, le 20 juin,
« mon devoir, et à confondre tous mes vils et lâches
« ennemis, qui ne sont que ceux du peuple.
« Et je n'ai que la force de signer.
tf Hajiubl, procureur de la commune. »
Le président venait d'achever la lecture de cette
lettre ridiculement emphatique, dans laquelle Manuel
offrait une tète qu'on ne lui demandait pas, lorsque
Muiaire, rappoi leur de la commission des Douze, se
présente à la tribune.
Acceptant la plupart des excuses énoncées dans
l'exposé de Pétion, U concluait à la levée de la suspen-
sion. Quant au procureur de la commune, qui ne s'est
point assez montré pour rétablir le calme, les Douze
croyaient devoir ajourner leur décision jusqu'à ce que
Manuel ait été entendu. Le rapporteur, en terminant,
rappelait au peuple « que, s'il veut jouir des droits
que la Constitution lui a rendus, il ne doit jamais
oublier le respect et l'obéissance dus à la loi, aux
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LK 20 JUIN 1791
196
autorités constituées par lui et pour lui. »» Aussi est-
il presque unaaimement applaudi. Quelques voix ce*
pendant s*élèvent contre Pétion. Delfau lui repro-
che tt de n'avoir pas su mourir à sou poste, comme
le maire d*Étampes Favait fait quelques mois au-
paravant. »
A gauche éclatent des exclamations moqueuses, à
droite des cris d'approbation; au milieu du tumulte,
Dumolard fait entendre cette belle parole : « Les
murmures de l'anarchie honorent les mânes du ver-
tueux magistrat. — Ne vaut-il pas mieux, reprend
Delfau, mourir honoré que de vivre en lâche et sans
honneur? »
Dalmas d'Aubenas attaque surtout, dans la con-
duite du maire de Paris, ses lâches complaisances à
Végard des violateurs de la loi et l'impatience avec
laquelle il a secoué l'autorité départementale qui fait
obstacle « à cette dictature qu'on lui destine, m Les
récriminations se croisent et s entre-cboquent; les tri-
bunes mêlent leurs murmures, de plus en plus scan-
daleux, aux violentes interruptions partant à chaque
minute et de la droite et de la gauche. La Montagne
elle-même proteste contre l'intolérance des specta-
teurs, qui prétendent empêcher de parler quiconque
n'a pas des opinions confonnes à leur bon plaisir.
Ëulin, G'urod (de l'Âin), obtenant la parole- pour une
motion d'ordre, dit : « Les départements jugeront le
jugement que nous allons rendre. Les Parisiens nous
jugeront eux-mêmes lorsque leur moment d'ivresse
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190
LE 20 JUIN 1792.
sera passé. Je deaiaiicle le vote par appel nominal, »
Un autre membre de la droite dépose sur le bureau
un projet de décret ainsi conçu :
<c L'Assemblée nationale, considérant qu'il est dé-^
montré à la France entière que, si la municipalité de
Paris a la volonté, elle n a pas le pouvoir d'empêcher
quelques individus des faubourgs Saint-Antoine et
Saint-Marcel de se rassemble!' en armes toutes les
fois qu'ils le voudront, décrète qu'à l'avenir elle
tiendra ses séances à Rouen ou dans toute autre ville
du royaume qui respectera les lois. »
La majorité rejette tous les contre-projets, tous les
amendements, refuse de procéder à Tappel nominal
et adopte, sans que la droite prenne part au vote, le
projet présenté par Muraire. En conséquence, la sus-
pension du mdre de Paris, prononcée par l'arrêté
départemental du d juillet, confirmée par la procla-
mation royale du 11, est levée.
XXXVIL
Le triomphe de la municipalité fut bruyamment
célébré par le maire et le procureur de la commune
eux-mêmes, par leurs amis particuliers et par tous
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LE 20 JUIN 1792<
les jacobins, au sein du conseil général et de la Lé- .
giâlative.
Le 16 juillet 9 Manuel se présenta à la barre de
l'Assemblée. « Si je n'ai pas répondu plus tôt aux
9ùupçam injurieux dont j'ai été Tobjet, dit-îl , c'est
que j'étais malade. » Accumulant mensonges sur
calomnies, comparaisons ampoulées sur antithèses
ridicules, il s'excuse d'entretenir encore les législa-
teurs d'une journée qui n'est, prétend-il, devenue
fameuse « que parce que la cour a voulu la grossir
de tous ses vices. » U fait Téloge de la municipalité
et de ces patriotes purs qui sont venus , le 16 juin,
planter une pique dans la salie de la maison com-
mune, à côté du maire, C'était là sa place, s'écrie-
t-il; car Minerve en a toujours une. » L'invasion du
palais le touche peu; « les palais des rois devraient
être ouverts comme les églises, et si Louis XVI avait
eu Time de Marc Aurèle, il serait descendu dans son
jardin pour y goûter un plaisir dont il n'est plus
digne... n
La droite accueille par des murniuies ces inso-
lentes absurdités; les tribunes les applaudissent &
outrance.
Manuel continue ; « Jamais il n'y a eu moins de
voleurs aux Tuileries que ce jour-là , len courtiêaru
ayant pri$ la fuite; le bonnet rouge a iionoré la téte
du roi... ce devrait être sa couronne... Tout s*est
passé dans le plus grand calme, parce que le maire
de Paris a exercé prés du trône l'empire de la vertu*
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m
LE SO JUIN in^.
Quant à moi^ traversant le jardin des Tuileries sans
mon écharpe de procureur de la commune , conver-
sant plutôt que commandant, j'ai été mieux à même
d'apaiser les passions. »
Pour faire ressordr la grandeur de sa conduite.
Manuel tonne contre celle du roi , contre celle de La
Fayette*.* « Défendez-vous, lui crie la droite, mais ne
calomniez pas ! )) Après avoir encore calomnié, Manuel
s'abandonne à tout le dévergondage de son imagina-
tion hyperbolique: «Dés lors s'élève, s'écrie-t-il, dans
les lambris du Louvre, au confluent de la liste civile,
un autre canal qui creuse dans les ténèbres un cachot à
Pétion.; ie département, en frappant la municipalité,
explique comment, dans la féte de la loi, il repré-
sentait la loi sous la ligure du crocodile »
Quelques jours plus tard , Févêque constitutionnel
du Cher , Tomé, fit encore de la journée du 20 juin
la description suivante :
il Un peuple nombreux s* assemble en armes pour
célébrer une féte civique ; il parait dans le sein du
corps législatif; il y déploie toute la majesté d'un
peuple libre. Après avoir offert ses hommages à ses
représentants élus, il se rend tranquillement et avec
la même dignité chez son représentant héréditaire.
Jamais peuple n'avait montré aux yeux d'un mo-
narque tant de force , de dignité , de modéi ation et
de respect tout ensemble pour sa personne et pour la
4. pogographe, p. $44 du t. XIY,
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LC 30 JUIN 179%.
191»
loi. Jamais un roi ne fut plus dignement entouré ;
les haillons de la vertu avaient pris la place de la
domrede tous les vices. Ce peuple ne jeta sur le luxe
royal que des regards de mépris; dans ses yeux se
mariaient le reproctie et l'amour, le mécontentement
et la retenue; sur ses lèvres était la vérité sans
injure, et dans ses bras lut la force, la grande force
sans attentat... Jamais roi n'eut une cour plus digne
d*un père du peuple, et jamais lui-même n*eut une
popularité plus touchante et plus calme; s'il eut un
moment de défiance, bientôt elle fit place à la sé-
curité et se termina par l'admiration ^ » En termi-
nant , Tomé s'élevait contre les suggestions pestifé-
rées de la cour, les horreurs clandestines d'une
procédure infernale, les machinations des Feuillants
et de tous les animaux nourris à la ménagerie de la
liste civile
Le conseil général de la commune, qui, comme
nous l'ayons vu , avait jeté un blftme sur la con-
duite de ses deux premiers magistrats en prenant
en considération la motion du courageux Cahier, eut
1 . Yoir le Journal de9 Débats et Décrets, p. 203, d*" 299, et
le discours que Tomé fit imprimer à l'Imprimerie nationale.
Ce discours n'occupe pas moins de vingt-six pages in-8^ toutes
sur le même Ion.
2, L'évêque constitutionnel du Cher, qui était loin, on le
voit, de profe-^er la mansuétude évangéli<|ue, «iemble f;^ire ici
allusion à un abominable pamphlet, probablement dû à la plume
d un de ses amis, puisqu'il se sert en pleine Assemblée des
mêmes expressions qoe l'ignoble folliculaire. Nous avons re-
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200
LE 20 JLi.N I7U2.
à entendre son procureur-syndic se glorifier de nou-
veau de tout ce qu'il n'avait pas fait, le 20 juin,
et des haines qu'il nourrissait contre la royauté con-
stitutionnelle. Le jour de sa réinstallation à UHôtel
de Ville, Manuel prononça le discours suivant :
0 Messieurs,
« Je reprends ma place, parce que je n'ai point
mérité de la perdre. Le département et le roi ont
pu me suispendre, mais j'étais plus fort qu'eux,
j'avais pour moi ma bonne conscience et le sufiTrage,
on ne dit plus des honnêtes gens y mais des hommes
rrouvé deux éditions de cet écrit. Nous en citons ici tout ce
qui peut en être bouiiètement extrait, pour faire deviner le
reste :
Description de la ménagerie royale d'animaux vivants,
établie aux Tuileries, pràs de la terrasse nationale^ avec
leurs noms, qualités, couleurs et propriétés,
« Tl y a quelque tomps qu'il existe dans le château de
Henri IV une ménagerie véritablement curieuse, tant par la
rareté des animaux qui la composent que par la dépense exces-
sive que son entretien coûte à la nation.
« Le public a examiné les hôtes féroces qui étaient dans
leurs cages respectives dans ie parc de Versailles. Il peut voir
plus commodément et sans se déranger beaucoup, une quantité
de quadrupèdes rassemblés au Louvre. Nous allons citer les
plus remarquables (le ces bAtes féroces, iiKliqiuT leurs habi-
tudes et leurs inclinationSf Jeur manière de se nourrir et leurs
propriétés, i»
Suit la description du royal Yeto, du royal Veto femelle, du
Deiphînus» de la Madame Royale, d'Élisabeth Vélo, etc., etc.
LE 20 âUm 1192.
de bien. La commune n'a point à applaudir au retour
de ses magistrats, c'est une justice qu'on leur a ren-
due ; ils n'auraient point voulu de grâce. Comme
eux, l'Assemblée nationale a fait son devoir. Mon
honorable exil m'a procuré un plaisir que je sentirai
toute ma vie. J'ai reçu du peuple de ces marques
d'estime et d'attachemeut que les déserteurs de la
commune ne recevront jamais à la cour des rois qui
n'ont encore que de l'argent à donner. Je n'avais pas
besoin de cet encouragement pour le servir, c'est par
principe comme par sentiment que j'ai toujours
défendu ses droits, et avec mon cai*actère on ne
change jamais. Mon ambition est et sera toujours la
même : mériter l'estime des bons citoyens et la
haine des méchants» n
XXXVllL
Sur ces entrefaites fut célébrée la féte de la
deuxième fédération. Elle fut aussi morne que la pre-
mière avait été brUlante. Celle de 1790 avait été
toute rayonnante de joie et d'espérance, celle de
1792 fut pleine d'angoisses et de troubles. Deux ans
auparavant, les cœurs couraient au-devant des cœurs,
les partis, à peine dessinés, oubliaient leurs dissenti-
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m LE 20 JUm 1791
ments dans un embrassement fraternel. Après le
20 juin, les illusions étaient anéanties, les cœurs
s'étaient ulcérés , les âmes débordaient d'amertume
et de colère.
Nous ne nous arrêterons pas à décrire la fédération
du 14 juillet 1792. Les céréiuouies ofiicïelles se res-
semblent toutes. Les pensées secrètes des acteurs ne >
sont que trop souvent en contradiction flagrante
avec les discours qu'ils prononcent; on prête des
serments que Ton sait ne pouvoir tenir; on déclare
pompeusement que L'ère des révolutions vient de se
cloref au moment même où l'on s'apprête à la
rouvrir; on a sur les lèvres des paroles de concorde
et de réconciliation^ au fond du cœur des sentiments
de haine et de vengeance.
L'Assemblée avait réglé, par un décret du i2 juil-
let, le cérémonial qui devait être observé dans la fête
du i&. Du baut de T estrade élevée au milieu du
Champ de Mars, le président lut la formule du ser-
ment, chaque député répondit individuellement;
puis le roi prêta celui que la constitution lui avait
particulièrement imposé; enQn le serment civique lut
prononcé par le commandant de la garde nationale
parisienne, et tous les citoyens répétèrent en un
chœur général ces mots sacramentels : Je le Jure.
Le roi était placé à gauche du président et sans
intermédiaire. Louis XVI était triste et résigné. Lors-
qu entouré des membres de F Assemblée nationale il
monta les marches de l'autel de la patrie » on crut
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LE 20 JUIN
m
voir, suivant la belle expression de M""* de Staél,
a la victime s' offrant voloataiiement au sacrifice.
Tous les honneurs populaires furent pour Pétion, le
véritable triomphateur du jour, traînant, pour ainsi
dire, le roi de France derrière son char, comme au*
trefois César victorieux traînait les vsdncus de la
Gaule.
On entendsdt hurler de tous côtés : Péiim ou la
mort! on voyait ces mots écrits sur toutes les ban-
nières; les hommes à pique, les émeutiers des fau-
bourgs les portaient inscrits à la craie sur leurs
chapeaux. A voir l'enthousiasme dont il était Tob**
jet, Pétion put croire à Téternité de sa popularité.
Un an après, jour pour jour, il était mis hors la loi,
et les mèuies individus criaient ; Pétion à la moiL ^ !
4 . Proscrit le 2 juin, mis hors la loi le 46 juillet 1793, Pétion
erra, avec plusieurs de ses amis Girondins, en Normandie, en
Bretagne et dans les environs de Bordeaux. Traqué d'asile en
a&ile, il finit par se donner la mort de ses propres mains. On
retrou VH , dans un champ de blé, son cadavre à moitié dévoré
par les lotips.
Le 49 janvier 4793, Manuel, en butte aux menaces les plus
violentes des tribunes de la Convention , donnait sa démission
de représentant et se retirait à Montargis, sa ville natale. Il
faiUit y être écharpé par la populace. Arraché tout sanglant des
mains des assassins, il fut conduit prisonnier à Orléans, de là
traduit au liibunal revoluUoiiiiaire de Pau» et condamue à
mort, le 27 brumaire an u (47 novembre 479J).
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NOTES
18
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I
LE RETOUR DE VARENNES
RACONTÉ PAR PÉT10N«^
( Yoir page 45. )
(I Je fus nommé avec Maubourg et Bamave, pour aller
au-devant du roi et des personnes qui l*accompagnaient.
« Cette nomination avait été faite sur la présentation
des comités de constitution et militaire réunis.
<i Je ne fis d'abord aucune attention à la manière dont
cette ambassade était composée; depuis longtemps je
n'avais aucune liaison avec Bamave, je n'avais jamais
fréquenté Maubourg.
« Maubourg connaissait beaucoup madame de Tourzel,
et on ne peut se dissimuler que Barnave avait déjà conçu
des projets. Ils crurent très^politique de se mettre sous
Fabri d*un bomme qui était connu pour Tennemi de toute
intrigue et Tami des bonnes mœurs et de la vertu.
1. L'authenticité de ce récit ne saurait Mre révoquée en doute. Lu
pièce originale a été saisie dans les papiers mêmes de P*'tian, au mo-
ment de sa fuite aprè<* le 2 juin 1793. Elle est entièrement écrite
4e sa maiD ; noiia en ikTona respecté Ja8<(u*aux iaute» d'orUiographe,
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m
LE %Q JUIN
« Deux heures après ma nomination, je me rendis chez
M. Maubourg, lieu du rendez-vous.
« A peine y fus-je entré que Duport arriva « que La
Fayette arriva ; je ne fus pas peu surpris de voir Uuport
et 1^ Fayette causer ensemble familièrement, amicale-
ment. Je savais qu'ils se détestaient et leur coalition
n'était pas encore publique. Arriva aussi un homme que
j*ai toujours estimé, M. Tracy.
tt On s'entretint beaucoup des partis qu'on prendrait
envers le roi; chacun disait que « ce gros cochon-là était
«fort embarrassant. L'enfermera-t-on? disait l'un: rè-
tt gnera-t-il? disait l'autre; lui donnera-t-on un conseil?»
(( La Fayette faisait des plaisanteries, ricanait; Duport
s'expliquait peu ; au milieu d*une espèce d'abandon ,
j'apercevais clairement beaucoup de contrainte. Je ne me
laissai point aller avec des gens qui visiblement jouaient
serré et qui déjà sans doute s'étaient fait un plan de
conduite.
<f Bamave se fit attendre très-longtemps. Nous ne par-
tîmes qu'à quatre heures du matin,
a Nous éprouvâmes à la barrière un petit retard, parce
qu'un ne laissait passer personne, et je vis le moment où
nous serions obligés de rétrograder.
« M. Dumas étaiL avec nous. Nous fûmes le prendre
chez lui.
« L'Assemblée , également sur la présentation des co-
mités, lui avait conilé le commandement général de
toutes les forces que nous jugerions utile et nécessaire de
requérir.
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LE 20 JUIN 1792. S09
« Cette nomination n*est pas indifférente. M. Dumas
était la créature des Lameth.
(c Nous voilà donc partis par un très-bon temps. Les
postillons, qui savaient l'objet de notre voyage, nous con-
duisaient avec la plus grande rapidité.
a Dans les villages, dans les bourgs, dans les villes,
partout sur notre passage, on nous donnait des témoi-
gnages de joie, d'amitié et de respect.
« Dans tout le cours de la route, nous n'arrét&mes que
le temps nécessaire pour manger prumptement un mor-
ceau. A La Ferté*sous-Jouarre, une procession ralentit un
instant notre marche : nous mtmes pied à terre, nous
gagnâmes une auberge pour déjeuner. Les officiers mu-
nicipaux vinrent nous y joindre; un grand nombre de
citoyens nous entourèrent ; nous ne couchâmes point.
« Arrivés à Dormans où nous nous disposions à d!ner,
des courriers vinrent nous dire que le roi était parti le
matin de Chàlons et qu'il devait être près d'Épernay ;
d'autres assurèrent qu'il avait été suivi dans sa marche
par les troupes de Bouilié et qu'il allait d'un instant à
l'autre être enlevé. Plusieurs, pour confirmer ce fait, sou-
tinrent avoir vu de la cavalerie traverser dam les bois^
« Rien ne nous paraissait plus naturel que cette nou-
velle tentative de M. de Bouilié ; avec son caractèi-e connu^
a il voudra» disions-nous, plutôt périr que de l'abandon-
ner. »
a Cependant le roi avançait dans l'intérieur; il laissait
déjà derrière lui Chàlons, et il nous paraissait difficile de
tenter un coup de main et surtout de réussir; de sorte
12.
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m 20 JUIN iW,
qu*en combinant toutes les circonstances noas penchions
davantage à croire que M. de Bouillé nliasarderait pas
me housardefie semblable, qui pouvait d'ailleurs com-
promettre la personne du roi.
« Nous ne nous donnâmes que le temps de manger
debout un morceau, de boire un coup, et nous nous
mimes en marche.
« Mes compagnons de voyage avaient usé avec moi
dans tout le cours du voyage de beaucoup de discrétion
et de réserve; nous avions parlé de choses indifférentes. Il
n'y avait eu qu'un seul instant qui avait éveillé en moi
quelques soupçons. On avait remis sur le tapis la ques-
tion de savoir ce qu'on ferait du roi. Maubourg avait dit ;
(f 11 est bien diflQclle de prononcer; c'est une bête qui
tt s*est laissé entraîner ; il est bien malheureux, en vérité,
< il fait pitié. » Bamave observait qu'en effet on pouvait
le regarder comme un imbécile ; a Qu'en pensez-vous,
« me ditril , Pétion? n Et dans le même moment il fit un
signe à Maubourg, mais de ces signes d'intelh'gence pour
celui à qui on les fait et de défiance pour celui de qui on ne
veut pas être vu ; cependant, il était possible que, connais-
santFaustérité et l'inflexibilité de mes principes, il ne vou-
iaît dire autre chosesiaoïi : Pétion va condamner avec toute
la rigueur de la loi et comme si c'était un simple citoyen.
« Je répondis néanmoins que je ne m'écartais pas de
ridée de le traiter comme un imbécile , incapable d'oc-
cuper le trône, qui avait besoin d'un tuteur, que ce
tuteur pouvait être un conseil national. Là-dessus des
objections, des réponses, des répliques; nous parlâmes
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LK 20 JUIN 1192.
de la régeûoe, de la difficulté du choix d'un régent.
« M. Dumas n'était pas dans la même voiture que nous.
Sortant de Dormans, M. Dumas examinait tous les en-
droits comme ud général d'armée. « Si M. de Bouillé
«arrive, disait-il, il ne peut prendre que par là ; on peut
K Tarréter à cette hauteur et ce déûlé; sa cavalerie ne
< peut plus manœuvrer, n II fit même une disposition
militaire, il donna ordre à la garde nationale d'un bourg
de prendre tel et tel poste.
a Ces précautions paraissaient non*seuiement inutiles,
mais ridicules. Nous nous en divertîmes, et je^ois dire
que M. Dumas lui-même s'en amusait. 11 n'en paraissait
pas moins sérieux avec les habitants des campagnes qui
s'attendaient sérieusement à combattre.
' « Le zèle qui animait ces bonnes gens était vraiment
admirable; ils accouraient de toutes parts, vieillards,
femmes et enfants : les uns avec des broches, avec des
faux, les autres avec des bâtons, des sabres, des mauvais
fusils, ils allaient comme à la noce; des maris embras-
saient leurs femmes leur disant : « Eh bien I s'il le faut»
u nous irons à la frontière tuer ces gueux, ces j...
« là ; ah t nous l'aurons, ils ont beau faire. » — Ils cou*
raient aussi vite que. la voiture; ils applaudissaient , ils
crîaient : Vive la nation 1 J'étais émerv^Ué, attendri de
ce sublime spectacle.
« Les courriers se multipliaient , se pressaient, nous
disaient : Le roi approche. Â une lieue, une lieue et de-
mie d'Épemay, sur une très-belle route, nous apercevons
de loin un nuage de poussière, nous entendons un grand
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212 L£ 20 JUIN 1 Ï92.
bruit; plusieurs personnes approchent de notre voiture et
nous crient : Voilà le roi 1 Nous faisons ralentir le pas
des chevaux; nous avançons; nous apercevons un groupe
immense; nous mettons pied à terre. La voiture da roi
s*arréte, nous allons au-devant; l'huissier nous précède
et le cérémonial s'observe d'une manière imposante.
Aussitôt qu^on nous aperçoit on s*ëcrie : Voilà les députés
de r Assemblée nationale! On s'empresse de nous faire place
partout; on donne des sigruUs d'ordre et de silence. Le
cortège était superbe : des gardes nationales à cheval , à
pied, avec uniforme, sans uniforme, des armes de toutes
espèces; le soleil sur son déclin réfléchissait sa lumière
sur ce bel ensemble, au milieu d'une paisible campagne;
la grande circonstance, je ne sais, tout cela était impo-
sant et faisait naître des idées qui ne se calculent pas ;
mais que le sentiment était diversifié et exagéré fie ne puis
peindre le respect dont nous fumes environnés. Quel
ascendant puissant, me disais-je, a cette Assemblée ! quel
mouvement elle a imprimé i que ne peut-elle pas iaire l
Gomme elle serait coupable de ne* pas répondre à cette
confiance sans bornes, à cet amour si touchant I
tt Au milieu des chevaux, du cliquetis des armes , des
applaudissements de la foule que l'empressement attirait,
que la crainte de nous presser éloignait, nous arrivâmes
à la portière de la voiture. Elle s'ouvrit sur-le-champ.
Des bruits confus en sortaient. Là reine « Madame Elisa-
beth paraissaient vivement émues, éplorées : «Messieurs,
c dirent-elles avec précipitation, avec oppression, les
(c larmes aux yeux; messieurs 1 Ah I monsieur Maubouig!
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L£ 20 JUIN m
c( en lui prenant la main en grâce; ahl monsieur» pre-
u naiu aussi la main àBarnave; ah I monsieur. Madame
a ÉUsabeth appuyant seulement la maîn sur la mienne,
« qu'aucun malheur n'arrive, que les gens qui nous eut
tt accompagnés ne soient pas victimes, qu'on n'attente
<i pas à leurs jours I Le roi n*a point voulu sortir de
a France l — Non, messieurs, dit le roi , en parlant avec
a volubilité, je ne sortais pas , je Tai déclaré, cela est
« vrai. )} Cette scène fut vive, ne dura qu'une minute;
mais comme cette minute me frappe I Maubourg répon-
dît ; je répondis par des : Ah ! par des mots insigniHants
et quelques signes de dignité sans dùreté , de douceur
sans afféterie, et, brisant ce colloque, prenant le carac-
tère de notre mission, je l'annonçai au roi en peu de
mots et je lui lus le décret dont j'étais porteur. Le plus
grand silence régnait dans cet instant,
« Passant de l'autre côté de la voiture, je demandai du
silence, je l'obtins et je donnai aux citoyens lecture de
ce d^ret; il fut applaudi. M* Dumas prit à l'instant
le commandement de toutes les gardes qui jusqu'à ce
moment avaient accompagné le roi. 11 y eut de la part
de ces gardes une soumission admirable. C'était avec joie
qu'elles reconnaissaient le chef militaire qui se plaçait à
leur tête; l'Assemblée l'avait désigné; il semblait que
c'était pour eux un objet sacré,
« Nous dîmes au roi qu'il était dans les convenances
que nous prissions place dans sa voiture, fiarnave et moi
nous y entrâmes. Â peine y eureru nous mis le premier
pied que nous dîmes au roi : « Mais« Sire, nous allons
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214 tO JUIN 1793.
« votis gêner, voas incommoder; il est impossible que
tt 0Qu$ trouvions piace ici. » Le roi uous répoudit : « Je
(c désire qu*aucune des personnes qui m*ont accompagné
(( ne sorte, je vous prie de vous asseoir, nous allons nous
« presser, vous trouverez place. »
« Le roi, la reine, le prince royal étaient sur le der-
rière. Madame Élisabeth, madame de Tourzel et Madame
étaient sur le devant. La reine prit le prince sur ses ge-
noux, Bamave se plaça entre le roi etla reine, madame de
Tourzel mit Madame entre ses jambes, et je me plaçai
entre Madame Élisabeth et madame de Tourzel.
u Nous n'avions pas fait dix pas qu'on nous renouvelle
les protestations que le roi ne voulait pas sortir du
royaume et qu*on nous témoigne les plus vives inquié-
tudes sur le sort des trois gardes du corps qui étaient sur
le siège de la voiture. Les paroles se pressaient, se croi-
saient; chacun disait la même chose; il semblait que
c'était le mot du gué; mats il n*y avait aucune mesure,
aucune dignité dans cette conversation, et je n'aperçus
surtout sur aucune des ûgures cette grandeur souvent
très-imprimante que donne le malheur à des âmes éle-
vées.
« Le premier caquetage passé, j'aperçus un air de sim-
plicité et de famille qui me plut; il n*y avait plus là de
représentation royale, il existait une aisance et une homu
hammie domestique : la reine appelait Madame Élisabeth
ma petite sœur. Madame Élisabeth lui répondait de même.
Madame Élisabeth appelait le roi mon frère, la reine fai-
sait danser le prince sur ses genoux. Madame, quoique
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LE 20 JUIN 1792. 215
plus réservée, jouait avec son frère; le roi regardait tout
cela avec un air assQZ satisfait, quoiijue peu ému et peu
sensible.
u J'apeii^us, en levant les yeux au ciel de la voilure, un
chapeau galonné dans le ûlet; c'était , je n'en doute pas«
celui que le roi avait dans son déguisement, et j'avoue
que je fus révolté qu'on eût laissé subsister cette trace
qui rappelait une action dont on devait être empressé et
jaloux d'anéantir jusqu'au plus léger souvenir, involon-
tairement, je portais de temps à autre mes regards sur
le chapeau; j'ignore si on s'en aperçut.
« Texaminai aussi le costume des voyageurs. U était
impossible qu'il fût plus mesquin. Le roi avait un habit
brun peluché, du linge fort sale; les femmes avaient de
petites robes très-communes et du matin.
<c Le toi parla d'un accident qui venait d'arriver à uo
seigneur qui veuait d'èlre égorgé, et il en paraissait très-
affecté. La reine répétait que c'était abominable, qu'il
faisait beaucoup de bien dans sa paroisse et que c'étaient
ses propres habitants qui l'avaient assassiné.
K Un autre fait rafTectait beaucoup : elle se plaignait
amèrement des soupçons qu'on avait manifestés dans la
route contre elle. « Pourriez^vous le croire? nous disait*
« elle; je vais pour donner une cuisse de volaille à un
« garde national qui paraissait nous suivre avec quelque
tt attachement ; eh bien, on crie au garde national ; u I^e
« manges pas, déOez-vousl » en faisant entendre que
«cette volaille pouvait être empoisonnée. Oh! j'avoue
(c que j'ai été indignée de ce soupçon, et à Tinstant j'ai
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'M LE 20 JUIN 179S.
(f distribué de cette volaille à mes enfants^ j'en ai mangé
u moi-même. »
(1 Cette histoire à peine finie : <r Mesrieurs, noas dit-
« elle, nous avons été ce matin à la messe à Châlons,
c( mais une messe constitutionnelle. » Madame Élisabeth
appuya, le roi ne dit un mol. Je ne pus pas m'euipêcher
de répondre que cela était bien, que ces messes étaient
les seules que le rui diit entendre; mais j'avoue que je
fus très-mécontent de ce genre de persiflage et dans les
circonstances où le roi se trouvait.
u La reine et Madame ËlisabetU revenaient sans cesse
aux gardes du corps qui étaient sur le siège de la voiture,
et témoignaient les plus vives inquiétudes.
« Quant à moi, dit madame de Tourzel, qui avait
(( gardé jusqu*alors le silence, mais avec un ton résolu
c( et très-sec, j'ai fait mon devoir en accompagnant le roi
u et en ne quittant pas les enfants qui m ont été conQés.
u On fera de moi tout ce qu'on voudra, mais je ne me
(( reproche rien. Si c'était à recommencer, je recommen-
u cerais encore. »
<t Le roi parlait très-peu, et la conversation devint plus
particulière; la reine parlât à Bamave et Madame liîiisa-
beth me paWa, mais comme si on se fût distribué les
rôles en se disant : Chargez-vous de votre voisin, je vais
me charger du mien.
u Madame Élisabeth me ûxait avec des yeux attendris,
avec cet air de langueur que le malheur donne et qui
inspire un assez vif intérêt. Nos yeux se i encan traient
quelquefois avec une espèce d'intelligence et d'attraction.
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L£ SU JUIN 1792. 217
la naît se fermait, la lune coinment^ait à répandre cette
clarté douce. Madame Elisabeth prit Madame sur ses ge-
noux, elle la plaça ensuite moitié sur son genou, moitié
sur le mien; sa tête fut soutenue par ma main, puis par
la sienne. Madame s*endormit, j'allongeai mon bras, Ma-
dame Élisabeth allongea le sien sur le mien. Nos bras
étaient enlacés, le mien touchait sous son esele, je sentais
des mouveinciiis qui se précipitaient, une chaleur qui tra-
versait les vêtements; les regards de Madame Élisabetb
me semblaient plus touchants. J'apercevais un ceriain
abandon dans son maintien, ses yeux étaient humides,
la mélancolie se mêlait à une espèce de volupté. le puis
me tromper, on peut facilement confondre la sensibilité
du malheur avec la sensibilité du plaisir ; mais je pense
que si nous eussions été seuls, que si, comme par en-
chantement, tout le monde eût disparu, elle se serait
laissé aller dans mes bras et se serait abandonnée aux
mouvements de la nature.
« Je fus tellement frappé de cet état que je me disais :
Quoil serait-ce un artifice pour m'acheter à ce prix? Ma-*
dame Élisabeth serait-elle convenue de sacrifier son hon-
neur pour me faire perdre le mien? Oui, à la cour rien
ne coûte, ou est capable de tout; la reine a pu arranger
le plan. Et puis, considérant cet air de naturel, Tamour-
propro aussi ni'insinuant que je pouvais lui plaire, quVile
était dans cet âge où les passions se font sentir, je me
persuadais, et j'y trouvais du plaisir, que des émotions
vives la tourmentaient, qu'elle désirait elle-même qus
nous fussions sans témoins, que je lui fis ces douces
13
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m LE '20 JUIN 1792.
instances, ces caresses délicates' qui vainquent la pudeur
sans l'offenser et qui amiuioiiL la défaite sans que la déli-
catesse s'en alarme, où le trouble et la nature sont seuls
complices.
(( Nous allions lentement; un peuple nombreux nous
accompagnait. Madame Elisabeth m'entretenait des gardes
du corps qui les avaient accompagnés; elle m'en parlait
avec un intérêt tendre ; sa voix avait je ne skis quoi de flat-
teur. Elle entrecoupait quelquefois ces mots de manière à
me troubler. Je lui répondais avec une égale douceur,
cependant sans faiblesse, avec un genre d'austérité qui
n* avait rien de farouche ; je me gardais bien de compro-
mettre mon caractère ; je donnais tout ce qu'il fallait à la
position dans laquelle je croyais la voir, mais sans néan-
moins donner assez pour qu'elle pût penser, même soup-
çonner, que rien altérât jamais mon opinion, et* je pense
qu'elle le sentit à merveille, qu'elle vit que les tentations
les plus séduisantes seraient inutiles, car je remarquais
un certain refiuidisscment, une certaine sévérité qui
tient souvent chez les femmes à Tamour-propre irrité.
« Aous arrivions insensiblement à Dormans. J'obser-
vai plusieurs fois Barnave, et quoique la demie clarté qui
régnait ne me permît pas de distinguer avec une grande
précision, sou maintien avec la reine me paraissait hon-
nête, réservé, et la conversation ne me semblait pas
mystérieuse.
H Nous entrâmes à Dormans entre minuit et une heure;
nous descendîmes dans l'auberge où nous avions mangé
un morceau, et cette auberge, quoique très^passable pour
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LK 20 JUIN 11d2.
2t9
un petit eodroit, n'était guère propre à recevoir la famille
royale.
tf J'avoue cependant que je n'étais pas fâché que la
* cour connût ce que c'était qu'une auberge ordinaire.
« Le roi descendit de voiture, et nous descendîmes
successivement; il n*y eut aucun cri de : Vive le roi! et
on criait toujours : Vive la nation ! vive l'Assemblée na-
tionale 1 quelquefois : Vive Bamavel vive Pétion! Gela
eut lieu pendciaL toute la route.
(( Nous montâmes dans les chambres hautes; des senti-
nelles furent posées à l'instant à toutes les portes. Le roi,
la reine, Madame Éiisabeth, le prince. Madame, madame
deTourzel soupèrent ensemble ; MM. Maubourg, Barnave,
Dumas et moi nous soupâmes dans un autre apparte-
ment: nous fîmes nos dépêches pour TAssemblée natio-
nale; je me mis dans un lit à trois heures du matin ;
Barnave vînt coucher dans le même lit. Déjà j'étais en-
dormi. iNous nous levâmes à cinq heures.
(( Le roi était seul dans une chambre où il v avait
un mauvais lit d'auberge. Il passa la nuit dans un fau-
teuil.
« 11 était difiicile de dormir dans l'auberge, car les
gardes nationales et tous les habitants des environs-
étaient autour à chanter, à boire et danser des rondes.
i( Avant de partir, MM. Dumas, Barnave, Maubourg et
moi, nous passâmes en revue les gardes nationales; nous
fûmes très-bien accueillis.
« Nous montâmes en voiture entre ciiiq et six heures, et
je me plaçai cette fois entre le roi et la reine. Nous étions
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r
2S0 LË 20 JUIN 1792.
fort mal à l'aise. Le jeune prince venait sur mes genoux,
jouait avec moi; il était fort gai et surtout fort remuant.
« Le roi cherchait à causer, il me fit d'abord de ces
questions oiseuses pour entrer ensuite en matière. Il
me demanda si j'étais marié, je lui dis que oui ; il me
demanda si j'avais des enfants, je lui dis que j'en avais
un qui était plus âgé que son fils. Je lui disais de temps
en temps : « Regardez ces paysages, comme ils sont
a beaux 1 » Nous étions eu eiïet sur des coteaux admi-
rables où la vue était variée, étendue; la Marne coulait
à nos pieds, u Quel beau pays, m'écriai-je, que la
(( France 1 il n'est pas dans le monde de royaume qui
(c puisse lui être comparé. » Je lâchais ces idées à des-
sein ; j'examinais quelle impression elles faisaient sur la
physionomie du roi ; mais sa figure est toujours froide,
inanimée d'une manière vraiment désolante, et, à vrai
dire, cette masse de chair est insensible.
« 11 voulut me parler des Anglais, de leur industrie,
du génie commercial de cette nation. 11 articula une ou
deux phrases, ensuite il s'embarras*sa, s'en aperçut et
rougit. Cette difficulté à s'exprimer hii donne uul' timi-
dité dont je m'aperçus plusieurs fois. Ceux qui ne le con-
naissent pas seraient tentés de prendre cette timidité
pour de la stupidité ; mais on se tromperait ; il est très-
rare qu'il lui échappe une chose déplacée, et je ne lui ai
pas entendu dire une sottise.
(( 11 s'appliquait beaucoup h parcourir des cartes géo-
graphiques qu'il avait, et il disait : « Nous sommes dans
<f tel département^ dans tel district, dans tel endroit. »
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L£ 20 JUIN 1792. 221
(( La reine causa aussi avec moi d'une manière mie et
familière; elle me parla aussi de réducaiion de ses
enfants. Elle en parla en mère de famille et en femme
assez instruite. Elle exposa des principes très-justes en
éducation. Elle dit qu'il fallait éloigner de Foreille des
princes toute flatterie, qu'il ne fallait jamais leur dire que
la vérité. Mais j'ai su depuis que c'était le jargon de
mode dans toutes les cours de l'Europe. Une femme très-
éclairée me rapportait qu eiie avait vu, et assez familiè-
rement, cinq ou six princesses qui toutes lui avaient tenu
le même langage, sans pour cela s'occuper une minute de
réducation de leurs enfants.
(( Au surplus, je ne fus pas longteiiips à m'apercevoir
que tout ce qu'elle me disait était extrêmement superfi-
ciel, et il ne lui échappait aucune idée loi Le ni de carac-
tère; elle n'avait, dans aucun sens, ni l'air, ni l'attitude
de sa position.
(( Je vis bien cependant qu'elle désirait qu'on lui crût
du caractère ; elle répétait assez souvent qu'il fallait en
avoir, et il se présenta une circonstance où elle me tit
voir qu'elle le faisait consister en si peu de chose que je
demeurai convaincu qu'elle n'en avait pas.
« Les glaces étaient toujours baissées ; nous étions cuits
* par le soleil et étouiiés par la poussière; mais le peuple
des campagnes, les gardes nationales nous suivant pro-
cessionnellement, il était impossible de faire autrement,
parce qu'on voulait voir le roi.
« Cependant la reine saisit un moment pour baisser le
sthort. Elle mangeait alors une cuisse de pigeon. Le
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m LE %0 lUIN 1792.
peuple murmure; madame Élisabeth fut pour U leoer, la
reine s'y oppose en disant: a Non, il faut du caractère. »
Elle saisit Tinstant mathématiqueroii le peuple ne seplai-*
gnait plus, pour lever elle-même le sthort et pour faire
croirequ'ellenele levait pas parce qu'on l'avait demandé;
elle jeta par la portière l'os de la cuisse de pigeon et elle
répéta ces propres expressions : « Il faut avoir du carac-
« tère jusqu'au bout. »
« Cette circonstance est minutieuse, mais je ne puis
pas dire combien elle m'a frappé.
a A rentrée de La Ferlé-sous-Jouarre, nous trouvâmes
un grand concours de citoyens qui criaient : « Vive la
tt Nation! vive l'Assemblée nationale! vive Barnave! vive
<( Pétion! » J'apercevais que ces cris faisaient une impres-
sion désagréable à la reine, surtout à madame Élisabeth.
Le roi y paraissait insensible, et l'embarras qui régnait
' sur leurs figures m'embarrassait moi-même.
« Le maire de La Ferté-sou&-Jouarre nous avait fait
prévenir qu'il recevrait le roi, et le roi avait accepté cette
offre. La maison du maire est extrêmement jolie, la
Marne en baigne les murs. Le jardin qui accompagne
cette maison est bien distribué, bien soigné, et la ter-
rasse qui est sur le bord de la rivière est agréable.
« Je me promenai avec madame Elisabeth sur cette
terrasse avant le dîner, et là je lui parlai avec toute la
franchise et ia véracité de mon caractère ; je lui représen-
tai combien le roi était mal entouré, mal conseillé; je lui
parlai de tous les intrigants, de toutes les manœuvres
de la cour avec la dignité d'un homme libre et le dédain
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LE 20 JUIN 17 92.
223
d'un homme sage. Jo mis de la force, de la peisuasion
dans rexpressioQ de mes sentiments, et l'indignation de
la vertu lui rendit sensible et attachant le langage de la
raison; elle parut attentive à ce que je lui disais; elle en
parut touchée, elle se plaisait à mon entretien, et je me
plaisais à l'entretenir. Je serais bien surpris si elle n'avait
pas une belle et bonne âme, quoique très-imbue des pré-
jugés de naissance et gâtée par les vices d'une éducation
de cour.
<c Barnave causa un instant avec la reine, mais, à ce
qu'il me parut, d'une manière assez indifférente.
<( Le roi vint lui-même sur la terrasse nous engager à
dîner avec lui. Nous conférâmes, MM. Maubourg, Bar-
nave et moi, pour savoir si nous accepterions. «Cette
(1 familiarité, dit l'un, pourrait paraître suspecte. —
« Comme ce n'est pas l'étiquette, dit l'autre, on pourrait
« croire que c'est à Toccasion de la situation malheureuse
« qu'il nous a invités. » Nous convînmes de refuser» et
nous fûmes lui dire que nous avions besoin de nous reti-
rer pour notre correspondance, ce qui nous empêchait de
répondre à l'honneur qu'il nous faisait.
<i On servit le roî ainsi que sa famille dans une salle
séparée; on nous servit dans une autre. Les repas furent
splendides. Nous nous mîmes à cinq heures en marche.
£n sortant de La Ferlé, il y eut du mouvement et du
bruit autour de la voiture. Les citoyens forçaient la garde
nationale, la garde nationale voulait empêcher d'appro-
cher. Je vis un de nos députés, Kervelegan, qui perçait
la foule, qui s'écliautïait avec les gardes nationaux qui
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m LE SO JUIN 1798.
cherchaient à l'écarter et qui approcha de la portière en
jurant, en disant: u Pour une brute comme celle-là,
a voilà bien dn traîn. » J'avançai ma tête hors de la por-
tière pour lui parler; il était irès-échauffé ; il me dit:
« Sont-ils tous là? Prenez garde, car on parle encore de
« les enlever; vous êtes là environnés de gens bien inso-
(c lents !» Il se retira et la reine me dit d'un air très-
piqué et un peu eiiiayé : « Voilà un iiuiuiiie Ijieii mal-
tt honnête! » Je lui répondis qu'il se fâchait contre la
garde qui avait agi brusquement à son égard. Elle me
parut craindre, et le jeune prince jeta deux ou trois cris
de frayeur.
«Cependant nous cheminions tranquillement. La reine,
à côté de qui j'étais, m'adressa fréquemment la parole,
et j'eus occasion de lui dire avec toute franchise ce que
Ton pensait de la cour, ce que Ton disait de tous les in-
trigants qui fréquentaient le Château.
(c Nous parlâmes de l'Assemblée nationale, du côté
droit, du coté gauche, de Malouet, de Maury, de Gazalès,
mais avec cette aisance que l'on met avec ses amis* Je ne
me gênai eu aucune manière; je lui rapportai plusieurs
propos qu'on ne cessait de tenir à la cour, qui devenaient
publics et qui iiidisposaient beaucoup le peuple; je lui
citai les journaux que lisait le roi. Le roi , qui entendait
très-bien toute cette conversation, lue dit : u Je vous as-
<f sure que je ne lis pas plus VAmi du roi que Marat. n
« La reine paraissait prendre le plus vif intérêt à cette
discussion; elle l'excitait, elle l'animait, elle faisait des
réflexions assez fines, assez méchantes.
LE 20 JUIN 1792.
225
« Tout cela est fort bon, me dit-elJe; oo blâme beau-
(( coup le roi, mais on ne sait pas assez dans quelle posi-
tt tion il se trouve ; on lui fait à chaque instant des récits
« qui se contredisent, il ne sait que croire; on lui donne
« successivement des conseils qui se croisent et se dé- .
« truisent, il ne sait que faire: comme on le rend mal-
« heureux, sa posiiion n'est pas tenable ; on ne l'entre-
« tient en même temps que de malheurs particuliers, que
« de meurtres; c'est tout cela qui Ta déterminé à quitter
« la capitale. La couronne, m*ajouta-t-eile, est en suspens
« sur sa tête. Vous n'ignorez pas qu il y a un parti qui ne
« veut pas de roi, que ce parti grossit de jour en jour. »
« Je crus très-disLinctement apercevoir l'intenlion de la
reine en laissant échapper ces derniers mots; pour mieux .
dire, je ne pus pas me méprendre sur Tapplication qu'elle
voulait en faire.
« Eh bieni lui dis-je, Madame, je vais vous parler avec
<( toute franchise, et je pense que je ne vous serai pas
« suspect. Je suis un de ceux que Ton désigne sous le
u titre de républicains et, si vous le voulez, un des chefs
« de ce parti. Rar principe, par sentiment, je préfère le
a gouvernement républicain à tout autre. 11 serait trop
<( long de développer ici mon idée, car il est telle ou telle
« république que j'aimerais moins que le despotisme d'un
<r seul. Mais il n*est que trop vrai, je ne demande pas que
« vous en conveniez, mais il n'est que trop vrai que
<( presque partout les rois ont fait le malheur des hommes;
« qu'ils ont regardé leurs semblables comme leur pro-
c( priété; qu'entourés de courtisans, de flatteurs, ils
13.
»
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m LE 20 JUIN 1192.
H échappcnl rarement aux vices de leur éducation pre-
« mière. Mais, madame, est-il exact de dire qu'il existe
« maintenant an parti républicain qui veuille renverser
« la Constitution actuelle pour en élever une autre sur
<( ses ruines? On se plaît à le répandre pour avoir le pré-
« texte de former éç^aloment un autre parti hors la Con-
« stilution, un parti royaliste non constitutionnel, pour
« exciter des troubles intérieurs. Le piège est trop gros-
<( sier. On ne peut pas, de bonne loi, se persuader que le
(( parti appelé républicain soit redoutable; il est composé
a d'hommes sages, d hommes à principes d'honneur, qui
« savent calculer et qui ne hasarderaient pas un boute-
« versement général qui pourrait conduire plus facile-
(( ment au despotisme qu*à la liberté.
il Ah ! Madame, que le roi eût été bien conduit, s'il eût
c( favorisé sincèrement la révolution! Les troubles qui
« nous agitent n'existera i(;nt pas, et déjà la Constitution
tt marcherait, les ennemis du dehors nous respecteraient;
« le peuple n'est que trop porté à chérir et idolâtrer ses
u rois. »
« Je ne puis dire avec quelle énergie, avec quelle abon-
dance d'âme je lui parlai; j'étais animé par les circon-
stances et surtout par Tidée que les germes de la vérité
que je jetais pourraient fructifier, que la reine se sou-
viendrait de ce moment d'entretien.
u Je m'expliquai eniin très-clairement sur l'évasion du
roi. La reine, Madame Élîsabeth répétaient souvent que le
roi avait été libre de voyager daiis le royaume, que son
intention n'avait jamais été d'en sortir.
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LE 20 JUIN 1792. 227
« Permettez-moi. disais-je à la reine, de ne pas pûné-
« trer dans cette intention. Je suppose que le roi se fût
(c arrêté d'abord sur la frontière; il se serait mis dans
« une position à passer d'un instant à l'autre chez Té-
<( tranger; il se serait peut-être trouvé forcé de le faire, et
(( puis, d'ailleurs, le roi n'a pas pu se dissimuler que son
a absence pouvait occasionner les plus ^a\^nds désordres.
(( Le moindre inconvénient de son éloignement de l'As-
« semblée nationale était d'arrêter tout coari la marche
« des affaires. »
« Je ne me permis pas néanmoins une seule fois de
laisser entrevoir mon avis sur le genre de peine que je
croirais applicable à un 'délit de cette nature.
« A mon tour je mis quelque alïcctation à rappeler le
beau calme qui avait existé dans Paris à la nouvelle du
départ du roi. Ni la reine, ni Madame Elisabeth ne répon-
dirent jamais un mot sur cela. Elles ne dirent pas que
rien n'était plus heureux; je crus même apercevoir qu'elles
en étaient très-piquées; elles eurent au moins la bonne
foi de ne pas paraître contentes.
« Nous arrivâmes à Meaux de bonne heure. Le roi, sa
famille et nous, nous descendîmes à l'évêché. L'évêque
était constitutionnel, ce qui ne dut pas beaucoup plaire
au roi ; mais il ne donna aucun signe de mécontentement.
Des sentinelles furent posées à toutes les issues*
« Le roi soupa très-peu, se retira de bonne heure dans
son appartement. Comme il n'avait pas de linge, il em-
prunta une chemise à Thuîssier qui nous accompagnait,
(( Nous nous fîmes servir dans nos chambres; nous
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m LE 20 JUIN 1791
mangeâmes à la hâte un morceau et nous f!mes nos dé-
pêches. Nous partîmes de Meaux à six heures du matin.
« Je repris ma place première, entre Madame Élisabeth
et madame de Tourzel , et Bariiave se plaça entre le roi
et la reine. Jamais journée ne fut plus longue et plus fati-
gante. La chaleur fut extrême et des tourbillons de pous-
sière nous enveloppaient. Le roi m'offrit et me versa à
boire plusieurs fois. Nous restâmes cinq heures entières
en voiture sans descendre un moment. Ce qui me surprit
beaucoup, c'est que la reine» Mademoiselle, Madame
Élisabeth et Madame de Tourzel ne manifestèrent aucun
besoin.
tt U jeune prince lâcha deux ou trois fois de Teau.
GMlait le roi lui-même qui lui déboutonna sa culotte et
qui le faisait pisser dans une espèce de grande tasse d'ar-
gent. Barnave tint cette tasse une fois.
« On a prétendu que la voiture renfermait des espèces
de commodités à l'anglaise. Gela peut être, mais je ne
m'en suis pas aperçu. Une chose que je remarquai, c'est
que Mademoiselle se mit constamment sur mes genoux
sans en sortir, tandis qu'auparavant elle s'était placée
tantôt sur madame de Tourzel, tantôt sur Madame Éli-
sabeth.
« Je pensai que cet arrangement était concerté; qu'é-
tant sur moi on la regardait comme dans un asile sùr
et sacré que le peuple, en cas^de mouvement, res-
pecterait.
tt Nous marchâmes tranquillement jusqu'à Pantin. La
cavalerie qui nous avait accompagnés depuis Meaux et un
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LE 20 iOIN 1792. m
détachement de celle de Paris nous servaient d'escorte et
environnaient la voiture.
(( Lorsque la garde nationale à pied nous eut joints,
un peu au-dessus de Pantin , il y eut un mouvement qui
menaçait d'avoir des suites.
« Les grenadiers faisaient reculer les chevaux , les ca-
valiers résistaient; les chasseurs se réunissaient aux gre-
nadiers pour éloiguer la cavalerie. La mêlée devint vive;
on lâcha de gros mots, on allait en venir aux mains; les
baïonnettes roulaient autour de la voiture, dont les glaces
étaient baissées. Il était très-possible qu'au milieu de ce
tumulte des gens malintentionnés portassent quelques
coups à la reine. J'apercevais des soldats qui paraissaient
très -irrités, qui la regardaient de fort mauvais œil.
Bientôt elle fut apostrophée : a La b de g...., la p «
« criaient des hommes échauffés , elle a beau nous mon-
« trer son enfant, on sait bien qu'il n'est pas de lui. »
Le roi entendit très-4istinctement ces propos. Le jeune
prince, effrayé du bruit, du cliquetis des armes, jeta
quelques cris d'effroi; la reine le retint, les larmes lui
roulaient dans les yeux.
(( Bamave et moi, voyant que la chose pouvait devenir
sérieuse , nous mimes la tête aux portières ; nous haran- *
guâmes, on nous témoigna de la confiance. Les grena-
diers nous dirent : « ISe craignez rien, il n'arrivera aucun
« mal, nous en répondons, mais le poste d'honneur nous
(( appartient. » C'était en effet une querelle de préémi-
nence, mais qui pouvait s'envenimer et qui aurait pu
conduire à des excès.
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330
LE 20 JDIN 1792
« Lorsqae ces postes furent une fols remplis par les
grenadiers, il n'y eut plus de dispute; nous marchions
sans obstacles, à ia vérité très-lentement. An Heu d'en-
trer dans Paris par la porte Saint-Denis, nous fîmes le
tour des murs et nous passâmes par la porte de la Gon-
férence.
a Le concours du peuple était immense, et il semblait
que tout l'aris et ses environs étaient réunis dans les
€hamps-Éiysées. Jamais un spectacle plus imposant ne
s'est présenté aux regards des hommes. Les loits des
maisons étaient couverts d'hommes, de femmes et d'en-
fants; les barrières en étaient hérissées, les arbres en
étaient remplis ; tout le monde avait le chapeau sur la
tète, le silence le plus majestueux régnait: la garde na-
tionale portait le fusil ia crosse en haut. Ce calme éner-
gique était quelquefois interrompu par les cris : Vive
la Nation! Le nom de Barnave et le mien étaient quel-
quefois mêlés à ces cris, ce qui faisait l'impression la
plus douloureuse à Madame Élisabeth surtout. Ce qu'il y
a de remarquable, c'est que nulle part je n'entendis pro-
férer une parole désobligeante contre le roi; on se con-
tentait de crier : Vive la Nation!
<( Nous passâmes sur le punt tournant, qui lut fermé
aussitôt, ce qui coupa le passage; il y avait néanmoins
beaucoup de monde dans les Tuileries, des gardes natio-
naux surtout. Uue partie des députés sortit de la salle
pour être témoin du spectacle. On remarqua M. d'Orléans,
ce qui parut au moins inconsidéré. Arrivés en face de la
grille d'entrée du Château et au pied de la première ter-
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LE 20 JUIN 1792
231
rasse, je crus qu'il allait se passer une scène sanglante.
Les gardes nationaux se pressaient autour de la voiture
sans ordre et sans vouloir rien entendre. Les gardes du
corps qui étaient sur le siège excitaient Tindignation, la
rage des speclaleurs. On leur présentait des baïonnettes
avec les menaces et les imprécations les plus terribles. Je
vis le moment où ils allaient être immolés sous nos yeux.
Je m'élance de tout mon corps hors de la portière ; j'in-
voque la loi; je m'élève contre l'attentat aiïreux qui va
déshonorer les citoyens; je leur dis qu'ils peuvent des-
cendre ; je le leur commande avec un empire qui en
impose ; on s'en empare assez brusquement, mais on les
protège et il ne leur est fait aucun mal.
u Des députés fendent la fouie, arrivent, nous secon*
dent, exhortent, parlent au nom de la lof.
(( M. de La Fayette, dans le même moment, paraît à
cheval au milieu des baïonnettes, s'exprime avec chaleur;
le calme ne se rétablit pas, mais il est facile de voir qu'il
n'existe aucune intention malfaisante.
« On ouvre les portières; le roi sort, on garde le si-
lence; la reine sort, on murmure avec assez de violence;
les enfants sont reçus avec bonté, même avec attendris-
sement ; je laisse passer tout le monde, les députés accom-
pagnaient, je clos la marche. Déjà la grille était fermée ;
je suis trèS'froissé avant de pouvoir entrer. Un garde me
prend an collet et allait me donner une bourrade, ne me
connaissant pas, lorsqu'il est arrêté tout à coup, on dé-
cline mon nom , il me fait mille excuses. Je monte dans
les appartements. Le roi et sa famille étaient là dans la
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232
LE 20 JUIN 1 792.
pièce qui précède la chambre à coucher du roi, comme
de simples voyageurs fatigués, assez mal eu ordre; ap-
puyés sar des meubles.
<i Une scène très-origiuaje et très-piquante, c'est que
Corollaire^, s'approchent du roi et prenant le ton docto-
ral, mitigé cependant par un peu de boaié, le répriman-
dait comme un écolier. « N*avez-vous pas fait là, lui
« disait-il, une belle équipée? Ce que c'est que d'être mal
a environné I Vous êtes bon, vous êtes aimé ; voyez quelle
« affaire vous avez là! n Et puis il s'attendrissait; on ne
peut se faire une idée de cette bizarre mercuriale ; il faut
l'avoir vue pour la croire,
a Quelques minutes écoulées^ nous passâmes, Mau-
bourg, lidnidve et moi, dans l'appartement du roi; la
reine. Madame i^isabeth y passèrent également. Déjà
tous les valets y étaient rendus clans leur costume d'usage.
11 semblait que le roi revenait d'une partie de chasse; on
lui fit la toilette. En voyant le roi, en le contemplant,
jamais on n'aurait pu deviner tout ce qui venait de se
passer: il était tout aussi flegme, tout aussi tranquille que
si rien eût été* 11 se mit sur-le-champ en représentation;
tous ceux qui Tentouraient ne paraissaient pas seulement
penser qu'il fût survenu des événements qui avaient éloi-
gné le roi pendant plusieurs jours et qui le ramenaient.
J'étais confondu de ce que je voyais.
« Nous dîmes au roi qu'il était nécessaire qu'il nous
1. Note en mai^, d'une antre écriture : Cest sans dofute CoroUer
du Moustoir, député de la province de Bretagne.
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L£ 20 JUliN 1792;
233
donnât les noms des trois gardes du corps; ce qu'il fit.
u Comme j'étais excédé de fatigue et que je haUais de
soif, je priai Madame Elisabeth de vouloir bien me faire
donner des rafraîchissements , ce qui fut fait à l'instant.
Nous n'eûmes que le temps de boire deux ou trois verres
de bière. Nous nobs rendimes ensuite auprès des gardes
du corps, que nous mîmes dans un état d'arrestation.
Nous donnâmes ordre à M. de La Fayette de faire garder
à vue madame de Tourzel; nous confiâmes à sa garde la
personne du roi. Il nous dit qu'il ne pouvait répondre
de rien s'il ne pouvait mettre des sentinelles jusque
dans sa chambre. Il nous fit sentir la nécessité que l'As-
semblée s'expliquât clairement^ positivement à ce sujet.
Nous le quittâmes en lui disant que c'était juste, et nous
fCimes sur-le-champ à l'Assemblée pour lui rendre un
compte succinct de notre mission. »
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II
INTERROGATOIRE D*ÀNDRÉ GUÉNIER.
( Voir page 58. )
Le dix-huit vantus l'au second de la République fran-
çaise une et indivisible ^
En vertu d'une ordre de comité de sûreté générale du
quatorze vantose qnll nous a présenté le dix-sept de la
même anée dont le citoyen Guenot est porteur de laditte
ordre, apprest avoir requis le membre du comité révolu-
tion et de surveillance de laditte commune de i'assy les
Paris nous ayant donné connaissance dudit ordre dont
les ci-dessus étoit porteurs, nous nous sommes Uanspor-
tés, maison quaucupe la citoyene Piscatory ou nous avons
trouvé un particulier à qui nous avons mandé quil il était
et% le sujest quil Tavoit conduit dans cette maison ; il
nous a exileée sa carte de la section de Brutus en nous
disant qu'il retournaistapparis, et qu'il était Bon citoyent
et que cetoit la première foy quil venoit dans cette mai-
I. Le 18 ventôse an n répond au 8 mars 1794.
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336
LE 20 JUIN 1792.
son , qail étoit a compagnier d'une citoyene de Versaille
dont il devoit la conduire audit Versaille apprest avoir
pris une voiture au bureaux du cauche il nous a fait cette
de claration à dix heure moins un quard du soir à la
porte du bois de Boulogne en face du ci-devant châteaux
de Lamuette et apprest lui avoir Jait la demande de sa
démarche nous ayant pas répondu positivement nous
avons décidé quil seroit en arestation dans laditte maison
jusqua que ledit ordre qui nous a été communiqoié par
le citoyent Genot ne soit remplie mais ne trouvant pas ia
personne dénomé dans ledit ordre , nous lavons gardé
jusqua ce jourdhuy dix huit. Kt aprest les réponse
du citoyent Pastourei et Piscatory nous avons présumé
que le citoyent devoit estre Interrogés et apprest son
interrogation estre conduit apparis pour y estre détenue
par mesure de surettë générale et de suitte avons inter-
pellé le citoyent Chenier denous dire cest nomd et sur-
nomd âges et payi de naissance demeure qualité et moyen
de subssittée ^
i. Par la teneur même de cet interrogatoire, que la aingalarité de aon
orthographe et de son français rend parfois si difficile à comprendre,
on voit que I*agent du comité de surreilhuice n*avait ni ordre ni
mandat pour se saisir de la personne d'André Chénier, mais que fai-
sant une visite domiciUaire chez M"* Piscatory, beUe-sœur de M. de
Pastoret, ancien procureur général syndic du dupartcmoiit de Paris,
ancien député à rAsscniblée législative, et, ne trouvant pas la personne
qu'il y cherchait, il arrêta André Chénier comme suspect, — c'était
le grand mot du moment, — et ramena à Paris pour être écroué par
mesure de sûreté générale.
Les pourvoyeurs du trihunal révolutionnaire ayant mis la main
sur une si belle proie se gardèrent bien de la Iftcher.
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LE 20 JUIN 119%
237
INTERROGATOIRE.
A lui demandé commant il sapelioit
A répondu quil senomoit André Ghenier natife de Gon-
stentinoble âgé de trente et un ans demearant à Paris rue
de Glairy section de Brutus
A lui demandé de quelle ané il deuieuroit rue de Glairy
A lui répondue depuis environ mil sept cent quatre
vingt douze au moins
A lui demandé quel son ses moyent de subsisté
A lui répondu que de puis quatre vingt dix quil vie que
de que lui fait son père
A lui demandé combien que lui faîsoit son père
A répondu que son père lui endonnoit lorsquil luy en-
demandoit
A lui demandé s'il peut nous dire a combien la somme
quîl demande à son père par an se monte
A répondu quil ne savoitpas positivement mais environ
huit cent livre à mille livre par année
A lui demandé si! na auttre chose que la somme qu'il
nous déclare cy-dessus
A repondu qu'il na pas d'auttre moyen que ce quil nous
a déclarée
A lui demande quelle manierre il prend son exislance
A repondu tenteau chez son père tentcau chez ses amis
et tel) lot chez des resteaura leurs
A lui demandé quel sont ses amis ou il va mangé ordi^
iiairement
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m
LE 20 JUIN 1192.
A répondu que cetoit chez plusieurs amis dont il ne
croit pas nécessaire de dire lenom
 lui demandé s'il vien mangé souvent dans la maison
ou nous lavons aretté
A repondu qu'il ne croyoit n'avoir jamais mangé dans
cette maison on il est aresté, mais il dit avoir mangé
quelque foy avec les mêmes personnes apparis chez eux
A lui demandé sil na pas de correspondance avec les
ennemis de la République et la vons sommé de nous dire
la vérité
A repondu au cune
A lui demandé sil na pas reçue des lettre danglaitaire
depuis son retour dans la République
A repondu quil en a reçue une ou deux ducitoyent Bar-
thélémy alorse ministre plénipotensière en Anglaitaire et
nén avoir pas reçue dauttre
A lui demandé à quelle épocque il a reçue les lettre
désigaiés sy desiîus sommé a lui denous les représentés
A répondue quil ne les avoit pas
A lui demandé ce quil en à fait et le motife quil lat
engagé à seodeffaire
A repondu que ce uetoit que des lettre relative à ses
interrest particuUier, comme pour faire venire ses livres
et auttre effest laissé en Augldiidiie et du genre de celle
que personne ne conserve
A lui deaiaiidé quel sorte de genre que personne ne
conserve et surtout des lettre portant son interest person-
nelle sommé de nous dire la vérité
A repondu il me semble que des lettre qui énonce
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I
LB 20 JUIN un. m
l'arrivé des eflPest dësignîés cy- dessus lorsque ses effets
son reçue ne son plus d'aucune valeure
A lui refNTésenté quil nest pas juste dans faire réponse,
dautant plus que des lettre personnelle doive se conser-
ver pour la justification de celui qui à En voyé les effet
comme pour celui qui les à reçue
A repond quil persiste à pensé quand des particulier
qui ne mettre pas tant dexacLitude que des maison de
commerce lorsque la réception des fait demandé est
accusé toute la correspondance devient inutisle et quil
croit que la plus part des particuliers en use insy
A lui représenté que nous ne fond pas des demande
de commerce sommé à lui de nous répondre sur les mo-
tifes de son arestation qui ne sont pas affaire de com-
merce
A repondu quil en ignorest du faite
A lui demandé pourquoy il nous cherche des frase et
surquoy il nous repond cathegoriquement
A dit avoir repondue avec toute la simplicité possible
et que ses réponse contiene lexacte veritté
A lui demandé sil y à longtemps qu'il conoit les
citoyent ou nous Favons aresté sommé a lui de nous dire
depuis quel temps
A repondu quil les connaissoit depuis quatre ou cinqt
ans
A lui demandé comment il les a voit conu
A repondu quil croit les avoir connu pour la première
fois chez la citoyene Trudenne
A lui demandé quel rue elle demeuroit alors
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m L£ 2U JUIN 1798.
 repondu sur la place de la Revolutioa la maison à
Gottée
A lui demandé comment il connoit la maison à Cottée '
et les dtoyent quil demearoit alors
 répondu quil est leurs amie de Tanfance
A lui represanté quil nest pas juste dans sa réponse
attendue que place de la Révolution il ny a pas de maison
qui se nome la maison à Gottée donc ii vien de nous
déclarés
A repondue quil entandoit la maison voisine du citoyent
Letems
A lui représentes quil nous fait des frase attendue quil
nous a repettes deux fois la maison à Cottée
A repondue quil a dit la vérité
A lui demandée sil est seul dans lappartement qu'il
occuppe dans la rue de Glairy ïï° quatre vingt dix
sept
A repondue quil demeuroit avec son père et sa mère et
son frère ainée
A lui demandée sil na personne pour le service
un eal impoBBBible de relever une à une toutes lee balourdises
qui abondent àim les «piestions <iae le commissaire interrogateur
fait au malheureux André Chénier et atnuittélles celui-ci répond avec
une fine et douce ironie. Hais celle-ci passe toute croyance. Le com-
missaire prund 1 expression de maison à cottée ^ dont se sert André
Chénier en parlant de l'hôtel de M""* Trudainc qui était contigu à
celui de M"" de Pastoret, sur la place Louis XV\ pour la désignation
d*une habitation dont le propriétaire se nommait à cottée. Cela rap»
pelle le singe de La Fontaine qui prend le nom du Pirée pour un
nom d*iiomme.
Digitizod by C<.jv.' .ic
LE 20 JUIN 1792. «41
11 y a ua domestique commun pour les quatre qui les
sere
A lui demandœ ou il étoit a lepoque du dix aoust mil
sept cent quatre vingt douze
A repondue a paris malade d'une colique nefretique
A lui demandée sy cette colique le tient continuelle-
ment et sil elle tenoit le jour da dix aoust quatre vingt
douze
A répondue qui! se rétablissoit a lors d'une attaque et
que cette maladie le tiend presque continuellement
depuis lage de vingt ans plus ou moins fortes
A lui demandés quelles est cette malady et quelle est
le chirurgien quil le traitoit alors et sy cest le même qui
letraitte en core
A répondu le médecin Joffroy latraitté au commance-
ment de cette maladie et depuis ce temps jai suis un
régime connue pour ses sorte de meaux
A lui demandée quelle différence il fait d'une attaque
de meaux ou de maladies^
A repondue quil entendoit par attaque lorsque le mal
est un (peu) plus violent et empêche dagire
1. Ici lu boulVonnerie est à son comble, et la demande du commis-
saire qui veut qu'on lui explique la différence qu il y a entre une
attaque de meaux et une maladie, dépasse tout ce qu'a pu inventer
Molière. On serait tenté de rire de toutes ces sottises débitées avec
un imperturbable aplomb, si on ne se rappelait aassitftt que Ton va
envoyer à la guiUotine celai qui a eu Taudace de &*en moquer. N*a-
t-on pas raison de dire que Thistolre de la Révolution ressemble aux
drames de Shakespeare, où le burlesque se mêle si souvent à Thor-
rible ?
i4
Digitized by Google
242
LE 20 JUIN 1792.
A lui demaadée a quelle époque il apris le médecin
donc il vien de nous parllee et à quelle époque il a quitté
sommé de nous endonné des certificats
A répondue que sa famille le certifira que cettoit de
tout temps le médecin de la maison
À lui demandé sy il montoit sa garde le dix aoust mil
sept cents quatre vingt douze
A repondue quîl la montoit lorsque sa senté le par-
metoit
A lui demandée sy iors du dix oust quatre vingt douze
lorsqu'il à enitandue battre la générale sy il apris les
armes pour vollaire au secours de ses concitoyent et pour
sauvé la patrie
A repondue que non qu'il étoit en core trop foible
A lui demandée quelle est le motife qui lui en a em-
pêchée
A répondue la faiblesse de sa santée dans ce moment
A lui demandée de nous en donnée les preuves par les
certificat signiée du cherugien et de la section vue qu*il
n'est pas juste dans ses reponce
A repondue quil na nent point
A lui demandée que veux dire cemot a nous est comme
quil nen a point
A repondue quil na point de certilicatcy dessus énoncés
A lui représentés quil est un mauvais cîtoyent de
navoir point concourue à la défense de sa patrie vue que
les boiteux et infirme on prie les armes et se sont unie
sur la place avec tous les bons citoyen t pour y défendre
contre les courtisans du cidevant Gapet et royaUiste
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LE 20 JUIN 1792. 243
A repondue quil navoit point assée de force de corp
pour le pouvoir
A lui demandée sy lord de ceste époque ses frère et son
pere sy etoit rendue avec les citoyent de leur section sur
les places defansifs contre les tiiaad de la Republique
sommé de nous dire la vérité
A repondue que son pere etoit vieux et étoit employée
a sa section et que son frère etoit vice-consuite en Es-
pagne les auttres ne demeurant point a )a maison il y
gnoroit ou ils étoils
A lui demandée ou etoit le domestique quil les servoit
ou etoit il le dix oust
A repondue quil lîgnoroit
A lui représenté qua iepoque d^ cette journée que touts
les bons citoyent ny gnoroit point leurs existence et
quayant enliendu batte la générale cettoit un motife de
plus pour reconnoitre tous les bons citoyent et le motife
au quelle il setoit employée pour sauvée la Republique
A repondue quil avoit dit Texate veritée
A lui demandée quel etoit Texatte veritée
A repondue que cetoit toutes ce qui etoit cy dessue
Et apprest avoir fait la lecture du procest verbale et
lavon cleau et signiée et le citoyent Chenier a déclarée
quil ne vouloit pas signiée
Signé : Gennot, Gramoisiin , Boudgoust,
DUGHESNE. Comisaire
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SANTKHRE GÉNÉRAL ET BRASSEUR
(( Voir page 74. )
Après le 10 août, Saoterre se fit délivrer un brevet de
général employé dans Tarmée ; maïs il n*en continua pas
moius son commerce de brasseur. Seulement il eut soin
de se faire remettre par la république les dettes qu*îl
avait contractées sous la royauté; nous n'en voulons pour
preuve que la pièce suivante :
Extrait des registres du conseil exécutif provisoire,
sèoiice du 6 avril 1793.
« Le ministre des contributions a exposé au conseil les
réclamations du citoyen Santerre, maréchal de camp et
commandant général de la garde nationale parisienne.
« Le citoyen Santerre est débiteur à la nation du droit
sur les bières fabriquées dans ses brasseries pendant les
années 1789 et 1790 et les trois premiers mois de 1791,
14.
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240
LE 30 JUIN 1792.
époque à laquelle le droit a été supprimé
« Le débet du citoyen Santerre s'élève à 69,603 îiv.
16 s. 6 d. 11 ne le conteste pas; mais il prétend qu'il doit
en être déchargé parce que le peuple a consommé la plus
grande partie de ces bières à Toccasion des mouvements
auxquels la révolution a donné lieu; qu*it n*en a retiré
aucun argent et qu'il n'est pas juste qu il paye des droits
sur une boisson qu'il n'a pas vendue.
« En elîet, les pièces justilicatives que le citoyen San-
terre produit, les enquêtes qui ont été faites à sa réqui-
sition et le témoignage rendu par la voix publique, ne
permettent pas de douter de la vérité des motifs qu'il
allègue pour obtenir sa libération
« Le ministre des contributions publiques propose
donc au conseil d'arrêter que, sur la demande du citoyen
Santerre, aux Fins d'être déchargé des droits répétés
contre lui par les commissaires liquidateurs de la ferme
générale, pour raison des quantités de bières fabriquées
par le citoyen Santerre, dans les années 1789 et 1790 et
les trois premiers mois de Tannée 1791, et, vu la con-
sommation des dites bières faites par le peuple et dans
les corps de garde, sans que le citoyen Santerre en ait
retiré aucun payement, il demeure bien et valablement
déchargé desdits droits; laquelle décharge tiendra lieu
audit citoyen Santerre de toutes les répétitions qu'il a
faites ou pourrait faire pour raison des autres dépenses
que son dévouement pour la révolution lui a occasionnées
pendant les suî-diles années.
« Le conseil a adopté les propositions faites par le
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LE 20 JUIN i79S.
ministre des contributions et Ta autorisé à prendre les
mesures nécessaires pour en assurer l'exécution.
(( Signé : Clavière, Lebrun, Garât, Gohier,
Grouvellb, secrétaire. r>
Santerre fut employé pendant quelques mois dans la
guerre de Vendée; mais tous les récits du temps s'accor-
dent à dire qu'il y joua un rôle très-peu brillant. Durant
les derniers mois de la Terreur, Santerre ne se trouvait
plus à la hauteur des principes; il fut arrêté quelque
temps avant le 9 thermidor. Relâché après la mort de
Robespierre, mais dégoûté des honneurs militaires qui
avaient failli lui coûter la vie, il donna sa démission le
13 thermidor an n, à sa sortie de prison.
Rentré dans la vie privée, il reprit son commerce ; mais
les jours de sa gloire et de sa popularité étaient passés :
il vit péricliter ses affaires, et de nouveau sollicita les
faveurs de l'État. Santerre s'adressa au ministre de Tin-
térieurpour obtenir un prêt de 25,000 francs, lui expo-
sant « qu'ayant été Tagent de la loi dans les temps ora-
geux, cela lui a retiré toutes ses connaissances riches et
ôté toute ressource. »
Plus tard il écrivit au premier consul la lettre suivante,
où l'on voit que l'eiHïommandant général de la force
armée, au 21 janvier 1793, savait, comme bien d'autres
de ses pareils, se plier aux circonstances, et parler,
quand il le jugeait utile, le langage de la flatterie. (Nous
avons religieusement respecté l'orthographe du brasseur
devenu général.)
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24&
LE 20 JUIN 1792.
« Santerre, général divisUmmire, au, gènértU Bonaparte,
premier comul de la République*
a J'ai 6u l'honneur de vous demander ^akr à Tarmée
de réserve partager vos dangers; vous avez eu la bonté
de renvoyer ma demande au général Berthier, alors
ministre; son départ précipité m*a privé de cet avanlagc.
a J'ai demandé au ministre actuel à être employé; sans
votre ordre il n*a put probablement le faire, il s'est
cependant trouvé des places dans les directoires près les
hôpitaux uiiliLairL's ei dans les villes fortes.
a Je vous ai offert, en vendémiaire an iv, mes ser*
vices ; vous ne les dédaignâtes pas.
a J'ai presque tout perdu au service de la république,
je ne puis maintenant me passer de vous demander une
place. L'on m'a offert le traitement de réforme. J'avais
alors de la fortune, je n'ai pas cm devoir être payé sans
servir. Depuis Ton m'a interdit politiquement mon habi-
tation au faubourg Antoine, ce qui m'a 6té mes resowrces
commerciales. Conséquemment, si le gouvernement ne
m'emploie pas, malgré mon désir de servir, ayant déjà
servi avec succès au 14 jujllet, au 10 août et dans plu-
sieurs batailles que j'ai commandées en la Vendée, Je
vous demande le traitement de réforme, sans pour cela
cesser d'être au service de notre patrie.
u Salut, respect et admiration,
« Sam L HUE,
« £actoB du Temple, à Paris, ce 16 meaûdor an vin.
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LE 20 JUIN 1792,
249
« P. S. Je ae joius à cette lettre aucun compliment ni
éloge, je ne pourrais rien ajouter à celui de dire ; Bona-
parte était à Marengo l »
Ou conçoit sans peine que le général Bonaparte se sou-
cia peu d'employer activement le général Santerre. Il
avait mieux que lui SOus la main. Mais il eut pitié de sa
misère; fit réintégrer Santerre dans son grade et l'admit
au traitement de réforme par un arrêté ainsi conçu :
HÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
Liberté. Égalité»
DÉPARTEMENT DE hh GUERRE.
u Au nom du peuple français.
« Du 9 thermidor, Tan vm'^ de la République
une et indivisible.
« Bonaparte, premier consul de la République, sur la
proposition du ministre de la guerre, arrête :
« La démission offerte par le général de division San^
terre des fonctions de son grade, et acceptée le 11 ther-
midor an H par le comité de salut public, est annulée ; ce
général est réintégré et adaus à jouir du traitement de
réforme affecté à son grade.
« Le ministre de la guerre est chargé de l'exécution du
présent arrêté, qui ne sera pas imprimé.
u Signé : Bonaparte.
« Par le premier consul, le secrétaire d'État,
m Signé: Hugues Margt. »
Santerre mourut le 6 février 1806, laissant après lui un
3à0 Lt 20 JUIN 1792.
nom entouré d une effrayante renommée,, que très-pro-
bablement au fond il ne méritait pas. Il avait peut-être
rêvé le rôle d'Arteveld , et il ne fut qu'un instrument
docile entre les mains de Danton et de quelques autres
meneurs habiles.
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IV
ASSASSliNAT DU DUC DE LAUOCHEKU L CAL LD.
( voir page 18a. )
EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉUBÉRATIONS
DK LA COMMUNE DE GISOBS.
« Du mardi quatrième jour de septembre 1792, Tan iv
de la liberté et le i^^de l'égalité. Le conseil général perma*
nent, ouï le procureur général, a arrêté que, outre Tëtape
accordée aux quatre gendarmes nationaux de Gournay,
compris le lieutenant, il sera accordé Tétape pour un
jour aux six gendarmes arrivés de Paris, compris le
maréchal des logis, et qu'ils seront logés chez le sieur
Louis Àsseline.
« Par le procureur de la commune a été dit que le
sieur de La Rochefoucauld, ayant été arrêté à t oi j^cs-ifs-.
* Eaux, est actuellement, quatre heures après midi, logé
en l auberge de l'Écu de France et qu'il est instaiit de lu
faire partir à Dangu, et de là à Yernon, à l'aide de la
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252 L£ 20 JUli>i 179:i.
geadarmerie tant de cette ville que de Paris et d'un déta-
chemeDt de la garde nationale de cette dite ville, accom-
pagné du sieur Jeaa -Baptiste Boulîart, auquel il a été
remis par les mains des sieurs Parain et Gorchand, com-
missaires nommés par le puiivoir exécutif à Teffet de
faire auprès des municipalités, districts et départements,
telles réquisitions qu'ils jugeront nécessaires pour le salut
public et exécution des lois, suivant les commiissions qui
leur ont été délivrées et dont ils sont porteurs» scellées
du sceau de l'État. Ledit sieur Bouffart muni d'un ordre
du comité de surveillance, signé, Merlin, Bazire et Le-
cointre, qui autorise le sieur Bouffart à faire arrêter
M. de La Rochefoucauld partout où il se trouvera, ledit
ordre, scellé du sceau du comité de surveillance, à
l'instant remis audit sieur Bouffart.
tt L'Assemblée, ouï de nouveau le procureur de la com-
mune, a arrêté que ledit sieur Bouffart fera partir, heure
présente, ledit sieur La Hociiefoucauld, à Taide des douze
gendarmes nationaux tant de Gournay que de Paris, et
du détachement de gardes nationaux de cette ville, étant
de présent en activité, composé d'environ cent hommes,
commandé par M. Pantin et accompagné du conseil géné-
ral de la commune, qui ne cessera sa conduite qu'aux
dernières maisons de cette ville pour veiller à la sûreté
de la personne dudit sieur de U Rochefoucauld, et au
même instant le conseil général s'est transporté à l'au-
berge de rÉcu de France, où était détenu ledit sieur La
Rochefoucauld, et a donné l'ordre d'apprêter la voiture
qui devait le conduire, ainsi que sa femme, sa mère et
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ll: 20 JUIN 1702. 25;;
M""® d'Astorg, et à la gendannci ie et à la i^ai de nationale
de protéger ces voyageurs.
« Le conseil général et le corps municipal environ-
naient le sieur La Rochefoucauld à pied et les autres per-
sonnes étaient montées dans un carrosse à six chevaux.
Nous, officiers municipaux et notables soussignés, ainsi
que la troupe, étions suivis et entourés de plus de trois
cents volontaires, tant du département de TOrne que de
la Sarthe, qui étaient logés en cette ville. Nous les avons
entendus faire de violentes menaces contre la vie du
sieur de La Hochefoucauid en disant : a Nous allons
« avoir sa tête, et rien ne sera capable de nous en empê-
u cher. » Les uns étaient armés de sabres, pistolets,
bâtons, et d'autres, de massues et de pierres. Dans le
cours de sa conduite, malgré la protection qu'on désirait
procurer à la personne de La Rochefoucauld, et les repré-
sentations qui ont été faites auxdits volontaires, il a été
atteint d'un coup de pierre à la tempe qui l'a fait presque
tomber, lorsque le sieur Bouffart le tenait dans ses bras,
et, au même instant, il en a été arraché par plusieurs
volontaires qui lui ont port<î plusieurs coups de bâtons et
de sabres, qui Tont mis à mort; ils lui ont en outre,
après qu'il a été ainsi sacrifié, donné boducoup d'aiitres
coups de sabres, bâtons et pierres, que l'on n'a pu empê-
cher, malgré que le sieur Bouffart, accompagné du corps
municipal, formassent un rempart qu'ils croyaient propre
à le défendre, et que la troupe ait fait tous ses efforts
pour le sauver du danger; et comme le meurtre a été
commis vis-à-vis de la chaussée de Gantiers et qu'il était
15
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25i
LE 20 JUIN 1792.
impossible de donner aucun soulagement audit sieur La
Uochcfoucauld, puisqu^ll n'avait en conséquence aucun
signe de vie, le corps municipal a fait sauver la voiture
qui renfermait les femmes, et le sieur iiouiïart a donnd
ordre aux gendarmes de Paris de les escorter jusqu'à
Dangu, en leur observant qu'ils répondaient d'elles per-
sonnellement jusqu'à ce qu'il les ait rejoints. Ensuite le
corps a été enlevé, assisté du sieur Boulfart et de deux
officiers municipaux, et déposé en l'auberge de rÉcu«
dans une chambre sur le derrière, où, en présence du
peuple, la municipalité entière a fait perquisition dans
les poches du sieur La Rochefoucauld ; il à été trouvé
deux montres à boîte d'or avec une chaîne d'acier, à
répétition, et l'autre marquant les cantièmes, garnies
d'un cordon de cuir; une bourse en maroquin rouge,
dans laquelle était un louis en or de 2k livres, huit pièces
de 15 sols, pour sept livres douze sols de pièces de deux
sols, cinq livres deux sols en pièces de six liards, plus un
paquet contenant un assignat de 100 livres, quatre de
50 livres, dix-neuf assignats de 5 livres, quatre billets
patriotiques de 50 sols et un de 20 sois; plus une taba-
tière d*écaille à cercle d'or ; un canif à manche d'ivoire ;
un couteau h deux lames dont une d'or, le manche en
écaille garni en or; un cachet remis audit sieur Bouffart;
une petite boîte d'argent et un cordon de soie. Il a été
remis, par un citoyen, la canne, dont le défunt était
saisi, à deux poignards; deux mouchoirs blancs; lesquels
eiïeis sont restés entre les mains du procureur de la
commune, chargé d'en faire le dépôt au greffe. La redin-
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LJ:; 20 JUIN ilQt. 25â
guLe et veste, ainsi que la culotte et bottes, bas, chemises,
chapeau, laissés à la disposition des nommés Lherbier et
Lebel, gardes nationaux qui gardent le corps; dont et
du tout ce que dessus le présent procès-verbal a été fait
et rédigé en l'hôtel commun, en piusoncc des officiers
municipaux, notables et autres soussignés, lesdits jour
et an.
a Signé: BouFfAai; Bibas; Peron, lieutenant;
Laniesse ; ViNOT, maire ; Lefevre, le jonnc ;
Henri Psirr ; Meunieb ; Denàijsvillë ; BLor^-
DEL, capitaine; Pantin, commandant. »
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TABLH.
1.
Klat de la France en 1792.— Louis XVI et Maric-Aiitoi-
nette. — Les partis
l
11.
M
111.
Pulénii(|ue îi l'occasion de la fùtc à eux offerte. — Ar-
21
IV.
La f(Me est résolue et dédiée à la Liberté
31
V.
Les Suisses de Châteauvieux admis par rAssembléc
ai»
VI.
Derniers préparatifs. — Article du Père Duchesne . . .
4()
VII.
Description de la fétc de la Liberté (15 avril 1792). . .
50
VIII.
Sa si^nifiration. — L<'s ïambes d'André Cbénier. . . .
5r.
IX.
r»9
s.
258 LE 20 JUIN 1792.
XI. Les conciliabules do la brasserie Sdiiterrc (10 juin) . . 73
lUL Les incertitudes du maire de Paris . lii
XIII. Confcrences des chefs de bataillon 83
XIV. Le département interdit les rassemblements armés. . . 89
XV. La niatinte du 20 juin 93
XVI. Les faubourgs s'ébranlent 90
xvit. L'Assemblée nationale les Tcccvra-t-elle? 100
xviii. L^arbre de la liberté planté dans le potager des Capu-
cins. — La terrasse des Feuillants envahie LCi
MX. La pétition de rémeute il7
XX. La pétition do l'ordre 120
XXI. Les faubourgs défilent à travers l'Assemblée 123
XXII. Invasion de la place du Carrousel 12;»
xxiii. La porte de la cour Royale est forcée 131
XXIV. Irruption de la foule dans les Tuileries 135
XXV. La royauté en face de Témeutc 139
XX Vf. L*Assemblée envoie une députation pour protép:cr le
roi. ■ ■ ■ Ui
xxvii. Intervention tardive du maire de Paris ii7
xxviii. Le roi peut entrer dans ses appartements 15i
xxix. Défilé devant la reine et le prince royal • . . . ITH»
\\x. Le Château évacué. — Séance du 20 juin au soir. . . . 1(U)
XXXI. Séance du 21 juin. — Dialogue entre le roi et le maire. W
wxii. Adresse de Louis \Vl aux Français. — Acti- du corps
législatif. — Protestations contre le 20 juin . ... 170
xxxiii. Enquête sur la conduite du maire 177
xxxiv. Suspension du maire et du procureur de la commune. . 181
XXXV. Indécision du roi. — Agitation populaire 187
wxM. Le roi ronlirnii! la suspousion, la Lt'gisliitive la lève. . l''2
TABLK. *2:yj
xxxvii. Rùinstallation do Potion et de Manuel lUO
wwiii. La deuxi(>mc fédération (14 juillet 170'2]. — Triomphe
éphémère de Pétion t^Oj
L Le retour de Varcnncs raconté par Pétion "101
u. Interrogatoire d'André Chénier 2.']r>
>ii. San tërrc général et brasseur 'it^r>
11^ Assassinat du (hir ilc La noclicfoucanld 'i.M
i vni- iMruniKRTi; Dr. j. cl.vyi:, niir saint-^knoit ,
O.&rûellerEeliear
Âoat mb